9 oct. 2012

Parents, enfants, orthos, bégaiement : un bout de chemin ensemble

Lorsque je préparais mon dernier article « Mon enfant bégaie : l'intervention précoce est-elle réellement efficace ?», j’ai eu une conversation très intéressante avec Christine, une orthophoniste qui, depuis 2006, a choisi de s’intéresser plus particulièrement au bégaiement. Elle enseigne également en école d'orthophonie et anime un TD sur "l'accompagnement familial de l'enfant de moins de 6 ans qui bégaye."

Son témoignage est donc particulièrement intéressant et je suis heureux qu'elle ait accepté de répondre à mes questions, notamment :

- En quoi consiste la prévention précoce ?
- Est-ce que ça ne risque pas d'ancrer le trouble ?

D'autant plus heureux que Christine parle "cash", sans langue de bois et je suis sûr que cela vous intéressera et vous fera réagir. Si ce n'est pas le cas, je m'immole par le feu lors de la prochaine JMB.

P.S : merci à Aurore pour le visuel :-)


Goodbye Bégaiement : il y a un consensus aujourd’hui pour la prise en charge précoce du bégaiement. Ca n’a pas toujours été le cas ?

Christine : Loin de là ! Auparavant cela se faisait comme suit (et je me mets dans le lot !) : « Votre enfant répète des syllabes, accroche sur les mots ? Ca vous fait penser à un bégaiement ? Ne vous en faites surtout pas, c’est physiologique, ça passera tout seul » et la suite était qu’« il faut surveiller ». 

Une fois que les disfluences étaient bien installées, on faisait un suivi toutes les semaines, centré sur l’enfant, en essayant de le détendre, de le faire respirer... Allez donc faire efficacement, c'est-à-dire plus de 10 minutes et avec transfert dans la vie quotidienne, de la relaxation chez un enfant de 4 ans, vous m’en direz des nouvelles. 

On essayait aussi de lui apprendre à parler de telle ou telle façon, ce qu’il ne faisait de toute façon plus une fois franchie la porte du cabinet d’orthophonie... Avec le risque que les parents l’encouragent (une façon élégante de dire « lui mettent la pression ») à parler de façon contrainte à la maison, en réfléchissant bien à sa façon de dire les mots… Un bon gros risque tout de même que le bégaiement tant redouté s’installe pour de bon et se renforce, non ?

Goodbye Bégaiement : Et qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

Christine : Cela pourrait sembler l’excès inverse (comme cela peut se pratiquer pour la dyslexie, où on voit des enseignants dire d’un enfant scolarisé en maternelle qu’il est dyslexique, alors qu’il ne sait pas encore lire !). Donc maintenant, on dit : « dès que l’entourage de l’enfant remarque des disfluences, il doit en avertir les parents et conseiller d’aller voir un professionnel formé spécifiquement à la prise en charge du bégaiement ». Et tous les mots de cette phrase comptent ! Ceci d’autant plus qu’entre le moment ou on conseille aux parents de faire quelque chose et le moment ou ils viennent en rendez-vous, il peut y avoir plusieurs semaines voire plusieurs mois. 

GB : Et en quoi consiste cette prise en charge précoce ?

Christine : Une prise en charge précoce bien menée est avant tout un « accompagnement familial », pour tenter de faire disparaître les disfluences afin que celles-ci ne se compliquent pas en bégaiement. On recherche donc lors de la première rencontre si ces disfluences sont isolées ou si elles se compliquent de tensions musculaires importantes, de modifications des comportements de communication, d’attitudes réactionnelles (pleurs, modification du comportement). Il arrive alors que la conclusion soit « ce sont des disfluences, il n’y a pas de bégaiement mais un risque, nous proposons donc de se revoir au moins une fois dans quelques semaines pour voir comment vous avez pu modifier certaines choses dans la vie de l’enfant ». Concrètement, pas de suivi hebdomadaire mais des rendez-vous ponctuels, un vrai partenariat entre toutes les personnes impliquées, y compris l’enfant.

On recherche les ingrédients ayant contribué à faire apparaître ces disfluences, non pour dire « la faute à qui ?» mais pour savoir ce que l’on pourra modifier et qui est particulier à chaque situation.

GB : Par exemple ?

Christine : Quand un enfant a des disfluences, un facteur de pression est la vitesse de parole de ses interlocuteurs, il est donc souhaitable que les parents lui parlent moins vite, avec plus de pauses. Tout ça est bien beau mais très difficile à mettre en place si un des deux parents est à la limite du bredouillement… On cherche donc les autres leviers possibles de changement, et une fois que tout le reste aura bougé, ou pourra peut-être inviter à un traitement du bredouillement chez le parent s’il le souhaite et si on voit que cela paraît la seule chose qui gêne encore l’enfant.

Tout le travail de « prévention » est donc un travail d’ajustement et d’invitation à se mettre en mouvement, modifier ce que l’on peut, pour limiter les facteurs de pression dans la vie de l’enfant et qui sont un « engrais » pour l’installation d’un bégaiement.

GB : Certaines personnes qui bégaient remettent en cause cette intervention précoce. Leur thèse est la suivante : en consultant pour le bégaiement, on attire l'attention de l'enfant et de son entourage sur les disfluences, on pose une étiquette sur le front (ou la bouche) de l'enfant et on le fait rentrer dans le cercle vicieux du bégaiement : je redoute le bégaiement, je surveille ma parole, je perds toute automatisation et spontanéité et je rentre dans une parole sous contrôle. Cela pourrait donc remettre en cause le : « De toutes façons, ça ne peut pas faire de mal ! »

Christine : Cette question m’est aussi fréquemment posée par les parents « est-ce que mettre le mot bégaiement sur cette situation ne risque pas d’ancrer le trouble ? ». Par expérience personnelle et par les retours des familles depuis 6 ans que je me passionne pour le travail avec les personnes qui bégayent, j’affirme que le fait d’en parler ne risque pas d’ancrer le trouble. Pourquoi ne pas parler à un enfant de ce qui lui arrive, de ce qu’il fait, de ce qui le concerne très directement ? Cela « protège » qui ? L’enfant ou les adultes de la douleur et du stress par anticipation des difficultés futures ? L’enfant qui ne semble pas gêné par ses disfluences ou qui n’en parle pas ne risque pas de développer un bégaiement seulement parce qu’on lui a dit que ce qu’il fait s’appelle bégayer ! Au contraire, plus les adultes lui auront donné des mots pour en parler (c'est-à-dire auront décrit ce qu’ils entendent et voient, de la même façon qu’ils décrivent une écorchure quand l’enfant est tombé et parlent pansement, désinfectant, consolation) et plus l’enfant pourra raconter ensuite ce qu’il vit et comprendre ce qu’il fait, pour le défaire et s’en défaire au plus vite. 

Les adultes qui bégaient expérimentent souvent que le bégaiement se nourrit du silence que l’on fait autour de lui, de la crainte d’en parler franchement. Cela vaut aussi pour les tout petits. Alors certes, il est important de ne pas dire d’un enfant de moins de 5-6 ans qu’il « est bègue », mais que « des fois il bégaye » et que cela ne va pas durer, ni l’empêcher de faire/dire quoi que ce soit, et qu’on va l’aider. Et si on revient aux logiques de prévention, qui sont souvent des logiques comptables, qu’est-ce qui coûte moins cher « à la sécu » (sortez vos calculettes) : 
- faire un bilan de deux heures (72€) puis entre 5 et 10 séances (28,80€ la séance, réparties sur 6 ou 8 mois) ?
- ou attendre un an, deux ans, parfois plus et devoir faire un bilan et 30 séances au bas mot pour que le bégaiement lâche prise, sans certitude sur l’efficacité d’un tel suivi (cf les statistiques bien établies de risque de pérennisation au-delà d’une durée d’un an après l’apparition des premières disfluences et au-delà de 5 ans d’âge) ?

GB : Et 5 ou 10 séances sont souvent suffisantes ? 

Christine : Je ne sais pas s'il y a en France des études comparatives sur les suivis précoces. On retombe sur un écueil de l’orthophonie : ce n’est pas (encore ?) une discipline universitaire. Tiens tiens, la nécessité d’une reconnaissance au niveau master 2 pointe son nez au passage (il faut bien que je prêche pour ma paroisse !). Il faudrait chercher du côté des mémoires de DU. De mon point de vue, en pratique quotidienne, je n’ai plus de nouvelles de beaucoup de petits que j’ai vus en prise en charge précoce… Peut-être sont-ils suivis par d’autres collègues parce que mon travail n’a pas été efficace mais je préfère penser « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! ». Depuis que j’ai découvert cette façon de travailler, même si elle nécessite une implication plus forte au premier rendez-vous et des questionnements que j’ai craint d’être intrusifs, je ne saurais plus faire autrement. De fait, mon « intrusion » est peut-être forte mais de courte durée, mon but est que les enfants et leurs parents n’aient plus besoin de moi, et le plus vite possible ! J’aime recevoir mes patients et leurs familles mais j’aime encore plus leur dire : « au revoir !»

Merci Christine !

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