Samedi dernier, j’ai eu la chance de participer à la Journée Mondiale du Bégaiement à Bruxelles. Une vraie journée puisqu’elle a commencé à 9 heures et s’est achevée dans les bulles de champagne à 18h.
150 personnes avaient répondu à l’invitation de l’APB Belgique et de la Belgische Stottervereniging. Wallons et flamands avaient mis en commun leur énergie et leur générosité pour l’occasion et c’était un joli symbole. Voici le compte-rendu...
L’introduction a été faite par les deux présidents : en français par Mehdi et en flamand par Erik. Notons au passage que ces deux présidents sont des personnes qui bégaient et j’ai aussi trouvé cela symboliquement très fort. Erik est également le réalisateur du court-métrage « To speak » et il l’a projeté pour ouvrir la journée. Ceux qui méconnaissaient encore les impacts que le bégaiement peut avoir sur une vie, ont ainsi bénéficié d’une mise à niveau rapide mais percutante ! Je n’avais pas encore eu l’occasion de le voir et j’avoue avoir versé ma larme à la fin…
Pour les francophones, la matinée s’est poursuivie par une séance de Tai-chi. Un moniteur paisible et souriant nous a enseignés quelques mouvements de base et c’était très impressionnant de voir cette salle entière onduler au ralenti. En bon bègue qui se respecte, j’ai demandé comment il fallait placer sa respiration sur les gestes. Réponse souriante : « Tu ne dois pas penser à ta respiration, elle se mettra en place toute seule, petit scarabée.» Je n’ai donc plus posé de questions mais j’ai eu la confirmation ensuite que, grâce au Tai-chi, il n’y a pas que la respiration qui se met en place toute seule.
En effet, après notre séance, Tini a pris la parole pour raconter son histoire et la manière dont cette gymnastique chinoise avait profondément changé sa vie de personne qui bégaie, l’aidant à gagner en calme et en maîtrise de ses émotions. Après 6 ans de pratique, il est même devenu instructeur ! Tout le monde est sorti ravi et très zen de cette séance. Coïncidence, j’ai échangé hier avec Danielle, déléguée APB pour Montpellier, qui me disait qu’elle pratiquait aussi et que cela lui faisait beaucoup de bien. Tous au Tai-chi !
C’est donc à des auditeurs avec un sourire béat greffé sur le visage qu’Audrey Leclercq, chercheuse à l’université de Mons, a présenté les résultats de son étude sur la fluence objective et la fluence subjective. Audrey avait en effet lu un certain nombre d’enquêtes montrant que les employeurs avaient des a priori ou réticences vis-à-vis des personnes qui bégaient. Son objectif était donc de vérifier scientifiquement si le fait d’entendre une personne bégayer pouvait avoir une influence sur la confiance qu’on lui accordait pour exercer le métier de libraire, plombier, médecin, instituteur, directeur… Bon, désolé, mais Audrey n’avait pas de bonnes nouvelles à nous annoncer. En gros plus le bégaiement est sévère, moins la confiance en la compétence est grande. Cela étant dit, rien ne sert de pester contre ces méchants employeurs : ils sont juste comme les autres, ils ont besoin qu’on leur explique. D’où l’importance de cette journée mondiale, des dépliants faits par les associations pour informer les employeurs et aussi le rôle essentiel que nous devons jouer en expliquant nous-mêmes en entretien d’embauche que nous bégayons mais que cela n’est pas un signe de manque d’assurance ou d’instabilité. C’est juste une de nos caractéristiques qui n’empêche pas d’être médecin, prof ou même avocat ou vendeur et permet aussi de développer plein d’autres qualités pour avancer dans notre parcours professionnel. A l’inverse, si nous ne disons rien, nous laissons notre interlocuteur éprouver ce jugement instinctif et non raisonné. D’ailleurs dans son étude, Audrey montre que les personnes qui connaissent le bégaiement (orthos et élèves orthos) sont beaucoup moins influencées. La seule différence, c’est la connaissance et l’information : à nous de la donner.
Il faut savoir aussi que les personnes interrogées dans l’étude d’Audrey ne faisaient qu’entendre la parole. Or un jugement ne se forme pas simplement sur ce que l’on entend : le sourire, la gestuelle, les expressions, l’aspect physique, les attitudes sont des éléments tout aussi importants, qui n’ont pas été mesurés dans cette étude.
Audrey a également pu confirmer l’efficacité du Delayed Audio Feedback (appareillage auditif qui retransmet la voix avec quelques millisecondes de décalage) sur la parole des personnes qui bégaient avec ce constat intéressant : pour les personnes ayant un bégaiement se traduisant par des répétitions, la durée optimale du DAF est de 80ms, soit la durée moyenne d’une répétition (d’un « p » par exemple). Alors que pour les personnes plutôt sujettes à des blocages, la durée optimale du DAF est de 120 ms.
Après la pause sandwiches, l’après-midi a débuté par l’exposé d’Henny Bijleveld, neurolinguiste et professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Je tiens au passage à lui présenter toutes mes excuses car durant mon intervention, je n’ai pas arrêté de l’interpeller en l’appelant inexplicablement « Henriette » !
Henny nous a dressé l’état actuel de la science sur le bégaiement, ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Son exposé était très clair et accessible. J’avoue humblement que je décroche un peu lorsque je lis des explications scientifiques sur le cortex, le pré-cortex, le système limbique, le thalamus, l’hypothalamus, les ganglions de base et la matière blanche. Pourtant Henny a utilisé tous ces mots et cela m’a paru limpide (bon j’avoue, il y avait aussi des schémas avec de jolies couleurs). C’était passionnant et les étudiantes orthos ont couvert leurs carnets de notes. Pour ma part, voici ce que j’en ai retenu :
- Les principales observations faites sur les spécificités du cerveau des personnes bègues (forte activation de l’hémisphère droit par exemple) sont des conséquences du bégaiement et non des causes.
- La plasticité cérébrale ET l'environnement ET le travail personnel sont à la base du changement.
- Le stress est bien une cause du bégaiement ou en tous cas du renforcement de la sévérité du bégaiement. Lorsque nous nous trouvons dans une ambiance négative, - inquiétude, peur, angoisse -, nous produisons une telle quantité de dopamine que cela perturbe le contrôle des mouvements de la parole.
- L’excès de dopamine peut aussi avoir une influence sur le processus d’appropriation du langage qui devient alors un « apprentissage du bégaiement. »
- Le bégaiement est un syndrome qui résulte d’un ensemble de facteurs concomitants - génétiques, héréditaires, linguistiques, relationnels, environnementaux et psychologiques... Et personne n’a encore trouvé l’ensemble des ingrédients et le "bon" dosage.
Je suis ensuite intervenu autour du thème « accepter son bégaiement : un tremplin vers la fluidité » (voir l’article du blog ICI). Petite tension supplémentaire car c’était la première fois que mon épouse assistait à une de mes interventions. Au passage, elle a été parfaitement intégrée et mise à l’aise par tout le monde et a adoré cette journée (mais on le sait que les personnes qui bégaient et ceux qui s’intéressent au bégaiement sont des personnes formidables ☺).
Une autre personne qui bégaie, Todor, a également raconté son expérience personnelle de juriste et a insisté sur l’un des points que j’avais développés : l’importance de ne jamais baisser les bras et de continuer à frapper sur le rocher de notre bégaiement et de nos peurs jusqu'à ce qu'il éclate.
Il a également évoqué la nécessité de faire le tri dans ses relations. En gros, ne s’entourer que de gens qui nous boostent et nous valorisent et s’éloigner de ceux qui sont critiques ou condescendants vis-à-vis de nous. A ce sujet, j’ai lu récemment que nous serions la moyenne des 5 personnes que nous fréquentons le plus. A méditer…
Il y a eu ensuite un échange de questions/réponses et, emportés par notre enthousiasme, nous avons eu du mal à quitter la scène : les organisateurs ont dû appeler la Sécurité pour nous demander de partir☺.
Blanche de Briey a conclu la journée par des conseils sur la détection et la prise en charge du bégaiement chez le jeune enfant. Son exposé était lui aussi clair et pédagogique, particulièrement intéressant pour les parents présents dans la salle et les élèves orthos (pardon : logopèdes). Voici les principales informations données :
- Comment détecter le bégaiement : tensions durant les disfluences, fuite du regard, évitements…
- L’importance de la réaction au bégaiement de l’enfant (parents, éducateurs) et donc de l’accompagnement parental : donner un modèle de parole lente et douce (selon elle, le débit rapide des parents est une catastrophe : je confirme ☺), utiliser les pauses, se concentrer sur le message que veut faire passer l’enfant.
Une idée sympa et qui apparemment ravit les petiots : ne pas hésiter à faire une remarque à leurs parents lorsque ceux-ci parlent trop vite ou l’interrompent, par exemple.
A la fin de la journée, tous les participants se sont retrouvés pour partager le champagne offert par les parents d’Erik. Encore un geste très symbolique et fort en émotion.
Bravo à tous les organisateurs qui ont « assuré grave » dans la préparation, l’accueil et la promotion de cette journée, avec notamment un reportage au journal de 19h de RTL et un autre à TV Brussel.
Une nouvelle fois, je repars avec en tête plein de nouveaux sourires, des échanges passionnants et sûrement de nouvelles amitiés. Je ne citerai pas de prénoms dans mes remerciements car je serais vraiment triste d’en oublier.
Un grand coup de chapeau pour cette magnifique journée ! Oui, vraiment, c’était une Belge JMB !
Laurent
7 commentaires:
Superbe compte-rendu Laurent ! Et mille bravos (même plus encore) pour ta mobilisation européenne à l'occasion de cette Journée Mondiale du Bégaiement !
<< Les principales observations faites sur les spécificités du cerveau des personnes bègues (forte activation de l’hémisphère droit par exemple) sont des conséquences du bégaiement et non des causes (...) Le bégaiement est un syndrome qui résulte d’un ensemble de facteurs concomitants - génétiques, héréditaires, linguistiques, relationnels, environnementaux et psychologiques... Et personne n’a encore trouvé l’ensemble des ingrédients et le "bon" dosage.>>
Je trouve Henny très bien renseignée ou très prudente. La compensation de l'hémisphère opposé droite comme étant une conséquence d'un bégaiement : je ne savais pas que c'était prouvé, ça. Je pensais que c'était plutôt la conséquence de la "faiblesse" de l'hémisphère du langage. J'aime bien sa métaphore sur les ingrédients et le bon dosage.
Merci Cédric ! Je savais que ça te ferait réagir... Et je m'attends aussi à une réaction de l'eskimo givré :-)
J'ai donc pris la précaution de faire relire auparavant mon compte-rendu par Henny car tu sais que ce n'est pas la partie que je maîtrise le plus. :-)
Dans mon souvenir, elle a aussi expliqué que c'était une conséquence par le fait que l'hémisphère droit prenait le contrôle durant "l'apprentissage du bégaiement" et que, après rééducation, la gestion de la parole revenait dans l'hémisphère gauche.
Ca pourrait être sympa qu'Olivier l'invite sur son blog car elle est vraiment intéressante et très ouverte à la discussion.
Hier j'ai posté deux bons gros commentaires, hélas perdus apparemment...pour dire que : chaque chercheur a son cheval de bataille, et que l'excellente H. Bijleveld si je ne me trompe pas fait partie des chercheurs qui comme aussi Per Alm (je caricature un peu) qui situeraient l'origine première dans les noyaux gris centraux en voyant la déconnexion comme une manifestation d'un défaut à la base sous-cortical (ma source : son chapitre dans "Les Bégaiements de l'Adulte") Mais les Allemands ne voient pas forcément la chose ainsi, ni les Chinois, ni les Américains.
Avec des éléments communs que l'on retrouve dans un ou l'autre 'camp'.
...et oui je suis d'accord avec Cédric, la surcompensation spontanée à droite est plus que probablement une conséquence.
Il y a un petit amalgame quelque part là : c'est quoi exactement "ce qu'on observe dans le cerveau" ? On ne peut pas tout mélanger, déconnexion, compensation spontanée, NGC. On sait que la déconnexion est très très proche de l'origine du problème
...donc le mieux pour le grand public, nous les profanes qui n'y connaissont rien, c'est d'avoir une vue d'ensemble des principaux points de vue des chercheurs.
J'ai fini.
Bonjour Cédric, Olivier,
Je vous remercie de vos interventions et commentaires. je vous réponds sur mon I. - pad et certaines fonctions sont difficiles: excusez - moi.
J'essaierai de vous répondre le plus clairement possible.
Tout d.abord, c.est en 1997 que Braun et all ont prouvé que l.activation excessive de l.hémisphère droit était une conséquence du bégaiement, une sorte d.adaptation, une compensation.
Puis, il faut savoir que les études sur l.activation cérébrale ont donné des résultats biencontradictoires, en fonction de l.outillage' Mais ce qu.il faut surtout savoir c.est que l.activation seule n.est pas la bonne mesure pour dire si le cerveau fonctionne bien ou pas, CAR les recherches de Garreaux et all ont montré ( ce qu.on savait déjà pour les mouvements ) que l.activation cérébrale diminue lorsqu.il s.agit de séries automatisées ou des énoncés bien répétées..... Cela veut dire que le cerveau ne se fatigue pas quand c.est facile, et on n.observe donc pas de grande activité cérébrale quand le langage est facile et très fluent!!!!!
J.ai exposé une hypothèse de travail, qui cherche à répondre à une question fondamentale du bégaiement: son caractère dynamique et intermittent.
aucun déficit anatomique n'y peut répondre.
Les recherches actuelles sur le stress et son influence désastreuse sur plusieurs structures cérébrales, dont l.hippocampé le thalamus et le cortex prémoteur expliquent un dérèglement dynamique entre les zones du cerveau qui doivent régler les mouvements harmonieux du langage et l.attention.
D.autre part, l.importance de la bonne respiration est connue depuis longtempts ( Fernau Horn... Années 65-70). La respiration, la relaxation a une influence sur le système neurovégétatif qui règle en quelque sorte les dérèglements liés au stress...
Il est donc important de s.y attarder.
Le fait que d.autres chercheurs cherchent dans d.autres directions est´ selon moi, une gage d.ouverture. Et donc très bien.
Le bégaiement est suffisamment complexe pour chercer dans plusieurrs directions. Personne ne possède la vérité unique !!!!!
Il faut néanmoins toujours revenir à la question de base: peut- on expliquer le caractère dynamique et intermittent par telle ou telle hypothèse.
Bien amicalement,Henny Bijleveld
Merci de votre réponse Henny !
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