Aujourd'hui, il y a un consensus quasi-général pour conseiller aux parents d'enfants qui bégaient de consulter le plus tôt possible un spécialiste de la parole (orthophoniste ou phoniatre).
Voici par exemple ce qu’on peut lire sur le site de l’Association Parole Bégaiement :
- Question : Mon enfant bégaye, dois-je attendre ?
- Réponse : Surtout pas ! S’il a la malchance d’être celui (un sur quatre) pour qui cela ne "s’arrange" pas tout seul, son bégaiement va se mettre en place durablement (mécanisme de chronicisation) et sera alors beaucoup plus difficile à corriger.
Même son de cloche (si j'ose dire) sur le site de la Stuttering Foundation of America :
« L’intervention précoce est généralement plus efficace que l’attente. Donc, si la parole de votre enfant vous inquiète, consultez un orthophoniste qui travaille avec les enfants et est spécialisé en bégaiement. L’orthophoniste sera capable de déterminer si l’enfant bégaie et peut lui montrer des techniques nouvelles et plus faciles pour parler correctement. »
J'avoue être le premier à préconiser la consultation sans attendre d'une orthophoniste ayant une bonne connaissance du bégaiement. Mais on peut légitimement se poser la question :
« Est-ce qu'une étude sérieuse a été faite pour le démontrer ? »
En 1995, Richard F. Curlee ne s’est pas contenté de poser la question : il aussi donné sa réponse, provoquant un beau tollé dans la communauté des « bégologues ». Richard est en effet intervenu devant ses confrères en expliquant qu'il n'avait trouvé aucune étude scientifique valable permettant de démontrer les vertus de l'intervention précoce et que ses vertus tenaient plus du mythe que de la réalité. En effet, pour toutes les études qu'il avait épluchées, soit l'échantillon était insuffisant, soit il n'était pas représentatif, soit il n'y avait pas de groupe de contrôle...
Ce coup de pied dans la fourmilière a sans doute été salutaire car ces dernières années ont vu fleurir de nouvelles études sur le sujet. Et toutes celles que j’ai pu voir citées ont validé la nécessité et l’efficacité d’une intervention précoce. La British Stammering Association, qui a fait de l’intervention précoce un cheval de bataille, en a recensé un certain nombre :
A l’âge de 3 ans, l’incidence d’apparition du bégaiement est de 7 à 8,5%. Dworzynski et al. (2007), Reilly et al. (2009) et 25% de ces enfants ont un risque de voir ce trouble perdurer à l’âge adulte. Howell et al. (2008), Stewart and Turnbul (2007), Yairi and Ambrose (1999)
La croyance que les parents sur-réagissent a été contredite par une étude menée sur 150 enfants par l’Université de l’Illinois (Stuttering Research Project). La parole disfluente considérée comme du « bégaiement » par les parents est en fait qualitativement et quantitativement différente de la disfluence normale, même dans les premiers stades du trouble. Il apparaît donc que l’inquiétude des parents est justifiée lorsqu’ils suspectent un début de bégaiement chez leur enfant.
Plus les symptômes du bégaiement durent dans la petite enfance, plus il est difficile de changer le « câblage » du cerveau, et le bégaiement devient un problème chronique. Smith (2008). Or, à ce stade précoce, même de petits ajustements dans l’environnement de l’enfant visant à réduire le stress peuvent générer des progrès significatifs (Stewart & Turnbull 2007, 1997, 1995).
La thérapie pour les jeunes enfants qui bégaient, si donnée tôt, montre des taux de guérison au-dessus de ceux qui pourraient être expliqués par la guérison spontanée. (Hunter 2007, Jones et al 2005, Harris et al 2002, Fosnot 1993, Meyers & Woodford 1992). Appliquer une thérapie précoce visant à réduire le bégaiement chez les jeunes enfants est sept fois plus efficace que ne ne rien faire (Jones et al 2008).
Malgré le résultat de ces études (qui ne sont pas forcément très connues), il reste des adversaires de l’intervention précoce. Cette remise en cause provient notamment de personnes qui bégaient ayant vu des signes de bégaiement apparaître chez leurs propres enfants. Leur thèse est la suivante : en consultant pour le bégaiement, on attire l'attention de l'enfant et de son entourage sur les disfluences, on pose une étiquette sur le front (ou la bouche) de l'enfant et on le fait rentrer dans le cercle vicieux du bégaiement : je redoute le bégaiement, je surveille ma parole, je perds toute automatisation et spontanéité et je rentre dans une parole sous contrôle.
Ils ont donc choisi de ne pas consulter et ont préféré donné à leur enfant un modèle de parole lente et claire et d’écoute attentive.
C’est notamment le cas du désormais illustre David Seidler, le scénariste du « Discours d’un Roi », qui a lui aussi bégayé. Il a déclaré que ses deux filles ont commencé à bégayer à l’âge de 3 ans. Il s’est efforcé de les écouter très attentivement et s’est assuré qu’elles sentaient qu’elles étaient entendues. Aucune ne bégaie aujourd’hui.
Autre exemple de témoignage, celui de Charlie : « J’ai quatre enfants merveilleux. Quand un de mes fils a eu 3 ans, nous avons remarqué des incidences de bégaiement. Sachant ce par quoi j’étais passé dans ma vie de bègue, je ne voulais pas qu’il vive la même chose. Mon épouse et moi en avons discuté longuement et nous sommes tombés d’accord sur l’attitude à adopter.
Aujourd’hui, il a onze ans, c’est un jeune homme brillant et confiant et sa parole est fluide.”
Cette thèse rencontre cependant aussi des objections. Premièrement, qui dit que leur enfant ne fait pas partie des 75% qui guérissent « spontanément » ? Le Stuttering Project de l’Université de l’Illinois a en effet démontré que le risque de persistance est plus élevé chez les enfants ayant des parents qui bégaient… mais moins élevé si ces parents ont eux-mêmes « guéri » du bégaiement ?
Deuxièmement, détection et prise en charge précoce ne signifient pas thérapie précoce. Ce qu’ont mis en œuvre ces parents bègues est similaire à ce qui est préconisé par les orthophonistes aux parents « fluents » d’enfants qui bégaient. Sauf que les parents fluents sont moins armés pour deviner l’efficacité de ces pratiques et ont donc besoin de consulter pour être efficacement conseillés.
On voit donc bien que les deux thèses sont parfaitement compatibles : l’intervention précoce n’est pas nocive si elle est bien réalisée et peut se limiter dans la plupart des cas à un accompagnement parental éclairé.
D’où l’intérêt de s’orienter vers des orthos « spécialisées » (Aïe ! Non pas sur la tête !) ayant l’habitude de ce genre de pratiques. Cette approche difficile et délicate est bien résumée par Isabelle sur la page Facebook Goodbye Bégaiement : « Pour les jeunes, j'encourage l'intervention précoce tout en s'assurant qu'on n'en fasse pas «tout un plat» du côté des parents. Pas toujours facile mais combien aidant..... C'est un travail de famille... Si on consulte tôt et que tout le monde reste «anxieux de performance», ce n'est pas mieux. De là l'importance de l'intervention multi-niveaux dans certains cas. »
Alors ? Consulter, oui mais pour faire quoi ? Chères orthos, je suis preneur de votre avis et de votre expérience sur le sujet !
Laurent
Ils ont donc choisi de ne pas consulter et ont préféré donné à leur enfant un modèle de parole lente et claire et d’écoute attentive.
C’est notamment le cas du désormais illustre David Seidler, le scénariste du « Discours d’un Roi », qui a lui aussi bégayé. Il a déclaré que ses deux filles ont commencé à bégayer à l’âge de 3 ans. Il s’est efforcé de les écouter très attentivement et s’est assuré qu’elles sentaient qu’elles étaient entendues. Aucune ne bégaie aujourd’hui.
Autre exemple de témoignage, celui de Charlie : « J’ai quatre enfants merveilleux. Quand un de mes fils a eu 3 ans, nous avons remarqué des incidences de bégaiement. Sachant ce par quoi j’étais passé dans ma vie de bègue, je ne voulais pas qu’il vive la même chose. Mon épouse et moi en avons discuté longuement et nous sommes tombés d’accord sur l’attitude à adopter.
- Nous avons admis qu’un certain degré de disfluence chez les enfants est normal et que, la plupart du temps, ils s’en sortent sans problème.
- Nous étions d’accord sur le fait qu’attirer l’attention de l’enfant ou celle de son entourage sur ces disfluences ferait plus de mal que de bien.
- Nous étions d’accord pour être des modèles de bonnes habitudes de parole et d’écoute en parlant lentement et clairement et en écoutant sans interrompre. Et le plus important, nous avons permis à notre enfant de parler sans être interrompu, en lui donnant notre attention complète, en le regardant dans les yeux, que ce soit en face à face ou en groupe, autour de la table familiale, par exemple.
Aujourd’hui, il a onze ans, c’est un jeune homme brillant et confiant et sa parole est fluide.”
Cette thèse rencontre cependant aussi des objections. Premièrement, qui dit que leur enfant ne fait pas partie des 75% qui guérissent « spontanément » ? Le Stuttering Project de l’Université de l’Illinois a en effet démontré que le risque de persistance est plus élevé chez les enfants ayant des parents qui bégaient… mais moins élevé si ces parents ont eux-mêmes « guéri » du bégaiement ?
Deuxièmement, détection et prise en charge précoce ne signifient pas thérapie précoce. Ce qu’ont mis en œuvre ces parents bègues est similaire à ce qui est préconisé par les orthophonistes aux parents « fluents » d’enfants qui bégaient. Sauf que les parents fluents sont moins armés pour deviner l’efficacité de ces pratiques et ont donc besoin de consulter pour être efficacement conseillés.
On voit donc bien que les deux thèses sont parfaitement compatibles : l’intervention précoce n’est pas nocive si elle est bien réalisée et peut se limiter dans la plupart des cas à un accompagnement parental éclairé.
D’où l’intérêt de s’orienter vers des orthos « spécialisées » (Aïe ! Non pas sur la tête !) ayant l’habitude de ce genre de pratiques. Cette approche difficile et délicate est bien résumée par Isabelle sur la page Facebook Goodbye Bégaiement : « Pour les jeunes, j'encourage l'intervention précoce tout en s'assurant qu'on n'en fasse pas «tout un plat» du côté des parents. Pas toujours facile mais combien aidant..... C'est un travail de famille... Si on consulte tôt et que tout le monde reste «anxieux de performance», ce n'est pas mieux. De là l'importance de l'intervention multi-niveaux dans certains cas. »
Alors ? Consulter, oui mais pour faire quoi ? Chères orthos, je suis preneur de votre avis et de votre expérience sur le sujet !
Laurent
3 commentaires:
Merci Laurent pour cette 'compilation' d'infos
Question latente (pour moi) depuis des années mais, en fait, question qui ne se pose pas car même si dans le pire des cas, l'orthophoniste n'enraye pas le symptôme, l'enfant reste "accompagné" autant que de besoin pour gérer des situations, apprendre à les affronter, maîtriser des techniques de fluence dès qu'il le pourra. D'où la nécessité de consulter un orthophoniste ssssp... (bégaiement provoqué par la peur de recevoir aussi des coups sur la tête) ... bien formé à la rééducation des bégaiements.
Excellent article au demeurant !
P.S. : tournons patiemment nos regards vers Sydney et le Michigan, dont les résultats des études devraient contribuer à régler cette question ;)
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