8 oct. 2011

Le témoignage de Rika : "le jour où tout a changé"

La jeune femme sur la photo s'appelle Rika. Elle a 22 ans, est américaine et, des fois, elle bégaie.

J'ai fait sa connaissance sur le groupe de discussion « neurosemantics » animé par Bob Bodenhamer, Alan Badmington et John Harrison. J'adore ce groupe car tout le monde partage son expérience et on y trouve, ce qui est assez rare, des conseils et des réponses concrètes et éprouvées. J'ai dû récemment faire une intervention en public particulièrement stressante et, grâce à eux, je l'ai abordée avec un mental de champion olympique ayant bénéficié des meilleurs coachs du monde !

Et c'est précisément ce qui vient de se produire pour Rika. J’ai donc voulu vous faire partager son témoignage car c’est un excellent exemple de la manière dont une personne qui bégaie peut remporter des victoires décisives et rapides, juste en modifiant sa manière de voir les choses. Il y a des belles histoires dans le bégaiement et beaucoup de personnalités attachantes. Rika en est une et j'espère que son histoire va être lue par tous ceux qui se débattent avec le bégaiement et seraient tentés de baisser les bras.

Voici les mots de Rika, traduits avec son consentement bien sûr. Tout commence par un message de présentation adressé au groupe de discussion. Il ressemble beaucoup à ceux qu'on peut lire régulièrement sur le forum du bégaiement ou sur nos blogs. Vous vous y retrouverez donc sûrement.



« Salut tout le monde,

Je viens juste de rejoindre le groupe et je voudrais me présenter. Je m’appelle Rika et j’ai 22 ans. Je suis fraîchement diplômée de l’Université et je commence à travailler dans quelques semaines. Extérieurement, j’ai l’air sûre de moi mais si les gens savaient ce qui se passe dans ma tête ! Comme pour nous tous, il y a certaines situations qui me rendent plus disfluente et récemment j’ai commencé à réaliser que lorsque j’engage une conversation avec un étranger, mon esprit ne pense qu’à une chose : le moment où je vais devoir dire mon nom ! Je peux parler de manière plutôt fluide sur des sujets variés mais je me fais une telle montagne de mon nom que je bloque quand on me le demande.

J’ai découvert ce groupe après avoir lu le livre de John Harrison et échangé quelques mails avec lui. Je voudrais terminer ma présentation avec une question : est-ce que quelqu’un peut me recommander un bon exercice de respiration/méditation ? J’ai l’impression que ma parole devient de plus en plus hachée et que ma respiration se coupe ce qui provoque mes blocages.

J’ai hâte de rencontrer tout le monde ! Prenez soin de vous.

Rika. »


S’ensuivent quelques échanges de mail où Rika reçoit des conseils des membres du groupe, notamment pour travailler sur ses appréhensions et croyances. Elle remercie, digère, réfléchit et voici ce qu’elle écrit, dimanche dernier, la veille de son premier jour de travail :

"Je commence mon premier jour de travail demain et je refuse de ressentir l'anxiété que j’ai toujours eue dans ces situations de haute pression. Je n’aurai pas peur de bégayer et si j’ai un moment difficile, j’ai l’intention de dire que je bégaie. Souhaitez-moi bonne chance, je vous en dirai plus demain soir. Rika»

Le changement semble positif. Cependant, trois jours passent sans nouvelles de Rika… La tension monte... Et si son premier jour s'était mal passé ? Finalement, le mercredi soir, elle envoie ce message :

« Salut tout le monde,

Je voulais poster quelque chose hier mais j’étais trop prise par mon travail et maintenant je suis heureuse de ne pas l’avoir fait ! Comme la plupart d’entre vous le savent, j’ai commencé mon nouveau boulot lundi et je me suis fixée comme priorité d’avoir une nouvelle image de moi-même. Le mois dernier, j’ai passé beaucoup de temps à me visualiser en train de bégayer volontairement et de parler ouvertement de mon bégaiement avec mes collègues. Malheureusement, mon ancienne mentalité et ma manière de bégayer sont réapparues très rapidement. Je suis en formation toute la semaine et, lundi et mardi, j’étais trop intimidée pour lever la main et poser des questions. Je sentais constamment un blocage dans ma gorge et parler devant le groupe était horrible. Néanmoins, comme cela m’arrive souvent, la tension disparaissait plus ou moins quand nous travaillions en petit groupe. J’ai toujours été plus à l’aise pour parler avec des individus isolés. Cependant, la pensée de devoir me présenter à de nouvelles personnes ne cessait de m’obséder. Pour faire court, à la fin des deux premiers jours de formation, je me sentais à la fois abattue et très énervée.

MAIS aujourd’hui, tout a changé (ce qui explique pourquoi je suis heureuse de ne pas vous avoir écrit hier toutes ces pensées négatives). Pour commencer, le fardeau émotionnel que je portais lundi et mardi était si insupportable que je savais qu’il fallait que j’en parle à mon entourage, ce que j’ai fait. C’était très dur mais cela m’a fait beaucoup de bien. Il y a toujours une raison pour tout ce qui arrive dans le bégaiement et aujourd’hui j’ai eu une révélation. Quand je suis arrivée au travail, nous avons été accueillis par une nouvelle associée qui a proposé de faire un tour de table pour nous présenter (ce que nous n’avions pas encore fait cette semaine). Quand elle a dit cela, j’ai senti pendant un instant, un instant très court, mon cœur se décrocher dans ma poitrine. Mais ensuite, quelque chose s’est produit qui n’était jamais arrivé auparavant. Je me suis sentie complètement à l’aise pour dire aux gens que je bégayais et, encore plus important, JE SAVAIS QUE JE DEVAIS LE FAIRE. Je savais que c’était essentiel pour moi et pour mon avenir. Je me sentais à l’aise, calme et en phase avec la réalité. Nous devions dire notre nom, notre rattachement, notre fonction, et une chose intéressante sur nous. J’ai décidé de commencer par ce dernier point parce que je ressentais trop de tension pour dire mon nom. J’ai donc dit : « Je vais commencer par une chose intéressante sur moi : de temps en temps, je bégaie et j’ai parfois des difficultés pour dire mon nom. » J’ai ensuite enchaîné en disant mon nom et, effectivement, j’ai bloqué. Mais waouh ! je me suis sentie tellement mieux après avoir dit ça ! J’ai vraiment réussi à détourner mon attention de ma parole et je n’ai plus ressenti cette horrible tension partout dans mon corps.

Ce qui est intéressant, et qui me pousse à remettre en cause mes croyances et à les considérer comme une horrible perception que j’ai moi-même développée, est ce qui est arrivé ensuite. Je me suis retrouvée aux toilettes avec l’associée qui assurait la formation et nous avons échangé quelques mots. Un mot en amenant un autre, elle m’a finalement félicitée d’avoir été si courageuse. Je l’ai remerciée et lui ai dit encore quelques petites choses sur mon bégaiement, notamment comment il avait forgé mon caractère. Elle m’a répondu qu’elle était sûre que j’allais réussir dans cette entreprise. Elle m’a dit que de nombreuses personnes dans cette société, en particulier des femmes, ont peur d’être trop franches vis-à-vis des autres par peur de ce qu’ils pourraient penser. Elle m’a dit qu’en admettant mon bégaiement, j’avais montré un trait de caractère de grande valeur parce qu’elle savait que je serai aussi franche vis-à-vis des clients que je l‘avais été vis-à-vis du groupe. Je me suis dit : « Waouh ! » D’une part, j’ai tapé dans l’œil de l’associée et elle se souviendra de moi, d’autre part cela montre combien mes croyances limitantes sont de la pure fiction ! J’étais cependant un peu inquiète de la manière dont les personnes à ma table allaient se comporter vis-à-vis de moi après ce coming-out mais ça s’est super bien passé. Ils ont été aussi gentils et amicaux que lorsqu’ils ne savaient pas que je bégayais.

Waouh, j’ai l’impression d’avoir écrit un roman mais c’est seulement une petite partie du Grand Huit émotionnel par lequel je suis passée. Je suppose que mon subconscient s’est finalement mis en phase avec mon travail de visualisation et toutes mes tentatives pour changer mon état d’esprit. J’espère que mon histoire servira d’exemple aux autres personnes de ce groupe qui se battent comme moi. Aujourd’hui, mon pire cauchemar est devenu réalité sauf que l’horrible monstre qui me faisait si peur ne m’attendait pas au coin de la rue. A sa place, un petit ange est apparu et m’a tapé dans le dos. Etre renfermé et réservé est une attitude néfaste, que ce soit dans les relations professionnelles ou privées. Les gens aiment la franchise et l’honnêteté. Après tout, nous sommes tous des humains.

Rika »


Voilà ! Tout y est et ce parcours éclair de Rika (qui n’est bien sûr pas fini) est pour moi la route à suivre. Entre le premier et le dernier message, le contraste est saisissant et résume bien les transformations fantastiques dont sont capables les personnes qui bégaient. Beaucoup ont dû se reconnaître dans le stress d'un nouveau travail, la hantise de devoir dire son nom (aucune substitution possible), l’angoisse du tour de table où tout le monde va voir que vous bégayez, la faculté inouïe que nous avons de fantasmer les réactions des autres... Et puis, la prisonnière décide de briser ses chaînes en avalant une bonne dose de potion magique composée d'acceptation et de détermination. Les pensées négatives sont remplacées par d’autre plus positives et constructives, Rika devient une force en mouvement et, au final, ressent le formidable soulagement d’avoir assumé son bégaiement et de se distinguer non par son silence et sa timidité mais par sa franchise et son courage !

Lorsque nous assumons ce que nous sommes, les gens ne réagissent pas comme nous le redoutons. Le témoignage de Rika est là pour le confirmer et donner de l’espoir et du courage à tous ceux et toutes celles qui sont encore paralysés et submergés par leurs peurs.

J'ai demandé à notre nouvelle copine une photo pour illustrer ce post. Elle m'en a envoyées deux. Vous avez découvert la première en tête de cet article. Voici la seconde avec son commentaire : «ce pourrait être une bonne métaphore: prendre le taureau par les cornes !»


Alors, laissez vos commentaires pour Rika, partagez vos expériences et vos résolutions, je lui traduirai et ferai passer. Elle est de l'autre côté de l'Atlantique et elle attend de vous lire : ça lui fera un immense plaisir !

Laurent

8 commentaires:

Debolabeille a dit…

Pas facile de faire son "coming-out"... Il est chouette cetémoignage, car Rika s'est vraiment lancée "sans filet" !

J'ai relevé cette phrase "je me fais une telle montagne de mon nom que je bloque quand on me le demande." car à titre personnel, je n'ai pas l'impression d'avoir appréhender de dire mon nom avant d'avoir plusieurs fois bloqué dessus de manière importante, ce qui a créé cette montagne que je m'en suis fait par la suite, et donc des blocages fréquents sur mon nom ultérieurement.

Laurent L. a dit…

Merci pour le commentaire Debo. C'est sûr qu'une personne qui ne bégaie pas ne doit pas craindre de bégayer sur son nom, y'a quand même un minimum ! :-) Mais c'est vrai que la hantise du nom revient souvent parce qu'il n'y aucune substitution possible et que c'est aussi porteur de beaucoup de sens. Est-ce que bégayer sur notre nom, c'est associer celui-ci et donc notre personnalité au bégaiement ?
Quoiqu'il en soit, tu as raison, le "coming-out" n'est jamais facile et Rika l'a fait dans des circonstances particulièrement "balèzes" !

Cédric a dit…

Prénom ou nom, personalité, absence de substitution, c'est un débat qui court depuis des années, et qui alimente bien toute la dimension psychologique du bégaiement. On aime bien inclure les blocages sur le "je" et le "moi" également dans cette affaire. La meilleure façon de gamberger sur qu'est ce qu'il y a en moi qui ne tourne pas rond, qu'est ce que je fais de mal lorsque je veux dire ces mots, au final la meilleure façon de se mettre soi-même en défaut. Il y a bien longtemps que j'ai dépassé tout ça qui, pour moi et pour moi seul (?) n'amène à rien... Mais bon c'est et c'était très rare que je bloque sur mon prénom-nom (ceci n'est pas un bégaiement sur fin de mot). Sur le "je" et le "moi" plus fréquemment.

Pendant des années j'ai bloqué systématiquement sur "adaptateur" et sur le prénom "Pauline" qui n'était pas le mien ni celui de quelqu'un qui compte. Peut être parce que je ne voulais m'adapter à Pauline ? :)) Ceci illustre tout le bien que je pense de se chercher des raisons sur le pourquoi du comment et de ces histoires de pression.

Autrement c'est un chouette témoignage de cran, très positif ! Merci pour la traduction Laurent.

Ulrich a dit…

Commentaire très émouvant.Moi même j'ai eu un séance de présentation il y a deux semaine lors de ma rentrée en M2 j'ai vraiment paniqué et ce fut catastrophique.Je pense que Rika a bien fait car elle s'est enlevé un fardeau en annonçant son problème d'élocution. Bravo et bonne chance pour la suite

Bob a dit…

Merci pour ce témoignage et sa traduction. J'ai connu la "hantise" des tours de tables, et avec du recul, si on m'avait montré, un an après, une vidéo de ma personne pendant ces tours de table, je crois que j'aurais pas hésité longtemps entre faire mon "coming out" (même si on se doute que les gens ont bien compris qu'on bégayait en nous voyant, ils doivent aussi se dire qu'on ne l'assume pas et donc ne savent pas trop comment réagir j'imagine) et vivre ces moments là.

Au final c'est ce qu'on lit dans les bouquins ou articles sur le bégaiement : "l'acceptation de soi".
Personnellement j'appellerais pas ça du "courage" à proprement parlé, car je pense qu'on est amené à s'assumer quand on a bien compris que c'était dans notre intérêt et celui de nos interlocuteurs. Je parlerais plutôt de "résignation assumée", même si ça a un coté négatif, ça me parait plus réaliste.

Laurent L. a dit…

Merci Bob pour ta contribution. J'ai aussi connu cette peur panique des tours de table. L'angoisse qui montait au fur et à mesure que mon tour approchait, la sensation que tous les yeux sont braqués sur toi... Une personne qui bégaie avait dit une fois qu'un flic infiltré chez les mafieux devait ressentir la même chose : la nécessité de devoir en permanence donner le change avec la peur au ventre d'être démasqué.
Et tu as raison, ce n'est pas du courage. Comme l'a très bien dit Rika, il y a juste un moment où on se rend compte qu'on "doit" le faire, que le fardeau est trop lourd à porter. C'est une prise de conscience.

Olivier a dit…

My name is Rika....
I live in the second floor
Just live upstairs from
Don't think you'd see me before...

Bon, bon, je sors. eh eh poussez pas ça c'est l'escal.....

anita grâce a dit…

merci Laurent pour la traduction; si je comprenais l'anglais; j'aurai fais un tour sur neurosemantics( rien n'est tard; j'y travaille seulement que cela prendra énormément de temps!).
vous savez; moi ma plus grande peur; c'est d'avouer que je suis bègue en milieu professionnel. il y a tellement de personnes compétentes dans mon domaine d'activité(assitante juridique/administrative). au départ je me suis inscrite après le baccalauréat car je me suis dite que j'avais juste à réfléchir et a tout coordonner par écrit; loin de la; lol
c'est un peu a long à expliquer.
tout ceci pour dire que parfois avouer que vous êtes bègue a votre employeur surtout quand le domaine d'activité exige une communication régulière; c'est comme signé votre départ; dehors il y a des personnes non bègues et expérimentées en plus qui peuvent prendre votre place.
c'est pas du tout facile; on fait du mieux possible pour cacher cela même si on se fait du mal...

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