31 juil. 2009

Bégaiement et téléphone

Pour beaucoup de bègues, le téléphone est une invention maléfique. Selon Martin Schwartz, auteur de « Stutter no more », 80% de ses patients avaient peur du téléphone et lorsqu’il demandait « quelle situation est la plus difficile pour vous ? », la réponse la plus fréquente était « passer un coup de fil ».
Chez certains bègues, la hantise du téléphone est telle qu’ils refusent de décrocher et font passer leurs appels par leurs proches. Ils vont même jusqu’à se déplacer chez leur médecin pour prendre rendez-vous plutôt que de téléphoner.

Pour ma part, lorsque j’ai commencé à travailler, le bégaiement m’a permis d’entretenir une excellente condition physique. Ma peur du téléphone était en effet telle que je préférais aller directement dans le bureau de la personne que je devais appeler. J’arpentais ainsi des kilomètres de couloirs chaque semaine. Le bègue moderne a cependant la chance de disposer d’une messagerie interne qui lui permet de se sédentariser. Certaines entreprises utilisent même désormais des messageries instantanées (une invention de bègue, j'en suis sûr).

Deux explications principales peuvent être données à cette phobie :
- Au téléphone, la communication ne passe que par les mots, ceux là même qui nous causent tant de soucis. Nous ne pouvons pas compenser ou détourner l’attention par du visuel, gestes ou mimiques. Et en cas de blocage le silence parait deux fois plus lourd.
- La pression temporelle est plus forte. Elle commence dès le début de l’appel : si vous ne disez pas « Allo » dans la seconde qui suit le décroché, votre interlocuteur va s’inquiéter « Allo ? » « Oui ? ». Idem si vous bloquez quelques secondes « Allo ? Vous êtes toujours là ? ». Ce sentiment d'urgence et la précipitation induite sont propices à l'apparition du bégaiement.

Pour autant renoncer à téléphoner est la pire des solutions. Cette fuite ne fera que renforcer votre crainte qui deviendra peur puis terreur puis phobie. Et tôt ou tard, à moins de demander asile auprès d’une tribu d’indiens amazoniens, vous devrez passer des appels

La seule solution est de pratiquer. Nombreux sont les bègues à avoir surmonté leur peur du téléphone mais cette capacité ne leur a pas été donnée une nuit par une fée bienveillante. C’est le résultat d’une longue pratique qui leur a permis de dédramatiser l’appel téléphonique, de prendre confiance et même de s’y sentir à l’aise. Comme le dit Jim McClure sur le site de la British Stammering Association, « l’exposition constante m’a désensibilisé ». Il n’a en effet jamais évité le téléphone et est même allé jusqu’à se faire embaucher chez un opérateur téléphonique ! Sa tactique a été de se mettre chaque fois dans des emplois où il n’avait pas d’autre choix que d’utiliser le téléphone.

Pour vous aider dans vos exercices, voici quelques conseils glanés sur les sites de la British Stammering Association et de la Stuttering Foundation America.

Préparez votre appel : Assurez-vous que vous savez pourquoi vous appelez. N’ajoutez pas le stress de l’improvisation à celui du blocage. Notez les points-clefs sur un papier et tenez le devant vous lorsque vous appelez. Vous pouvez même écrire les premières phrases d’un appel important et choisir les mots qui vous semblent les plus faciles à dire. Ayez aussi quelques alternatives de premiers mots en tête. Vous pouvez par exemple choisir de commencer votre appel par « Bonjour, Laurent Dubois » ou « Laurent Dubois, bonjour », selon ce qui passera le mieux sur le moment. Mettez-vous aussi en condition : lorsque vous composez les numéros, dîtes les à haute voix et lentement. Cela vous calmera et vous aidera à commencer votre appel plus en confiance

Graduez les appels : Si vous avez plusieurs appels à passer, classez-les dans l’ordre croissant de difficulté en commençant par le plus facile. Essayez d’appeler un ami ou un proche juste avant l’appel important. Cela peut vous aider à vous relaxer et à renforcer votre confiance.

N’hésitez pas à dire que vous bégayez. Cela relâchera la pression et vous permettra de prendre plus de temps. Les gens ne peuvent pas vous voir lorsque, à l’autre bout du fil, vous luttez pour sortir un mot. Si vous avez un blocage un peu long, ils ne comprennent pas ce qui se passe. En leur disant simplement « Je bégaie, ne soyez pas surpris si je bloque sur certains mots » ou « je suis un peu fatigué aujourd’hui et je bégaie plus d’habitude, merci de votre patience », vous aurez généralement une réponse compréhensive. Dire c’est partager. En procédant ainsi, votre interlocuteur n’est plus un juge inquiétant mais un partenaire bienveillant.

Déculpabilisez : ce que vos interlocuteurs vont penser de vous à cause de votre bégaiement est leur problème. Votre problème à vous est de passer les appels que vous avez besoin de faire. Ne vous inquiétez pas des silences; ils surviennent dans toutes les conversations. Concentrez-vous sur ce que vous avez à dire, plutôt que sur vos blocages. Votre objectif est de communiquer, que vous bégayez ou non. Et oubliez le fantasme de la fluidité : si vous écoutez des non-bègues téléphoner, vous vous apercevrez que leurs hésitations et répétitions sont fréquentes.

Pensez à relâcher au maximum la tension : si vous commencez à bloquer, bégayez ouvertement et doucement (voir bégaiement lent ); essayez de ne pas forcer pour sortir les mots et, le plus important, souvenez-vous de parler lentement. Vous regarder dans un miroir peut vous aider à détecter où est la tension sur votre visage et sur les autres parties de votre corps.
Lorsque votre interlocuteur parle, profitez-en pour respirer calmement en relâchant la tenson dans vos épaules, vos abdominaux,…

Positivez ! Si vous avez trouvé un appel stressant et que vous avez bégayé plus que d'habitude, adoptez une attitude positive. Souvenez-vous qu'il y aura d'autres conversations où vous bégayerez moins. Ce n'est pas un désastre de bégayer et vous pouvez apprendre de chaque expérience de parole.
Pour progresser, enregistrez vos conversations si vous le pouvez (je le fais encore de temps en temps grâce à la fonction dictaphone de mon téléphone mobile). Essayez d'apprendre de chaque enregistrement et préparez une stratégie pour le prochain appel. Si vous faites cela durant un certain temps, vous identifierez quelques problèmes récurrents. Soyez également attentif à votre parole fluide. Beaucoup de bègues oublient qu’ils ont des moments de fluidité et s’arrêtent sur le bégaiement. Savourez cette fluidité et enchaînez les appels; battez le fer tant qu’il est chaud. Une parole fluide génère la confiance et la confiance génère la fluidité.

Exercez-vous chaque jour ! répondez à des petites annonces, prenez des rendez-vous, annulez-les, appelez des numéros verts pour avoir une information… Chez vous, essayez d'être la personne qui répond au téléphone. L’objectif est de réduire votre anxiété, de mettre en pratique les conseils précédents et de tirer vous aussi des enseignements de ces appels. Encore une fois, c'est en faisant qu'on progresse, il n'y a pas de voie plus efficace.

Et n’ayez pas peur de vous « planter ». Dites-vous que les échecs sont avant tout des expériences et font partie de votre apprentissage : ils sont inévitables pour atteindre votre objectif. L’apprenti-skieur va se prendre des gamelles, l’apprenti-jongleur va faire tomber ses massues, l’apprenti-golfeur va frapper à côté de sa balle… jusqu’au jour où, à force d’entraînement et de persévérance, ils vont réaliser leurs gestes automatiquement, sans y penser et sans appréhension… comme vous le ferez dans quelques temps avec le téléphone.
« La recette du succès : doubler son taux d’échec ! » - Thomas J Watson, fondateur d’IBM.

Allez, hop ! Au téléphone !

16 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci de partager ton expérience et tes conseils, j'ai 21 ans je suis dans une période assez sombre (mes peurs et mes doutes... moi et la vie). Depuis quelques années j'ai mis en place plusieurs de tes conseils, le plus dur c'est de se défaire des veilles ruses (périphrases, refus de dialoguer...) qui marche pourtant assez bien (avec du vocabulaire) mais qui traduit assez mal mes idées et mes pensées.
Tu m'aide à y voir plus clair sur notre façon de communiquer.
Clément.

Laurent L. a dit…

Bonjour Clément,
Merci pour ton commentaire. A 21 ans, tu es déjà très lucide sur ton bégaiement et ce qu'il faut faire. Je ne suis pas sûr que j'en étais au même point à ton âge... Il y a en effet une partie "technique" à trouver pour savoir comment gérer ses accidents de parole et un côté "psy" qui passe par une confiance en soi à retrouver, une dédramatisation du bégaiement et le désir d'aller de l'avant quoi qu'il arrive et de ne surtout pas se mettre en retrait car il n'y a rien de plus frustrant et de plus démoralisant.
Bon courage et au plaisir de te relire.
Laurent

Anonyme a dit…

Je suis tombé sur votre blog par hasard et je le trouve vraiment génial pour les personnes comme moi en quête d'informations et d'espoir.
Je n'ai que 20 et j'ai un bégaiement qui me bloque la parole et le téléphone est une horreur pour moi surtout quand on est à la recherche d'un emploi, c'est vrai que la confiance disparait au fil du temps..

Bonne continuation à vous en tout cas. =)

Julien

Laurent L. a dit…

Merci Julien. Bonne continuation aussi à toi. Repasse quand tu veux... et profite de tes 20 ans !

Anonyme a dit…

que sa fait du bien de lire tous ces commentaire je ne nomme Bérenger et je 25 ans élève-ingénieur 5année je suis a Abidjan je me suis battu toute ma vie pour que les genres n'est pitier de moi mais plutôt me voit comme un être humain même si je suis différent souvent c'est tellement pénible on est obligé de revoir ces rêves je vous assure que j'ai vraiment peur je me demande comment je vais pourvoir soutenir mon mémoire de fin de cycle si quelque pouvait m'aider mon mail berenger2002fr@yahoo.fr

Laurent L. a dit…

@Béranger : merci pour ton message. Je te rassure : tu es un être humain ! Le bégaiement ne t'a pas empêché de faire des études longues et intéressantes : il ne t'obligera pas à revoir tes rêves. Pas d'inquiétude : tu ne seras pas le premier ingénieur à être bègue ! D'autres sont passés par là avant toi.
Pour ton mémoire, il faut bien te préparer, répéter devant des amis et annoncer au jury que tu es bègue et que tu peux avoir des blocages. Prends exemple sur le commentaire de Wurstie qui vient de réussir son entretien d'embauche et qui nous dit "n'ayez pas peur de votre bégaiement et pensez plutôt à vos compétences !!". Tu trouveras des conseils plus détaillés sur cet article. Tu peux aussi aller échanger sur le forum "paroles de bègues". Bon courage et surtout n'abandonne pas ! Laurent

m-youness a dit…

Personnellement je trouve beaucoup moins de difficultés à parler au téléphone que quand je dois parler à une personne que je ne connais pas en face , j'ai un peu pris l'habitude vu que le téléphone sonne 10 a 15 fois par jour :D

ps: vraiment sympa ton blog ^^

Youness , 17 ans

Laurent L. a dit…

@Youness : une autre démonstration de l'adage : "on fait bien ce que l'on fait souvent". Rien de tel que de téléphoner pour apprivoiser le téléphone... Bienvenue sur le blog et au plaisir de te lire.

Anonyme a dit…

Je me rappelle d'avoir passé au tableau pour exposer mon "sujet de recherche", quand j'étais au Lycée. C'était un calvaire. Je me rappelle aussi d'avoir monter à la tribune à l'improvisation pour parler devant des Ambassadeurs et Consulats des sujets très politiques. Et c'était un plaisir. Suivant mon expérience, la clef de la réussite se résume en 2 choses : Autant que faire se peut, parlez doucement, et essayer de prendre tout son temps pour parler. Aussi, c'est très important d'avoir confiance en soi. Maitrisez vos idées, et ne rentrer dans une discussion que si vous etes vous-meme convaincus de vos idées. Bon courage

Laurent L. a dit…

@Anonymous : merci pour le commentaire. J'ai également constaté que la maîtrise du sujet et la conviction sont importants pour que tout se passe bien. En se focalisant sur le fond de votre propos et sur ce que vous souhaitez communiquer, vous vous préoccupez de ce qui est réellement important et vous détournez aussi votre attention du bégaiement. La communication est aussi affaire de générosité et de don de soi. Or les personnes qui bégaient sont souvent dans la retenue (peur de bégayer, de s'exposer, d'être jugé...). Bref, lâchez-vous !

Sarah a dit…

Bonjour Laurent,

Je suis moi aussi bègue depuis toute petite, j'en ai vu des vertes et des pas murs à l'école.j'ai appris seulement à dire que j'étais bègue au moment de mon oral de français en 1ere, coup de bol, la femme qui m’interrogeait travaillait avec des bègues (le hasard!) et ne m'a pas déstabilisé devant ma parole. J'ai quand meme énormément bégayer mais ça ne m'a pas déranger. Cependant pour le téléphone cela me pose un problème capital, il faut que j'essaye c'est dur, je préfère parler en face des personnes. J'ai meme été à un entretien pour travailler à la TV dans une émission et j'ai prévenu que j'étais bègue avant de commencer à parler, la directrice de production m'a dit " si vous êtes prise on vous mettra à l'aise mais je n'ai pas senti que vous étiez bègue!" un compliment et hop!

Merci Laurent pour ce blog, je l'ai découvert grâce à la vidéo de Béranger que vous avez faite ensemble.

Laurent L. a dit…

Merci Sarah pour ton témoignage. Merci pour l'exemple que tu donnes en allant postuler pour travailler dans une émission TV ! Quant au téléphone, tu sais ce qu'il te reste à faire... même si c'est dur !

Laurence a dit…

Bonjour Laurent,

Merci beaucoup pour cet article ! Passer un appel téléphonique (et non en recevoir) est la pire chose dans le bégaiement pour moi. J'ai 43 ans et suis allée chez une orthophoniste pour la 1ère fois à 24 ans (j'ai fini maintenant depuis plusieurs années). Mon bégaiement est très léger. Grace à cet article, je téléphone de plus en plus en agissant comme si les personnes étaient en face de moi : si j'"accroche" sur un mot, je dis que je bégaie, et généralement cela désamorce illico mon stress.
Je pense que j'ai aussi accepté d'effacer le "mythe de la perfection de la parole" qui n'existe chez personne. Mon prochain challenge est de chercher du travail.
Encore merci...

jojo a dit…

Bonjours à tout le monde et ça fait plaisir de voir que le bégaiement et le téléphone n'eut font pas bon ménage.. je croyez que j'étais le seul à avoir cette hantise !
Nous avons un problème quils faut s'en débarrasser car sa nous bouffe et nous bloque dans tous nos projets quond a en tête . Merci à la personne de cette page d'avoir détailler tous ça. Ça fait plaisir de lire tous sa car c'est exactement ce que je vie depuis tout petit ( j'ai actuellement 28 ans ) ce pendant je me bat tout les jours contre ce problème et à force ses usant et épuisant. Je pense que ça doit être pareille pour tout les bègue.
Faut s armée de patience et ça finira par payer un jour ou l'autre.
Bon courage à vous et merci au fondateur de cette page . Ça m'a motiver encore plus ! Salut à tous

Laurent L. a dit…

Merci Laurence et Jojo pour vos commentaires. C'est super de vous voir dans l'action et dans la progression. C'est vrai qu'il faut être patient mais le voyage est enrichissant ! Curieusement, c'est aussi quand on arrête de se battre, de vouloir contrôler ou forcer nos mots par exemple , que les choses deviennent plus faciles.

Anonyme a dit…

BonsoirLaurent
Bègue de trés longue date et en souffrant, ce qui m'a fortement amélioré, ce furen des exercises

respiratoires, du sport notamment le jogging et lire un jour au micro å l'improviste un texte devant une

assemblée nombreuse, ce qui me donna confiance en moi.


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