7 mars 2023

"Des fois, je bégaie" : Le témoignage de Fantine


"Des fois je bégaie" est un livre écrit par un orthophoniste néerlandais, Eelco de Geus, dont j’ai effectué et publié la traduction française. Avec des mots simples, il explique aux enfants qui bégaient : 
- ce qui fait bégayer, 
- pourquoi des fois on bégaie et d’autres non,
- pourquoi certaines personnes ne comprennent pas que l’on bégaie et ce qu’ils devraient savoir,
- comment réagir aux moqueries. 

L’enfant apprend également que le bégaiement n'est pas quelque chose de "mal", dont il doit avoir honte. Il découvre qu'il n’est pas le seul à bégayer et peut même lire des lettres écrites par d’autres enfants. Les jeunes lecteurs sont aussi encouragés à écrire ce qu’ils ressentent, et à le partager s’ils le souhaitent.

C’est ainsi que Camille, orthophoniste près de Nantes, m’a contacté. Après avoir lu “Des fois, je bégaie”, sa jeune patiente Fantine voulait partager son témoignage. Voici son message. 

"Bonjour, moi c'est Fantine. J'ai bientôt 10 ans, je suis en CM1. Je bégaie depuis la moyenne section. Le bégaiement m'embête plus dans la lecture. Des fois des personnes de ma classe se moquent de moi. Sur le coup ça me fait de la peine, mais après je me dis que c'est pas grave. Je vais voir une orthophoniste qui m'aide à trouver des techniques pour mon bégaiement."

Merci Fantine et merci Camille ! Je suis sûr qu’elles vont vivre ensemble une belle aventure au pays du bégaiement !

Laurent

23 sept. 2022

25 choses que j'aurais voulu savoir sur le bégaiement... en images

Il y a 10 ans, j'ai listé les 25 choses que j'aurais voulu savoir sur le bégaiement, la synthèse de ce que j'avais appris après des années de lecture, de réflexion, de rencontres et d’échanges avec des orthophonistes et des personnes qui bégaient. C'est l'article dont on me parle le plus souvent, et il a été traduit dans plusieurs langues. La Stuttering Foundation of America en a même fait un poster ! Il est aussi à l'origine de mon livre "Goodbye Bégaiement" et de sa traduction anglaise "21 things I wish II had known about stuttering". C'est assez drôle de savoir que ces quelques lignes ont eu plus d'impact que de longs articles que je me suis échiné à écrire :-)
Pour fêter ce dixième anniversaire, j'ai mis en image ces "25 choses". Voici les 9 premières, avec quelques commentaires. Bonne (re)lecture !

Laurent
Durant très longtemps, j’ai porté mon bégaiement comme un boulet. Je le vivais comme un échec dont j’étais responsable.J’ai eu la chance de travailler avec une psychologue et lorsque je lui ai expliqué que je vivais mon bégaiement comme un échec, elle m’a répondu simplement : « Laurent, le bégaiement n’est pas une faute et ce n’est pas ta faute. » Cela a été pour moi un déclic, une véritable révélation ! En comprenant que je n’en étais pas responsable, je me suis rendu compte que j’avais le droit de bégayer, que je pouvais bégayer, que ce n’était pas un drame puisque je n’en étais pas responsable. Le résultat, c’est que je me suis enlevé la pression énorme qui permettait justement au bégaiement de s’épanouir. Cette simple phrase a ébranlé mes pensées négatives, ma tension, mes stratégies d’évitement, tout ce qui contribuait à renforcer mon bégaiement. 
Vous n'êtes pas responsable de votre bégaiement et vous n'avez pas à en avoir honte. Il peut être génétique, neurologique, le résultat d'un traumatisme... Mais vous ne faites pas exprès de bégayer ! Cela ne fait pas de vous un être inférieur, moins intelligent ou moins compétent. Les études l'ont démontré et la réalité nous le confirme chaque jour. Il y a des personnes qui bégaient dans tous niveaux d’études et dans toutes les professions. Le bégaiement ne fait pas de vous un être inférieur mais différent. Et vous n’avez pas à culpabiliser de cette différence. En vous déchargeant de cette culpabilité, vous allez arrêter d’être obnubilé par le bégaiement et vous allez pouvoir commencer à avancer.
Le bégaiement fait partie de nous, c'est une partie de notre identité... Mais une partie seulement. Nous ne nous résumons pas à lui et c'est sans doute l'une des principales erreurs que nous faisons : être obnubilés par notre bégaiement jusqu'à le laisser prendre toute la place sur la photo, masquant tout ce qui fait aussi notre richesse et notre unicité. Beaucoup préfèrent utiliser le terme « personne qui bégaie » plutôt que « bègue » pour souligner justement que nous ne sommes pas que notre bégaiement, que notre définition ne se limite pas à cela.
L'acceptation est souvent synonyme de résignation et beaucoup de personnes se refusent à envisager ce qui est perçu comme une solution de facilité, une abdication, une solution piteuse pour résoudre son problème de bégaiement. En acceptant d’être aujourd'hui une personne qui bégaie, vous n'acceptez pas un état statique, définitif. C'est juste votre état à cet instant. Vous pourrez passer ensuite à l'état de personne qui travaille sa fluidité jusqu'à l'état de personne qui s'exprime comme elle le souhaite. C'est juste un point de départ mais il est essentiel pour entamer votre ascension. Le concept d’acceptation ne signifie pas que nous sommes destinés à rester dans notre condition ou que nous devons nous en satisfaire.
Joseph Sheehan, psychologue américain qui était aussi une personne qui bégaie, appelait cela le complexe du géant enchaîné : le sentiment que tous nos problèmes sont dûs au bégaiement et que tout serait possible s’il ne nous limitait pas. Mais lorsque nous apprivoisons notre bégaiement, nous découvrons que nous avons d'autres limitations… mais aussi d’autres capacités que nous pouvons mobiliser, indépendamment du bégaiement !
A 40 ans, alors que je me sentais seul, incompris et que je ne voyais aucune perspective de "guérison", j’ai découvert sur Internet les témoignages de personnes qui étaient passées par les mêmes peurs et épreuves que moi et qui expliquaient comment elles s’en étaient sorties ! J’étais enthousiasmé ! Voilà des gens dont je me sentais proche et qui me donnaient ce qui me manquait : de l’information, de l’espoir et un mode d’emploi. J’avais découvert une planète cachée et j’ai eu envie de révéler son existence aux francophones. C’est ce qui m’a donné l’idée de créer le blog Goodbye Bégaiement pour partager mon expérience et surtout celles des autres, synthétiser l’information utile et faire gagner aux personnes qui bégaient le temps que j’avais moi-même perdu ! En postant mon premier article, le 18 mai 2009, je ne pensais pas que cela changerait à ce point ma vie !
J’adore cette illustration, que j'avais traduite en français et présentée durant la Journée Mondiale du Bégaiement à Bruxelles. Après l'avoir découvert avec son orthophoniste, un jeune homme m’a écrit pour me dire que cela l’avait beaucoup aidé et qu’il faudrait mettre « l’escalier du succès » dans chaque dossier de patient, pour suivre régulièrement son évolution ! Comme quoi, un petit dessin vaut mieux qu’un long discours !

La réussite d'une situation de parole ne s'évalue pas en fonction de notre niveau de bégaiement. La communication passe par plein d’autres composantes que la parole parfaite : l’enthousiasme, le sourire, la gestuelle, l’écoute… Le succès, la récompense, c’est de réussir à dire ce que vous voulez, quand vous voulez, à qui vous voulez. Et le nombre de « bégayages » n’est pas important. La majorité des personnes qui bégaient se déclarent « guéries » lorsqu’elles se sont débarrassées de la peur du bégaiement, qu’elles cessent d’éviter les situations de parole et qu’elles ont une communication orale tout à fait satisfaisante dans la majorité des situations. Elles disent avoir encore quelques accrochages dans certains cas, mais la grosse différence est qu’elles ne les vivent plus comme la fin du monde. Elles ont retrouvé l’estime d’elles-mêmes et ont confiance dans leur parole. Vive l'imperfection !
Morgane : "C'est la différence qui pose problème mais on est tous différent, on est tous unique. Peut-être que je ne serais pas Morgane si je ne bégayais pas. C'est moi, tout simplement, mon bégaiement c'est moi ! Je vais plutôt remercier le bégaiement d’avoir existé en moi. J’ai pu apprendre de ces mauvaises expériences quelque chose de positif. Le bégaiement fait partie de moi, c’est mon caractère, ma qualité."

Gary : "Nos parents et amis ont des imperfections mais nous parvenons à en faire abstraction pour apprécier, malgré leurs faiblesses, leur amour et leur compagnie. Ce sont nos imperfections qui font de nous des individus à part entière et qui font que l’on se souvient de nous. Embrasser nos faiblesses, c’est souligner que nous sommes uniques."

Oser renforce votre confiance et enclenche un cercle vertueux. En osant, je me rends compte que ce n’est pas si difficile que prévu et, même si ça l’est, ça le devient de moins en moins. Je remplace la frustration par la satisfaction d’avoir osé. J’ai une meilleure image de moi. Je reprends confiance. Cette confiance me porte pour oser d’autres choses. J’ose un peu plus… On retrouve ce cercle vertueux dans de nombreux témoignages de personnes qui bégaient.
Pourquoi un soulagement ? Parce que vivre en essayant de cacher son bégaiement est épuisant, frustrant, comme en témoigne Patricia : "J’étais vraiment fatiguée de vivre sous pression à chaque instant, de ne pas pouvoir employer les mots que je voulais, ne pas vivre normalement aussi bien à l'extérieur que chez moi. Je pense que je me sentais prisonnière du système que j'avais créé pour m'exprimer. "

Une seule solution alors : tomber le masque. En effet, ceux qui ont décidé de crever l’abcès et de parler ouvertement de leur bégaiement sont unanimes : c’est un soulagement !

Ainsi, Patricia a suivi un stage collectif avec une orthophoniste. Au bout de trois jours, elle s’est retrouvée dans la rue, arrêtant les passants pour leur demander de répondre à une enquête sur le bégaiement ! Voici son ressenti : "Je n'en avais jamais parlé à personne et je me retrouvais tout à coup en train d’expliquer à un parfait inconnu que je bégayais ! Quand j'ai terminé mon premier questionnaire, j'avais envie de crier et de sauter dans tous les sens tellement j’étais heureuse ! "


A suivre... 

11 juil. 2021

Parution de mon premier roman : "Troisième jeunesse" !


Chers ami(e)s Goodbye Bégaiement,

Aujourd’hui, j’ai une nouvelle fabuleuse à partager avec vous ! Mon premier roman est édité et est le coup de coeur des lectrices du Prix Femme Actuelle 2021, présidé par l’écrivaine Françoise Bourdin !

Je suis trop heureux ! Depuis l’enfance, l’écriture a été pour moi un moyen d'échapper à la frustration du bégaiement. J'ai pu ainsi m’exprimer pleinement, librement et avec plaisir. Cela a abouti à la création de ce blog, qui est une expérience merveilleuse, avec la rédaction de plus de 150 articles, la traduction de deux livres et l’écriture de “Goodbye Bégaiement voyage au pays du bégaiement” pour lesquels j’ai régulièrement des retours émouvants. C’est l’occasion pour moi de vous en remercier ! 

Avec “Troisième jeunesse”, une autre aventure démarre. Comme dans mes articles sur le bégaiement, j’ai voulu dédramatiser des situations difficiles : la vieillesse, la perte des êtres chers, les enfants différents... et faire passer le message qu’il n’est jamais trop tard pour assumer sa différence, changer sa manière de penser et réaliser ses rêves. Si vous écrivez, mon aventure montre aussi qu’on peut être publié en envoyant son manuscrit à un éditeur. Oui, c’est possible ! 

En ce moment, je flotte sur un petit nuage. Si vous voulez me soutenir et m’encourager dans cette nouvelle expérience, n’hésitez pas à commander ce premier roman (disponible en librairie, à la FNAC, chez Cultura, sur Amazon, en ebook…) et à en parler autour de vous ! 

Merci à toutes et à tous pour toutes ces années ensemble et vos encouragements. Ce roman n'existerait probablement pas si je n'avais pas bégayé ! Voici une nouvelle occasion de citer mon dicton préféré : "Bonnes nouvelles, mauvaises nouvelles ? Qui peut savoir ?"

Laurent





9 déc. 2020

Le volcan, une représentation explosive du bégaiement !




Joseph Sheehan a eu l’idée de représenter le bégaiement sous la forme d’un iceberg. Les blocages, répétitions, prolongations, grimaces ou tensions forment la partie visible. Les émotions et pensées négatives (la honte, la culpabilité, la peur…) constituent la partie la plus importante, dissimulée sous la surface. 

Il existe une autre analogie, moins connue mais beaucoup plus parlante à mon goût : celle du volcan. Anne Smith, une spécialiste américaine du bégaiement, a été la première à l’utiliser en 1999. La cheminée centrale du volcan peut être comparée à la trachée, le cratère à la bouche. La fumée, les cendres, la lave sont les manifestations extérieures du bouillonnement intérieur. Elles jaillissent de notre bouche, impressionnantes, tombent et refroidissent, se solidifient et bâtissent peu à peu les pentes de notre volcan, jusqu’à former une montagne de sédiments, de roches et de lave solidifiée : les souvenirs de nos bégaiements et de nos renoncements. 

Pour Anne Smith, examiner les phénomènes de surface (le nombre de syllabes bégayées, les tremblements,...) pour comprendre le bégaiement est aussi vain que d’étudier la fumée, les cendres ou la lave pour comprendre le fonctionnement d’un volcan. Il a fallu attendre les années 60 pour que les volcanologues comprennent que le chevauchement des plaques tectoniques était à l’origine de l’activité volcanique. De la même manière, il a fallu plonger au coeur du volcan du bégaiement pour découvrir le magma incandescent formé par la prédisposition génétique, la peur, la honte, la culpabilité, l’anxiété, la mauvaise estime de soi. Lorsque les plaques tectoniques (situations de paroles et auditeurs) s’entrechoquent et se chevauchent, elles font monter en pression ce magma. Cette pression se diffuse dans notre corps, remonte par la trachée, nous saisit à la gorge, contracte notre langue et nos lèvres, déclenchant une éruption incontrôlée. 

L’analogie est aussi particulièrement pertinente parce que, tout comme l’éruption, le moment de bégaiement est un phénomène imprévisible, qui résulte d’une interaction complexe de multiples facteurs et varie en fonction du contexte (parler seul ou à un animal, lire, faire un exposé, raconter une histoire) et des interlocuteurs (parents, amis, collègues, inconnus, figures d’autorité).

Vous l’aurez compris, j’aime beaucoup cette image du volcan du bégaiement, aux entrailles bouillonnantes, endormi ou en éruption, et la préfère désormais à l’immobilisme glacé de l’iceberg. Désolé Joseph…

Le dessin d’illustration a été réalisé par ma fille Heïdi et je la remercie pour ce beau cadeau. Elle avait 7 ans lorsque j’ai créé le blog, elle en a 19 aujourd’hui... Il peut naître de bien belles choses d’un volcan 🙂 Merci aussi à Sandrine, Baptiste et Joanna, mes trois autres Fantastiques.

Laurent

29 juil. 2020

La statue de Laura

Laura est étudiante en arts appliqués. Pour le concours d’entrée de l’école des Beaux-Arts, elle a réalisé une statue qui représente son bégaiement. Voici les photos de son oeuvre et ses explications. J'ai été frappé par la puissance et la justesse de ses mots et de sa création. Nous avions l'iceberg de Sheehan, nous avons désormais la statue de Laura ! Merci et bravo !


"La partie noire (en bois) est imposante, lourde, elle montre le poids qu’occupe le bégaiement dans ma parole et mon esprit. La couleur noire montre les pensées négatives qu’apporte ce trouble. La fissure représente la fragilité de la parole, c’est à dire qu’à tout moment les mots peuvent bloquer et être accompagnés de tensions. Les vis et les rondelles représentent la froideur, la difficulté à l’accepter.

A l’intérieur de la bouche se trouvent des mots concernant des conséquences physiques du trouble : Perte de contrôle, blocage, tension et des conséquences psychologiques, celles que les autres ne voient pas : peur, isolement, colère, frustration, appréhension, hésitation, honte, souffrance, découragement, tristesse.


Ces mots sont prisonniers comme le personnage à l’intérieur. Ce dernier me représente, il est noir pour montrer le lien qu’il a avec la statue (le bégaiement). Je me trouve à l’intérieur d’un fond jaune, qui peut être interprété comme le bonheur ou bien l’espoir. Le bégaiement me prive de certains instants de bonheur/liberté : « prendre la parole en public », « dire ce que je pense », etc. Cependant à l’intérieur de lui, reste une lumière, une part d’espoir, l’espoir d’arriver un jour à l’accepter.
Les mots sur le ruban tentent de passer au-delà des barreaux, cela montre le début de l’acceptation.

D’avoir présenté cette statue au début de l’épreuve m’a libérée pour la suite de l’entretien face au jury : je savais qu’ils savaient."

16 mai 2020

L'odyssée de Gen

En 2016, j'ai été invité à Montréal par l'Association Bégaiement Communication et j'ai rencontré des personnes formidables. J'avais notamment été frappé par la détermination et l'énergie de la jeune vice-présidente Geneviève Lamoureux.

Celle-ci vient d'annoncer une grande nouvelle : elle reprend ses études et a été admise à la maîtrise en orthophonie de l'Université Laval (Québec).

A cette occasion, elle a écrit un texte magnifique sur son parcours et l'évolution de son rapport au bégaiement. C'est un gros coup de boost en cette période si particulière. Bonne lecture !

"Je ne sais pas si vous le saviez, mais le mois de mai, c'est le mois de la communication ☺️ À cette occasion, l'organisme Association bégaiement communication, où je travaille, a demandé aux personnes touchées par le bégaiement de partager du contenu sur le sujet. Le montage photo (plus bas) est ma participation.

Certains d'entre vous - qui ne m'ont pas vue depuis quelques années - ne savent peut-être pas que j'ai un bégaiement, aussi appelé trouble de la fluidité. En gros, j'ai beaucoup moins de contrôle sur la production de ma parole que le commun des mortels. Il s'agit, autrement dit, d'un dysfonctionnement de la production de la parole. Contrairement à certaines idées reçues, ce n'est pas causé par le stress ou la gêne, mais ces derniers ont, oui, une influence sur lui. Le bégaiement fait partie des troubles neurologiques, aux côtés par exemple de la dyspraxie, de la dyslexie et du syndrome de la Tourette.

J'ai longtemps caché le bégaiement - ou plutôt, j'ai longtemps tout, tout, tout fait pour le masquer le plus possible. Parce que j'avais honte, je me jugeais anormale, je n'en savais presque rien et je ne connaissais littéralement aucune autre personne qui bégayait.

À l'âge de 22 ans, j'ai vécu un point tournant dans mon parcours avec le bégaiement. À l'aube d'un échange d'étude d'un an aux Pays-Bas, alors que je venais de déménager dans un autre pays et que je devais m'adapter à une tonne de changements, notamment une nouvelle langue, j'ai réalisé qu'il était intenable de continuer à cacher ainsi ma différence. Bref, je n'arrivais plus à gérer.

Pour m'aider, j'ai commencé notamment par me joindre à un groupe d'aide aux Pays-Bas, où j'ai rencontré pour la première fois d'autres personnes qui bégayaient (et en néerlandais, en plus!). J'ai aussi rejoint des groupes de soutien virtuels. J'ai commencé à en parler autour de moi. De retour au Québec, j'ai commencé à m'impliquer à l'Association bégaiement communication. Pour moi, c'était des pas de géant. Avant cela, il était hors de question de m'exposer et de révéler ainsi ma vulnérabilité.

Aujourd'hui, six ans plus tard, je contemple avec beaucoup de joie tout ce que j'ai retiré de cette ouverture. J'ai, par exemple, un réseau de soutien incroyable - aujourd'hui, je peux affirmer que je connais autant de personnes qui bégaient que de personnes qui ne bégaient pas (!), j'ai voyagé à plusieurs reprises pour participer à des congrès sur le sujet, j'occupe maintenant un emploi dans le milieu (à l'Association bégaiement communication, justement), je donne des conférences-témoignages dans des cours d'orthophonie... et, attention, grosse nouvelle : je viens d'être admise à la maîtrise en orthophonie à l'Université Laval. Eh oui, retour aux études dans un domaine qui me passionne à fond la caisse.

Certainement, tout n'est pas rose avec des arcs-en-ciel (hihi) tous les jours. Il y a des moments plus difficiles que d'autres. Certains jours, je suis fatiguée et je choisis mes batailles. Certains jours, j'ai honte, et je me sens niaiseuse d'avoir honte. J'apprends aussi à être douce avec moi-même.

Depuis que je bégaie plus ouvertement, je me rends compte que, comme mon énergie n'est plus gaspillée à orchestrer toutes sortes de tactiques farfelues pour cacher ma différence, je suis plus présente à moi-même, plus attentive à l'autre, plus dans une relation de partage que je ne l'étais auparavant. J'ai aussi appris à faire preuve d'ouverture : tout le monde ne peut pas connaître le bégaiement, et il faut pardonner les faux pas lorsqu'ils arrivent. Par contre, j'apprends à me permettre d'être une ambassadrice de la cause lorsqu'il le faut.

En ce mois de la sensibilisation à la communication, je me sentais inspirée à écrire un petit quelque chose sur ce sujet qui me touche particulièrement. Si jamais vous rencontrez quelqu'un qui ne parle, n'entend ou ne réagit pas « comme tout le monde », ne faites pas seulement l'accueillir comme il est : enrichissez-vous de son rapport différent au monde. Ce qui est beau, c'est de voir ce « comme tout le monde » s'agrandir d'année en année, de voir ses limites devenir de plus en plus floues, de plus en plus libres, de plus en plus éclatées. On a tous notre place dans la mosaïque vivante de ce « comme tout le monde ». Faites la vôtre.

Geneviève"

26 déc. 2019

Ce que Joe Biden ne parvient pas à dire



J’ai lu cette semaine un article passionnant sur Joe Biden et le rôle joué par son bégaiement dans la course à la présidentielle américaine. Dans “ce que Joe Biden ne parvient pas à dire”, le journaliste John Hendrickson, qui bégaie aussi, explique comment l’ancien vice-président d’Obama se retrouve piégé dans son histoire de conquérant du bégaiement et son refus de reconnaître qu’il peut encore bégayer.

Après un débat télévisé particulièrement difficile. Fox news a réalisé un montage de ses accidents de parole, avec des commentaires peu charitables sur “le périlleux trajet des mots entre son cerveau et sa bouche.” Ses hésitations et blocages amènent ses opposants et certains média à railler son image de candidat vieillissant, bredouillant et perdant ses moyens. Lorsqu’il bute sur le mot “Obama” et s’en sort en le substituant par “mon boss”, les journaux titrent le lendemain “Il a oublié le nom d’Obama !”.

Son équipe de campagne a donc fini par accepter cette interview d’un journaliste qui bégaie. Pour la première fois, Joe Biden est revenu sur ses souvenirs de jeunesse et de bégaiement..

“Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas bégayé.. Mais je me souviens de la sensation… Les années de collège et de lycée ont été les plus difficiles. On parle des pestes mais elles ont aussi leur équivalent masculin.” Au lycée, certains le surnommaient “tiret”, en référence à l’alphabet morse. Point, point, point, tiret, tiret, point, point…

Même les professeurs pouvaient être cruels. Il raconte un épisode particulièrement marquant, survenu en classe de cinquième. “Les étudiants devaient lire à tour de rôle. J’étais le 5ème à passer…” Il avait fait le décompte des paragraphes à venir pour mémoriser celui qu’il devrait lire. Il s’en souvient encore par coeur, ainsi que de l’endroit où il a buté. Un blocage l’a fait sortir en deux mots “gentle man” (au lieu de “gentleman”). Sa professeur était une nonne, bien peu catholique pour le coup… Elle l’a immédiatement repris, en imitant son bégaiement : “Mr Bi-Bi-Bi-Biden, quel est ce mot ?”

Biden raconte qu’il s’est levé et a quitté la classe en signe de protestation. Sa mère, Jean, l’a ramené à l’école et affronté la nonne. “Si vous refaites ça, j’envoie valser votre cornette !” Il lui reste de cet épisode un sentiment de colère, de rage et d’humiliation.

C’est là que naît son récit, sa légende personnelle : à force de travail et de volonté, il a vaincu le bégaiement. Il s’est astreint à réciter des vers de Yeats et d’Emerson devant son miroir, en travaillant le rythme et les pauses, en comptant le nombre de mots qu’il pouvait dire sur une expiration.

“Cela fait des décennies que je n’ai pas ressenti la peur de bégayer que ce soit devant des foules de 80, 800 ou 80 000 personnes.” A tel point que nombre de ses partisans et opposants ignorent son histoire. Sarah Sanders, l’ex porte-parole de Trump, s’est ainsi moquée de son bégaiement sur twitter avant de présenter ses excuses.

Dans la communauté bègue, on s’agace de voir les médias présenter les accidents de parole de Biden comme un signe de déclin mental. Une responsable associative déplore : “C’est Biden qui permet cela en ne disant pas les choses clairement.” Toutefois, elle n’est pas sûre que plus de sincérité bénéficierait à sa candidature. “Je crois qu’il s’est enterré lui-même dans un trou en refusant de dire qu’il bégaie toujours. Ca fait si longtemps que les gens trouveraient bizarre qu’il dise maintenant le contraire.” Biden partage également cette inquiétude. Dans un discours en 2016 au gala de l’American Institute for Stuttering, il explique avoir décliné une précédente invitation quelques années auparavant. “J’avais peur qu’en apprenant que je bégaie, les gens pensent qu’il y avait un truc qui n’allait pas chez moi.”

Emprisonné dans ce récit, il lui est maintenant inimaginable d’avouer qu’il peut encore bégayer. D’habitude si volubile, il se renferme lorsque le journaliste essaie de l’y amener. Il vient d’une école de garçons, où on ne montre pas ses faiblesse, et appartient à une ancienne génération, manichéenne, celle des bons et des méchants. “C’est le type fiable, tenace, l’aviateur aux bras croisés. Ce type ne bégaie pas ; il A bégayé.”

Dans le premier chapitre de ses mémoires, Biden écrit “mon père m’a enseigné la valeur de la constance, de l’effort et du travail, et il m’a appris à porter les fardeaux avec élégance. Il citait souvent Benjamin Disraeli : “Never complain, never explain”. Ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer.

Il voue ainsi une admiration sans borne pour le courage du roi George VI et parle de l’émotion qu’il a ressenti devant le film “Le discours d’un Roi”. “Oh ! Mon Dieu ! Je me suis souvenu de ce qu’on ressent, ce sentiment de sombrer, d’être aspiré dans un trou noir. Ils savaient le courage que ça lui demandait de se tenir debout dans ce stade en essayant de parler. Et ça leur a donné le courage… “ Il a eu accès à un carnet de notes du roi, retrouvé au fond d’un grenier, et a été émerveillé de voir que George VI, comme lui, notait les pauses dans son discours : x mots - respiration - y mots - respiration. “C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour lire mes discours”, explique-t-il. Son équipe note même ces pauses sur le texte de son prompteur.

Dans la plupart de ses apparitions et interviews, Biden explique comment il a “surmonté” le bégaiement et comment les autres peuvent aussi le faire. Dans des vidéos postées par son équipe de campagne, il encourage les jeunes bègues à suivre son exemple.

Ce message sous-jacent “vaincre à tout prix” véhiculé par Biden va pourtant à contre courant du mouvement actuel de “normalisation” du bégaiement. La tendance est de déstigmatiser ce trouble, comme on le fait pour l’autisme, qu’on ne présente plus comme une pathologie mais comme une “neurodiversité”. L’idée est d’accepter, d’embrasser son bégaiement. La recherche a montré que le simple fait de dire “je bégaie” est bénéfique aussi bien pour la personne qui bégaie que pour son interlocuteur. Le premier explique ce qui se passe et relâche la tension et la gêne ; le second arrête de se demander ce qui ne va pas chez l’autre.

Certaines personnes qui bégaient souhaiteraient donc que Biden soit davantage transparent sur ses disfluences ponctuelles. C’est le cas d’Eric S. Jackson, spécialiste des troubles de la communication et bègue lui-même : “Dans le monde entier, la course à la présidentielle est le stade ultime. S’il se présentait en disant : “je bégaie toujours et tout va bien”, ce serait un message formidable.

C’est ce que souhaite également Joe Hendrickson : “Je ne veux pas entendre Biden dire “je bégaie toujours” pour prouver quelque chose ; je veux l’entendre parce que, en tant que candidat à la présidence, cela signifierait que le bégaiement n’est vraiment pas un problème - pour lui, pour moi, ou pour les enfants que nous étions.”

Mais Biden reste empêtré dans cette histoire de rédemption. Il se penche vers le journaliste et lui souffle son mantra, les yeux dans les yeux : “Vous ne devez pas laisser le bégaiement vous définir.”

“En gros, il me dit que mon bégaiement n’est pas important, et j’ai envie de lui dire la même chose”, écrit Hendrickson.

Mais Joe Biden semble encore loin de cette acceptation et de ce lâcher prise. Quand Hendrickson lui demande : “Aujourd’hui, quand vous regardez l’adolescent qui s’exerce dans sa chambre devant son miroir, que voyez-vous ?”, le candidat lui répond :

“Il a l’air heureux. J’ai l’impression qu’il maîtrise.”

Voici le lien vers l'article original de Joe Hendrickson.

27 juin 2019

Entretien avec Malick : « Ce que je retiens, c’est que nous sommes plus que le bégaiement. »

Après Damien, c’est au tour de Malick de partager son expérience du concours de l’Eloquence du Bégaiement. Il nous explique de manière détaillée ce qu’il a appris et partage avec nous les secrets de la préparation. Grâce à lui, vous allez vivre le concours de l’intérieur et bénéficier des conseils pratiques de ses professeurs. A lire et à relire pour vos prochaines prises de parole en public !

Quel âge as-tu et que fais-tu comme études ou métier ?

J’ai 35 ans. Je suis doctorant, chargé de cours à l’université.

Comment décrirais-tu ton bégaiement ?

Mon bégaiement est plus ou moins sévère selon les situations, les interlocuteurs et les moments. Physiquement, il se manifeste par des tensions et un blocage net. La timidité n’aidant pas, il se produit aussi une perte du contact visuel avec mon interlocuteur.

Suis-tu une thérapie ?

J’ai suivi une première thérapie que j’ai arrêtée au bout de 6 mois parce que je ne comprenais pas pourquoi je devais la faire. En réalité, mon rapport avec le bégaiement était complexe à l’époque.
Je suis né au Sénégal où j’avais fini par comprendre que mon bégaiement était condamné à demeurer ainsi, qu’il était sans solution. Alors, je devais l’accepter et vivre avec. J’avais besoin de comprendre pourquoi je devais faire le contraire de ce que j’avais compris pendant plus de 20 ans. Après cette première expérience thérapeutique qui ne me semblait pas utile, j’ai beaucoup lu sur le bégaiement parce que je ne le connaissais pas malgré le fait que je bégaie beaucoup. 
Pourquoi moi ? Pourquoi je bégaie ? Comment se passe-t-il ? Comment se manifeste-t-il ? Dans quelles situations ? etc. ; autant de questions que je me posais. Au bout de 2 ans de réflexion, de lecture et de mûrissement, j’ai repris contact avec l’orthophoniste Cécile Couvignou qui m’a suivi plus de 4 ans. D’ailleurs, c’est grâce elle que j’ai découvert le concours.

Quelles étaient jusqu'à présent tes expériences à l'oral ?

Je suis en permanence confronté à la prise de parole en public.
- En tant que doctorant car je dois faire des présentations orales lors d’événements (colloques, séminaires, etc.) ;
- En tant qu’organisateur d'événements ;
- En tant que chargé de cours ;
- En tant que chargé de mission dans les services publics où le quotidien est rythmé par les réunions, les comptes rendus, etc.

En effet, tu avais déjà une belle expérience ! Pourquoi as-tu voulu participer à ce concours ?

D’abord, je voulais rencontrer d’autres personnes qui bégaient afin d’échanger et partager sur nos vécus. Je voulais également sortir de ma zone de confort. En voyant mon parcours, on peut facilement croire que je dois être forcément à l’aise avec la prise de parole en public. C’est tout le contraire. En réalité, je travaillais énormément avant mes interventions. Je cherchais à maitriser le moindre détail afin d’éviter toute forme de stress, source de blocages. C’est épuisant physiquement et moralement surtout lorsqu’en cours d’intervention, le bégaiement me rappelle qu’il est toujours là. 
Tellement je me focalisais sur le bégaiement que j’avais en permanence la sensation de m’oublier. 
Avec la thérapie, j’ai appris à lâcher prise ; ce qui est moins fatigant car en laissant de côté certains détails, je peux me concentrer sur l’essentiel : échanger avec l’autre et vivre l’instant présent. 

J’ai aussi travaillé sur d’autres vecteurs de communication tels que le regard avec lequel j’avais beaucoup de mal. Le concours était justement l’occasion de mettre en pratique ces techniques et astuces qui vont au-delà de la fluence. Il y’a un point que je n’avais pas en vue lorsque je me suis inscrit au concours mais qui s’est révélé important au fur et à mesure : apprendre à libérer les émotions et à les partager. J’avais tendance à penser que plus je maitrisais les émotions, moins je bloquais. L’inconvénient est que cela rendait le message ou le discours lisses ; ce dont je n’avais pas conscience. J’ai dû apprendre à me dévoiler émotionnellement pour donner vie au discours. « Pour un discours de qualité, il faut donner de sa personne », pour paraphraser un des formateurs. Je continue à travailler ce point.

Donc tu décides de t’embarquer dans cette aventure et de partir à la conquête du lâcher prise. Comment s’est déroulée la préparation du concours ? Qu'as-tu appris et comment ?

La préparation du concours s’est déroulée en deux phases : des sessions de formation avec des orthophonistes et des spécialistes de la parole et de l’éloquence, et des ateliers pratiques. 

Les sessions de formation se sont déroulées sur trois journées entières (3 samedis). La plupart étaient sous forme de mini-ateliers de mise en situation. D’ailleurs, les formateurs ont beaucoup interagi avec nous et ont veillé à ce que chacun puisse participer. Cela nous a souvent conduits à sortir de notre zone de confort. Les formations ont été complétées par des ateliers, les mardis et jeudis, pour continuer la mise en situation, préparer le concours et répéter. Ils nous ont aussi permis de mieux faire connaissance entre nous. 

Nous avons eu plusieurs intervenants :
• Stéphane André, fondateur de l’école d’art oratoire de Paris, spécialiste de l’éloquence ;
• Eddy Moniot, acteur et formateur d’éloquence est intervenu sur le discours, la mise en scène et l’occupation de l’espace ;
• Guillaume Prigent, gagnant de plusieurs concours d’éloquence et acteur incontournable à l’origine de plusieurs initiatives portant sur l’éloquence nous a fait travailler sur l’argumentation ;
• Michaela Perron, orthophoniste, chercheuse en fluence et Mounah, cofondateur de l’Eloquence du Bégaiement nous ont amenés à prendre conscience d’autres manières de transmettre son message et ses émotions, au-delà des mots et de la fluence ;
• Isabelle Chataignier et Charles Haroche, avocats et formateurs d’art oratoire sont intervenus sur la construction du discours et la structuration des arguments ;
• Patricia Oksenberg et Ourdia Farge, orthophonistes, nous ont appris à tout lâcher et à exprimer nos émotions, au-delà du verbal.

Stéphane André est essentiellement intervenu sur l’art oratoire, l’art dramatique, les techniques aidant à l’éloquence et nous a transmis des astuces pour une prise de parole publique aisée. Il nous a fait travailler sur les points suivants :
• Point 1 : La pratique de l’art oratoire pour une « écoute et un regard écologiquement justes » :
- Découvrir son style ;
- Rythmer sa prise de parole (trouver son tempo) pour gagner en fluidité grâce à la voix au souffle ;
- Transmettre les émotions à son auditoire par le regard ;
- Connaître sa propre voix ;
- Bien positionner son corps ;
- Occuper l’espace disponible ;
- Créer une connexion avec le public : il est important de sentir que le public est prêt à recevoir le message transmis.
• Point 2 : L’entrée en scène et sur scène :
- Bien positionner son dos (système d’appui) et bien placer son regard (pour la transmission de flux) :
- Le bon positionnement du dos permet au regard de s’installer confortablement. J’ai ainsi retenu que le regard se vérifie à partir du dos. Et il est important de se tenir droit pour trois raisons : l’élégance, le son (le dos amène la voix), l’efficacité de la voix.
• Point 3 : Le passage de la personne au personnage :
- Séparer l’auteur (préparation du discours) de l’acteur (pendant la scène) et veiller, avant d’entrer en scène, au passage de la personne au personnage (incarnation de l’idée).

Ses conseils :
• Veiller au regard facial pour créer la connexion avec le public (le regard permet d’écouter son public et de sentir quand il est prêt à recevoir le message) ;
• Veiller à avoir une posture droite le regard s’installe plus aisément et la voix se projette plus facilement.

Avec Eddy Moniot, nous avons travaillé sur « Convaincre en transmettant une émotion ». Il a procédé en deux temps : une partie théorique portant sur la construction d’un discours et une partie pratique, sous forme d’atelier de mise en situation.
Concernant la partie théorique, il est revenu sur les 5 éléments d’un discours classique : l’exode (attirer l’attention), la narration (garder l’attention, en racontant une histoire par exemple), l’argumentation (en général, trois arguments, trois idées principales), le contre-argument (un contre-argument, en général), la péroraison (montante ou descendante pour le discours « avec classe »). Sur la seconde partie, il nous a conduits à prendre conscience de l’importance du contenu du message : « Qui est-on ? », « Qu’a-t-on à dire ? », « Comment le dit-on ? ». Il nous a appris à nous appuyer sur le public, à créer une connexion avec lui en mobilisant des références ou des exemples communs.

Ses “Top règles” :
• Etre bien ancré au sol ;
• Projeter sa voix sans crier ;
• Respirer afin de rythmer et fluidifier sa prise de parole ;
• Faire des pauses pour donner corps au discours ;
• Créer une connexion avec le public.

Guillaume Prigent nous a présenté l’argumentation, a rappelé les éléments du discours et est revenu sur l’importance de la structure de l’argumentation. Les points importants qu’il a soulevés sont :
• Les typologies d’arguments : rationnel (vrai), émotionnel (sens, intuition), moral (juste/injuste) /littéral, intellectuel, éthique. Il est possible de les mixer dans un discours ;
• Le choix des arguments (faits) ;
• Le déroulement de chaque argument : avancer une question ou un problème (a), proposer une idée de solution (b), présenter une preuve ou un exemple (c). Entre chaque argument, il faut marquer un silence, changer de tonalité de voix (si nécessaire) afin de dire au public qu’on passe à l’argument suivant ;
• Les preuves pour démontrer que l’on a raison en 4 étapes : l’introduction (terrain tamisé), l’exorde (une histoire), l’argument (2 ou 3 max), la chute ;
• La conclusion : pour conclure, deux possibilités existent : adopter soit une voix ascendante (qui signifie un appel à l’action), soit une voix descendante (en mode discussion, signifiant un appel à la réflexion)

Voici ses conseils :

1. Trouver les arguments ou des idées, les structurer, les classer et construire son discours en 6 étapes :
• Etape 1 : chercher et poser ses idées en allant chercher dans les dictionnaires, les citations, les oeuvres, les situations de la vie courante, etc. ;
• Etape 2 : décortiquer et classer ses idées selon le sujet à traiter ;
• Etape 3 : faire des alliages entre les différentes idées selon les classements faits précédemment ;
• Etape 4 : répartir les idées selon les arguments ;
• Etape 5 : se positionner ;
• Etape 6 : construire son discours.

2. A l’oral :
• Dire les choses le plus simplement possible ;
• Mobiliser des exemples accessibles ou des références communes (qui parlent à un maximum de personnes) ;
• Être démonstratif ;
• Nuancer les styles ;
• Faire varier sa voix ;
• Occuper l’espace ;
• Veiller à la voix (calme, ralentie, rythmée) et au regard.

Michaela et Mounah sont revenus sur les points suivants :
• Le regard
- Le rythme du regard à caler sur le rythme de la parole
- Trouver des points de repère pour avoir l’impression de regarder tout le monde
• Rythmer le discours par les silences et les pauses
- Mixer les pauses pleines (heuuuu, par exemple), les pauses vides, les pauses d’ordre rhétoriques/oratoires/syntaxiques. Par exemple, sur une phrase : pour certains… (pause)…les choses…(pause)…sont…(pause)…simples. Cette pause syntaxique permet de réguler ou de jouer sur la mélodie de la voix. Il est important, en tant que personne qui bégaie, de jouer sur ses pauses pour asseoir sa parole, reprendre son souffle et donner une vie au discours.
• Faire attention à l’association de mots
• Etre authentique (à différencier de la sincérité)
• Identifier son style de discours : rationnel, intellectuel, émotionnel, moral, affectif, etc.
• Identifier ses forces.

En deux temps, Isabelle et Charles sont intervenus sur « Comment structurer ses idées » ; « Traiter le sujet, rien que le sujet, tout le sujet » :
• Un premier temps d’échange sur des exemples de « bons discours » et « moins bons discours », de Malraux à Martin Luther King, en passant par Barack Obama, Charles De Gaulle, Jean Moulin, Abbé Pierre, etc.
• Un deuxième temps consacré à « Comment on écrit un discours » en intégrant les trois éléments : Logos, Pathos, Ethos (Aristote) en 6 trois étapes :
- Etape 1 : chercher et noter toutes les idées
- Etape 2 : Associer des mots
- Etape 3 : sélectionner des arguments : c’est à cette étape que l’orateur construit le fil rouge de son argumentation en veillant à la logique entre les arguments répondant au sujet dans son ensemble. Il doit veiller aussi à la disposition des arguments en suivant par exemple la méthode Nestokienne : commencer avec un argument fort (pour marquer un coup et donner une 1ère « bonne impression ») – suivi de l’argument le plus faible – terminer avec l’argument fort (dernière « bonne impression »).
- Etape 4 : trouver son style et intégrer des éléments de langage pour construire la sonorité ou la musicalité du discours ; cela permet de marquer les esprits et de transmettre plus aisément son message ;
- Etape 5 : mémoriser (ou maîtriser) son discours ou l’avoir à disposition via une feuille de chemin, un parchemin, etc.)En deux temps, Isabelle et Charles sont intervenus sur (ou maîtriser) son discours ou l’avoir à disposition via une feuille de chemin, un parchemin, etc.)
- Etape 6 : incarner son personnage.

Leurs conseils :
• Alterner les arguments ;
• Se mettre en scène et parler de soi ;
• Faire des phrases courtes ; éviter les phrases à rallonge ;
• Adapter son message à son auditoire ; porter une attention sur « A qui on le dit ? » et
« Comment on le dit ? »
• Imprimer son discours, sa feuille de route en gros caractère, faire des petits paragraphes, faire des sauts de ligne, intégrer des codes couleurs, etc.

Patricia et Ourdia nous ont appris à occuper l’espace, à lâcher prise, à faire confiance et s’appuyer sur son public, surtout à être soi-même tout en faisant attention à ce qui nous entoure.

Merci pour cette description détaillée, c’est passionnant ! Après cette préparation intense, le jour du concours arrive : comment cela s’est-il passé ?

Le concours s’est bien déroulé dans son ensemble. Je me suis arrêté en demi-finale. L’avantage de faire la première édition est d’y aller sans a priori. En effet, comme dit plus haut, je me suis inscrit, d’abord, dans le but de rencontrer et d’échanger avec d’autres personnes concernées par le bégaiement. 

Le premier tour était plus difficile car il fallait parler de soi. En général, je ne suis pas très à l’aise dans cet exercice. D’ailleurs, cette grande discrétion m’est souvent reprochée. Le plus dur était de mettre de l’émotion dans le discours car j’ai appris à la contrôler afin de ne pas me laisser submerger et bégayer. Donc, en amont du concours, j’ai beaucoup travaillé sur le lâcher prise, les émotions, le regard, etc. En effet, en parlant, j’ai tendance à me focaliser sur mes blocages et à oublier que ce n’est pas seulement une performance. Il s’agit d’être avec l’autre et de partager avec lui un bout de son histoire. Bien évidemment, j’étais très stressé le jour du concours. Des séances personnalisées de relaxation étaient proposées. J’ai essayé autant que faire se peut de mettre en pratique les techniques et astuces. Ce n’était pas facile de penser à les mobiliser une fois sur scène. C’est intéressant de se rendre compte à quel point les vieux réflexes peuvent revenir dans des moments de stress. C’était l’occasion de faire l’effort de sortir de sa zone de confort et encore une fois de lâcher prise. Nous pouvions répéter avec les autres et avoir des retours ; ce qui permettait de faire des ajustements si nécessaires.


J’étais moins stressé au second tour. Je commençais même à m’amuser. Nous avions un sujet et une position imposés. Pour moi, c’était « Existe-il des bons mensonges ? » et je devais défendre la position du « Oui ». Le sujet m’a beaucoup passionné. Alors, pour défendre ma position, rendre vivants mes arguments et convaincre le jury, j’ai dû me mettre en scène. C’était l’occasion de me (re)découvrir autrement, de me rendre de facettes que je ne soupçonnais comme jouer en fond l’aspect théâtral ou comique. C’est une facette qui m’a surpris d’autant que j’avais peur d’être ridicule. D’ailleurs, j’ai beaucoup hésité avant de monter sur scène. Finalement, je me suis laissé porter par le discours et le soutien du public pour tout lâcher. Le bégaiement était relégué au second plan. 

Ce que je retiens des prestations, c’est que nous sommes plus que le bégaiement, nous avons beaucoup plus de facettes et de choses à offrir. Si on est soi-même convaincu et passionné, les autres le perçoivent et accueillent ce que nous racontons avec bienveillance ; peu importe que nous bégayions ou pas. J’ai appris aussi qu’on n’est jamais ridicule quand on s’ouvre aux autres, qu’on se dévoile ou qu’on est soi-même. Au contraire, c’est une confiance qu’on accorde et une complicité qui s’installe ; n’est-ce pas là un des plaisirs de l’échange ?

J’imagine que tu as dû quand même avoir le trac. Comment l’as-tu géré ?

L’essentiel du stress était géré en groupe. Chacun se sentait, en quelque sorte, investi d’une mission : être bienveillant avec l’autre, l’aider à donner le meilleur de lui-même et à être éloquent, autrement. Cet environnement bienveillant a permis de se sentir en confiance et de se libérer. Les ateliers permettaient aussi de faire part de nos peurs. Ce qui laisse une place importante à une gestion collective du trac.

Personnellement, en plus du soutien du groupe, j’ai fait appel aux techniques apprises en orthophonie et avec les coaches comme la respiration ventrale, le souffle, la posture, etc. En outre, bien préparer et bien maîtriser le discours, avoir une feuille de route imprimée en gros caractères lisibles avec un sens de lecture clair, ont permis une prestation plus aisée. Enfin, j’ai aussi essayé de mettre en pratique certains conseils pour insuffler une dose de passion dans le discours, s’appuyer sur le public et captiver son attention, etc.

Et aujourd’hui, que mets-tu encore en pratique dans ta vie quotidienne ? Est-ce que tu penses que cela t’a changé ?

Même si mon bégaiement était déjà accepté, le concours m’a apporté un plus grand confort au quotidien. J’ai constaté des progrès sur la prise de parole en public. Je suis plus sensible à la structure d’un discours. Je fais plus attention aux autres vecteurs pour un échange de qualité tels le regard. Je travaille davantage sur ma voix et m’amuse à la varier ; ce qui permet de mieux articuler et d’être plus clair.

Sur le plan émotionnel, je lâche davantage prise. Sur le plan relationnel, je me pose moins de questions sur le regard que l’autre peut avoir sur moi. Par exemple, je parle avec aisance de mes passions sans avoir l’impression de déranger, de prendre trop de place ou trop de temps. Je m’accorde le temps nécessaire. Je n’évite plus les situations que je juge inconfortables et où je me pense ridicule. Je ne m’autocensure plus sous prétexte que le bégaiement ne me permet pas de m’exprimer comme je le souhaite.

Après un tel témoignage, je suis sûr que d’autres personnes qui bégaient vont vouloir connaître cette magnifique expérience. Quels conseils leur donnerais-tu ?

Il ne faut surtout pas hésiter à s’inscrire. Lorsque c’est fait, il faut se laisser porter par la ferveur qui se dégage du groupe, se donner à fond et profiter de tout ce que le concours offre sur le plan humain (social, relationnel) et technique. Ce sont des moments privilégiés avec des spécialistes de la parole et du bégaiement bienveillants. En tant que personnes touchées ou concernées par le bégaiement, nous n’avons pas souvent de telles occasions d’avoir des outils et un espace pour nous exprimer et porter notre voix. Bien évidemment, il n’est pas facile de se lancer, de se mettre à nu. Mais avec la bienveillance des formateurs, des orthophonistes et des participants, un climat de confiance s’installe naturellement. Ce qui libère et permet de sortir de sa zone de confort. Et, les progrès constatés chez les uns et les autres, après six semaines de formation, d’atelier et de concours, réconfortent. 

L’esprit du concours est d’être éloquent autrement, au-delà du bégaiement et même de la fluence. Le concours propose d’explorer son originalité, d’exprimer et faire entendre sa différence, d’être éloquent, autrement. C’est donc une belle occasion pour se (re)découvrir soi-même et pour apprendre des autres aussi.

Plus important encore pour moi, le concours permet de sensibiliser et de faire connaître le bégaiement, notre bégaiement à nos parents, nos amis qui peut-être n’osent pas aborder le sujet ou souhaitent en savoir davantage car il y’a autant de bégaiements que de personnes qui bégaient.


Merci Malick !





16 juin 2019

Entretien avec Damien : "l'Eloquence du Bégaiement est l'une des meilleures expériences de ma vie"

Le 27 avril 2019, après six semaines de travail et de découvertes, se tenait la finale du premier concours d’éloquence du bégaiement, organisé par Juliette Blondeau et Mounah Bizri. 

Damien et Malick, deux participants de cette aventure extraordinaire ont accepté de répondre à mes questions. Ils sont revenus longuement sur leur expérience, ce qu’ils ont appris, ce qu’ils en retiennent et livrent leurs conseils pour ceux qui seraient tentés par l’aventure. Grâce à eux, nous plongeons dans les coulisses du concours et leurs témoignages sont passionnants. Cela donnera donc lieu à deux articles. Damien ouvre le bal et, la semaine prochaine, ce sera le tour de Malick. Bonne lecture !

Entretien avec Damien : 
“C’était extraordinaire de sentir l’attention de plus de 200 personnes fixées sur soi, de créer un lien avec le public, de le voir réagir à son discours, c’est une impression indescriptible ! Ce concours est l’une des meilleures expériences de ma vie.”

Quel âge as-tu et que fais-tu comme études ou métier ?
J’ai 22 ans. J’ai fait des études d’histoire et je prépare maintenant des concours dans le patrimoine.

Comment décrirais-tu ton bégaiement ?
Mon bégaiement, qui était sévère il y a encore un an, est désormais de plus en plus faible, mais j’ai toujours de gros blocages à certains moments, et il se réveille dès qu’il y a un peu de stress, de fatigue, une situation inconfortable…

Suis-tu une thérapie ?
J’ai fait plus de 10 ans d’orthophonie, mais j’ai arrêté il y a quelques mois en voyant les progrès que j’avais faits. Je fais des exercices de voix et de respiration seul tous les matins depuis plus de 6 mois. Un groupe de self-help avait aussi plus ou moins débuté sur Bordeaux, mais j’ai dû arrêter en déménageant sur Paris il y a quelques mois.

Comment as-tu découvert le concours ?
Par mon ancienne orthophoniste, qui m’a transmis le lien de candidature qu’elle avait obtenu par l’Association Parole Bégaiement.

Quelles étaient jusqu’à présent tes expériences à l’oral ?
J’avais déjà dû faire devant de petits groupes des exposés, souvent très laborieux, mais j’avais aussi récemment fait une conférence devant plusieurs dizaines de personnes, qui s’était bien passée, ce qui m’a mis en confiance pour le concours. Quand il s’agit d’oral, pour moi tout dépend de l’atmosphère et de l’attitude du public/examinateur, le moindre soupçon d’antipathie ou même d’indifférence/ennui et ma parole en est sévèrement altérée.

Pourquoi as-tu voulu participer à ce concours ?
Je voulais apprendre des techniques, des astuces de la part des formateurs qui me serviraient dans ma vie courante. Je voulais aussi voir la manière dont d’autres bègues réussiraient à surpasser leurs difficultés pour m’en inspirer. Par ailleurs, j’ai toujours eu un amour fou pour la langue française et les grands discours de l’histoire, et j’écoutais parfois des concours d’éloquence, mais je n’aurais jamais eu le courage ou même l’idée de m’y inscrire avant l’éloquence du bégaiement. Je me suis dit que c’était l’occasion de voir ce que je valais vraiment devant un public en bénéficiant d’un environnement bienveillant pour me lancer.

Qui étaient vos professeurs ?
Nous avons eu deux types de professeurs : ceux qui nous apprenaient la technique orale et à nous détendre, à être à l’aise en public comme Stéphane André, un professeur d’art oratoire ou Eddy Moniot, un comédien ; et des formateurs qui nous apprenaient à rédiger un bon discours, à travailler sur le contenu au-delà de la forme, notamment des avocats comme Charles Haroche et Isabelle Chataigner-Haroche, ou Guillaume Prigent qui a déjà gagné des concours d’éloquence.

Qu’avez-vous appris et comment ?
Au niveau du fond à énoncer clairement nos idées en faisant appel à différents registres : le sérieux et l’absurde ; l’humour et la gravité ; l’émotion ou l’agressivité, etc., selon nos personnalités et le style qui nous convenait le mieux, ce qui obligeait ceux qui comme moi étaient assez effacés et avec une manière de parler assez terne à tenter de nouvelles choses. 

Sur la forme, nous avons appris à nous tenir correctement devant un public, à avoir une posture adéquate, à utiliser ses bras, à avoir une voix qui porte, à marquer des pauses adaptées, à contrôler son regard et à maintenir un lien avec l’auditoire, à jouer avec lui… Bref tous les ingrédients pour faire un bon orateur que l’on a envie d’écouter et qui est fier de dire ce qu’il a à dire, et que tout le monde peut mettre en place indépendamment de l’importance des blocages ou répétitions que l’on peut avoir.

La théorie que l’on nous transmettait chaque samedi nous a donné des pistes, mais ce qui a aussi été essentiel par la suite ça a été les temps d’atelier pratique, d’expérimentation réelle que l’on faisait par petits groupes, avec les organisateurs, et où on chacun disait ce qui allait ou n’allait pas dans la prestation des autres. C’est grâce à l’expérience réelle, à une prise de parole régulière pendant plusieurs semaines, que l’on s’est peu à peu amélioré, jusqu’à ce que l’exercice devienne relativement confortable, et que l’on parvienne à triompher de nos faiblesses : regard fuyant, posture avachie ou crispée, voix trop basse ou trop monocorde, ne laissant pas passer assez d’émotions, etc. C’est vraiment la possibilité de s’exprimer à l’oral régulièrement et d’avoir des critiques honnêtes pendant six semaines qui, par-delà les formations, était essentielle, mais dès le premier atelier et la première semaine, les progrès ont été incroyables chez beaucoup de participants, ce qui nous stimulait mutuellement.

Comment s’est passé le jour du concours ?
Il y a eu le premier tour, la demi-finale, puis la finale, avec à chaque fois un public de plus en plus important. Les deux premiers tours se sont passés dans une très bonne ambiance, en petit groupe, on écoutait les prestations des autres et on s’encourageait, ça a été de bons moments. En revanche la finale était vraiment de nature différente, avec environ 200 personnes dans le public, de grands médias, ce qui donnait une très grosse pression et l’envie impérieuse de produire un discours de qualité. Finalement tout s’est bien passé. Globalement tous les finalistes ont été au sommet de leur forme le jour de la finale, c’était extraordinaire de sentir l’attention de plus de 200 personnes fixées sur soi, de créer un lien avec le public, de le voir réagir à son discours, c’est une impression indescriptible !

Comment as-tu géré ton trac ?
J’ai surtout eu le trac pour la finale. Toute la semaine avant la finale, j’étais obsédé par la rédaction de mon discours que je ressassais en permanence. Quand j’ai vu la première fois la salle en répétition, immense et ovale, j’ai eu un gros moment de doute et je me suis vraiment demandé si j’en étais capable.

Ce sont les nombreux entraînements, trois en une semaine, qui ont fait que la confiance est finalement revenue. En s’imprégnant de la salle, en travaillant ses effets, en connaissant peu à peu son discours sur le bout des doigts, une grosse part d’incertitude a disparu. Les orthophonistes, les organisateurs et les autres candidats ont aussi donné de nombreux retours, souligné ce qui n’allait pas, nous ont fait travailler sur nos points faibles. Grâce à ça nous n’étions pas complètement confrontés à l’inconnu le jour de la finale, et si un discours marche bien devant vingt personnes, c’est qu’a priori il marchera devant deux cents personnes. Si j’étais arrivé sans entraînement, je pense que j’aurais été totalement paralysé par le stress, mais là j’étais parfaitement prêt et j’ai pu entièrement me focaliser sur le moment présent et la joie de pouvoir communiquer mon texte à autant de monde. Dès que la première phrase sort, qu’on sent qu’elle résonne bien, qu’on voit l’attention des gens fixée sur nous, toute forme de trac disparaît, on est complètement noyé d’adrénaline et purement concentré sur l’action, et c’est honnêtement orgasmique.

La relation avec les autres candidats et avec les organisateurs et orthophonistes a aussi joué pour beaucoup. On se motivait tous mutuellement, on était tous ensemble face à l’épreuve, et on se devait de bien faire pas seulement pour nous-mêmes, mais pour les autres. D’ailleurs je pense que j’ai plus stressé en écoutant les autres, par peur que ça se passe mal pour eux, que pour moi-même.

Constates-tu un changement depuis la fin de cette aventure ?
Oui, plusieurs. J’ai déjà beaucoup moins honte de mon bégaiement, j’y suis même quasiment indifférent, en partie car le contact avec des dizaines de bègues pendant des semaines m’a fait relativiser la gravité de ce handicap, qui n’empêche en fait personne d’être intéressant et de révéler sa personnalité, même lorsque le bégaiement est sévère. Ce concours a été l’occasion de dire que j’étais bègue à beaucoup de personnes, et c’était un superbe moyen d’en parler de manière positive à ses connaissances. Il devient aussi difficile d’être perméable aux critiques sur notre façon de parler, quand on sait que l’on a fait quelque chose que peu de gens auraient osé.

Globalement j’ai l’impression de pouvoir beaucoup plus compter sur ma voix, j’ai découvert à quel point je pouvais parler fort, distinctement, la moduler, et désormais les exigences orales du quotidien semblent bénignes en comparaison de ce que j’ai fait pendant le concours. De manière générale, je sens que j’ai beaucoup plus confiance en moi, et je ne me vois plus vraiment comme quelqu’un d’effacé, comme c’était le cas avant.

Que mets-tu encore en pratique dans ta vie quotidienne ?
Pour les prestations orales formelles que je dois parfois produire, notamment les oraux pour les examens et l’université, j’utilise tels quels les enseignements de la formation, qui permettent de capter et garder l’attention de son auditoire, et d’être clair dans sa formulation. Je n’ai absolument plus bégayé durant les oraux qui ont suivi le concours d’éloquence, et je n’ai plus le trac que je pouvais connaître auparavant.

Dans la vie quotidienne, je pense que je fais plus de pauses, que je contrôle mieux ma respiration, que j’ai une meilleure posture, que je parle plus fort, que j’ai un regard plus franc… même si je ne parle pas dans la vie courante comme pendant un discours. Je continue tous les matins à faire des exercices de voix et de respiration, mais à côté de cela je pense aussi que j’ai intégré certaines bonnes habitudes de parole pendant ces six semaines, et qu’il est maintenant plus agréable de m’écouter. Je pense également que voir d’autres gens bégayer m’a permis de modifier certaines choses, à la fois en me rendant compte de l’effet que faisaient les comportements gênants liés au bégaiement sur son interlocuteur, comme la perte de regard ; mais aussi en m’inspirant de ceux qui passaient outre leur bégaiement avec brio.

Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaite participer à ce concours ?
Si un bègue a du mal à s’exprimer en public et a envie de travailler pour s’améliorer, être plus à l’aise, mieux parler, il devrait s’inscrire sans hésiter. Ce concours permet de rencontrer des gens formidables qui ont décidé de se surpasser, d’affronter leurs peurs, et côtoyer autant de bègues lui donnera une autre vision de son handicap, qui peut soit être une barrière, soit au contraire une opportunité de travailler sur soi et de se confronter à ses plus grandes peurs.

Mais surtout, cette première édition l’a montré : objectivement la formation fonctionne. Les progrès étaient indubitables, je ne connais pas un participant qui a regretté de s’être inscrit. Il ne faut surtout pas refuser de participer par peur d’être mauvais, ou incapable de faire un discours, nous étions honnêtement pour la plupart tous mauvais en arrivant, mais en six semaines on progresse vite, et beaucoup. Un bègue a tout autant de chances que les « non-bègues» d’être un bon orateur, cela a fréquemment été évoqué pendant le concours. Le bégaiement permet souvent d’avoir un vocabulaire étendu, oblige à développer une bonne maîtrise de sa voix, peut amener à avoir une grande empathie pour les autres… le bégaiement n’est pas que négatif et tout ce concours le montre.

Ce concours est l’une des meilleures expériences de ma vie, de même que pour beaucoup d’autres candidats, alors si certains hésitent, mettez vos appréhensions de côté et tentez le coup !

Merci Damien ! A mon avis, après ce témoignage, Juliette et Mounah vont crouler sous les candidatures... et la prochaine finale se tiendra au Stade de France !

D'autant plus que ce n'est pas fini... Rendez-vous la semaine prochaine pour le témoignage et les conseils tout aussi passionnants de Malick !

18 mai 2019

Goodbye Bégaiement a 10 ans !

Goodbye Bégaiement a 10 ans !

Le 18 mai 2009, je postais mon premier article, “n’ayez pas honte de votre bégaiement !”.

En cliquant sur “publier”, je ne savais pas que je commençais une odyssée dans l’univers du bégaiement. Le voyage est extraordinaire et, lorsque je me retourne, mon point de départ, mon petit pays d’incertitude me semble bien loin désormais.

Grâce à cette expérience, j’ai pu faire plein de choses que j’adore : lire, écrire, traduire, découvrir et apprendre. Tout s’est fait progressivement, naturellement, avec fluidité, juste par la magie d’un clavier et surtout de rencontres.

Alors que tout a commencé pour moi sur Internet, je retiens surtout de ces dix années mes traversées de l’écran, les moments de réunion, de chaleur, de partage, de bonheur d’être ensemble. C’est fou le nombre de gens sympas qui bégaient ou s’intéressent au bégaiement ! Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, aux self-helps, aux associations, aux journées mondiales du bégaiement, les personnes qui bégaient sortent de leur isolement. Et c’est le premier grand changement de ces dix dernières années.

L’autre changement concerne justement le thème de mon premier article : la honte. Dans une conférence TED très intéressante, Brené Brown explique : “pour s’épanouir et prospérer, la honte a besoin de secret, de silence et de jugement.” C’est sans doute cela le plus grand changement depuis 10 ans. Les personnes qui bégaient quittent la pénombre de la salle ou des coulisses pour prendre la parole et devenir des acteurs de premier plan. Elles font du théâtre, des exposés en classe, des conférences, organisent des concours d’éloquence, réalisent des courts-métrages, gagnent des concours de chant, sont invitées à la télévision ou à la radio. Elles ont franchi le mur de la honte pour témoigner, expliquer et démontrer leur formidable capacité à se surpasser.

Elles ont aussi le courage d’être imparfaites. C’est le troisième changement.

Auparavant, les rares personnes médiatisées expliquaient comment elles avaient terrassé leur bégaiement grâce à leur volonté de fer ou une méthode miracle. Elles renforçaient l’idée que le bégaiement était un mal honteux et la fluidité parfaite le Graal à conquérir. De quoi culpabiliser ou décourager ceux qui n’y arrivaient pas. On n’en est plus là. Aujourd’hui, Les enfants et les ados qui arrivent dans le monde du bégaiement ont désormais des modèles positifs et inspirants qui leur montrent qu’il est possible, non pas de parler sans accroc - ce qui n'est plus un but en soi - mais de réaliser ses rêves.

Alors, je trouve que c'est un joyeux anniversaire !

Laurent

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