Le 27 avril 2019, après six semaines de travail et de découvertes, se tenait la finale du premier concours d’éloquence du bégaiement, organisé par Juliette Blondeau et Mounah Bizri.
Damien et Malick, deux participants de cette aventure extraordinaire ont accepté de répondre à mes questions. Ils sont revenus longuement sur leur expérience, ce qu’ils ont appris, ce qu’ils en retiennent et livrent leurs conseils pour ceux qui seraient tentés par l’aventure. Grâce à eux, nous plongeons dans les coulisses du concours et leurs témoignages sont passionnants. Cela donnera donc lieu à deux articles. Damien ouvre le bal et, la semaine prochaine, ce sera le tour de Malick. Bonne lecture !
Entretien avec Damien :
“C’était extraordinaire de sentir l’attention de plus de 200 personnes fixées sur soi, de créer un lien avec le public, de le voir réagir à son discours, c’est une impression indescriptible ! Ce concours est l’une des meilleures expériences de ma vie.”
Quel âge as-tu et que fais-tu comme études ou métier ?
J’ai 22 ans. J’ai fait des études d’histoire et je prépare maintenant des concours dans le patrimoine.
Comment décrirais-tu ton bégaiement ?
Mon bégaiement, qui était sévère il y a encore un an, est désormais de plus en plus faible, mais j’ai toujours de gros blocages à certains moments, et il se réveille dès qu’il y a un peu de stress, de fatigue, une situation inconfortable…
Suis-tu une thérapie ?
J’ai fait plus de 10 ans d’orthophonie, mais j’ai arrêté il y a quelques mois en voyant les progrès que j’avais faits. Je fais des exercices de voix et de respiration seul tous les matins depuis plus de 6 mois. Un groupe de self-help avait aussi plus ou moins débuté sur Bordeaux, mais j’ai dû arrêter en déménageant sur Paris il y a quelques mois.
Comment as-tu découvert le concours ?
Par mon ancienne orthophoniste, qui m’a transmis le lien de candidature qu’elle avait obtenu par l’Association Parole Bégaiement.
Quelles étaient jusqu’à présent tes expériences à l’oral ?
J’avais déjà dû faire devant de petits groupes des exposés, souvent très laborieux, mais j’avais aussi récemment fait une conférence devant plusieurs dizaines de personnes, qui s’était bien passée, ce qui m’a mis en confiance pour le concours. Quand il s’agit d’oral, pour moi tout dépend de l’atmosphère et de l’attitude du public/examinateur, le moindre soupçon d’antipathie ou même d’indifférence/ennui et ma parole en est sévèrement altérée.
Pourquoi as-tu voulu participer à ce concours ?
Je voulais apprendre des techniques, des astuces de la part des formateurs qui me serviraient dans ma vie courante. Je voulais aussi voir la manière dont d’autres bègues réussiraient à surpasser leurs difficultés pour m’en inspirer. Par ailleurs, j’ai toujours eu un amour fou pour la langue française et les grands discours de l’histoire, et j’écoutais parfois des concours d’éloquence, mais je n’aurais jamais eu le courage ou même l’idée de m’y inscrire avant l’éloquence du bégaiement. Je me suis dit que c’était l’occasion de voir ce que je valais vraiment devant un public en bénéficiant d’un environnement bienveillant pour me lancer.
Qui étaient vos professeurs ?
Nous avons eu deux types de professeurs : ceux qui nous apprenaient la technique orale et à nous détendre, à être à l’aise en public comme Stéphane André, un professeur d’art oratoire ou Eddy Moniot, un comédien ; et des formateurs qui nous apprenaient à rédiger un bon discours, à travailler sur le contenu au-delà de la forme, notamment des avocats comme Charles Haroche et Isabelle Chataigner-Haroche, ou Guillaume Prigent qui a déjà gagné des concours d’éloquence.
Qu’avez-vous appris et comment ?
Au niveau du fond à énoncer clairement nos idées en faisant appel à différents registres : le sérieux et l’absurde ; l’humour et la gravité ; l’émotion ou l’agressivité, etc., selon nos personnalités et le style qui nous convenait le mieux, ce qui obligeait ceux qui comme moi étaient assez effacés et avec une manière de parler assez terne à tenter de nouvelles choses.
Sur la forme, nous avons appris à nous tenir correctement devant un public, à avoir une posture adéquate, à utiliser ses bras, à avoir une voix qui porte, à marquer des pauses adaptées, à contrôler son regard et à maintenir un lien avec l’auditoire, à jouer avec lui… Bref tous les ingrédients pour faire un bon orateur que l’on a envie d’écouter et qui est fier de dire ce qu’il a à dire, et que tout le monde peut mettre en place indépendamment de l’importance des blocages ou répétitions que l’on peut avoir.
La théorie que l’on nous transmettait chaque samedi nous a donné des pistes, mais ce qui a aussi été essentiel par la suite ça a été les temps d’atelier pratique, d’expérimentation réelle que l’on faisait par petits groupes, avec les organisateurs, et où on chacun disait ce qui allait ou n’allait pas dans la prestation des autres. C’est grâce à l’expérience réelle, à une prise de parole régulière pendant plusieurs semaines, que l’on s’est peu à peu amélioré, jusqu’à ce que l’exercice devienne relativement confortable, et que l’on parvienne à triompher de nos faiblesses : regard fuyant, posture avachie ou crispée, voix trop basse ou trop monocorde, ne laissant pas passer assez d’émotions, etc. C’est vraiment la possibilité de s’exprimer à l’oral régulièrement et d’avoir des critiques honnêtes pendant six semaines qui, par-delà les formations, était essentielle, mais dès le premier atelier et la première semaine, les progrès ont été incroyables chez beaucoup de participants, ce qui nous stimulait mutuellement.
Comment s’est passé le jour du concours ?
Il y a eu le premier tour, la demi-finale, puis la finale, avec à chaque fois un public de plus en plus important. Les deux premiers tours se sont passés dans une très bonne ambiance, en petit groupe, on écoutait les prestations des autres et on s’encourageait, ça a été de bons moments. En revanche la finale était vraiment de nature différente, avec environ 200 personnes dans le public, de grands médias, ce qui donnait une très grosse pression et l’envie impérieuse de produire un discours de qualité. Finalement tout s’est bien passé. Globalement tous les finalistes ont été au sommet de leur forme le jour de la finale, c’était extraordinaire de sentir l’attention de plus de 200 personnes fixées sur soi, de créer un lien avec le public, de le voir réagir à son discours, c’est une impression indescriptible !
Comment as-tu géré ton trac ?
J’ai surtout eu le trac pour la finale. Toute la semaine avant la finale, j’étais obsédé par la rédaction de mon discours que je ressassais en permanence. Quand j’ai vu la première fois la salle en répétition, immense et ovale, j’ai eu un gros moment de doute et je me suis vraiment demandé si j’en étais capable.
Ce sont les nombreux entraînements, trois en une semaine, qui ont fait que la confiance est finalement revenue. En s’imprégnant de la salle, en travaillant ses effets, en connaissant peu à peu son discours sur le bout des doigts, une grosse part d’incertitude a disparu. Les orthophonistes, les organisateurs et les autres candidats ont aussi donné de nombreux retours, souligné ce qui n’allait pas, nous ont fait travailler sur nos points faibles. Grâce à ça nous n’étions pas complètement confrontés à l’inconnu le jour de la finale, et si un discours marche bien devant vingt personnes, c’est qu’a priori il marchera devant deux cents personnes. Si j’étais arrivé sans entraînement, je pense que j’aurais été totalement paralysé par le stress, mais là j’étais parfaitement prêt et j’ai pu entièrement me focaliser sur le moment présent et la joie de pouvoir communiquer mon texte à autant de monde. Dès que la première phrase sort, qu’on sent qu’elle résonne bien, qu’on voit l’attention des gens fixée sur nous, toute forme de trac disparaît, on est complètement noyé d’adrénaline et purement concentré sur l’action, et c’est honnêtement orgasmique.
La relation avec les autres candidats et avec les organisateurs et orthophonistes a aussi joué pour beaucoup. On se motivait tous mutuellement, on était tous ensemble face à l’épreuve, et on se devait de bien faire pas seulement pour nous-mêmes, mais pour les autres. D’ailleurs je pense que j’ai plus stressé en écoutant les autres, par peur que ça se passe mal pour eux, que pour moi-même.
Constates-tu un changement depuis la fin de cette aventure ?
Oui, plusieurs. J’ai déjà beaucoup moins honte de mon bégaiement, j’y suis même quasiment indifférent, en partie car le contact avec des dizaines de bègues pendant des semaines m’a fait relativiser la gravité de ce handicap, qui n’empêche en fait personne d’être intéressant et de révéler sa personnalité, même lorsque le bégaiement est sévère. Ce concours a été l’occasion de dire que j’étais bègue à beaucoup de personnes, et c’était un superbe moyen d’en parler de manière positive à ses connaissances. Il devient aussi difficile d’être perméable aux critiques sur notre façon de parler, quand on sait que l’on a fait quelque chose que peu de gens auraient osé.
Globalement j’ai l’impression de pouvoir beaucoup plus compter sur ma voix, j’ai découvert à quel point je pouvais parler fort, distinctement, la moduler, et désormais les exigences orales du quotidien semblent bénignes en comparaison de ce que j’ai fait pendant le concours. De manière générale, je sens que j’ai beaucoup plus confiance en moi, et je ne me vois plus vraiment comme quelqu’un d’effacé, comme c’était le cas avant.
Que mets-tu encore en pratique dans ta vie quotidienne ?
Pour les prestations orales formelles que je dois parfois produire, notamment les oraux pour les examens et l’université, j’utilise tels quels les enseignements de la formation, qui permettent de capter et garder l’attention de son auditoire, et d’être clair dans sa formulation. Je n’ai absolument plus bégayé durant les oraux qui ont suivi le concours d’éloquence, et je n’ai plus le trac que je pouvais connaître auparavant.
Dans la vie quotidienne, je pense que je fais plus de pauses, que je contrôle mieux ma respiration, que j’ai une meilleure posture, que je parle plus fort, que j’ai un regard plus franc… même si je ne parle pas dans la vie courante comme pendant un discours. Je continue tous les matins à faire des exercices de voix et de respiration, mais à côté de cela je pense aussi que j’ai intégré certaines bonnes habitudes de parole pendant ces six semaines, et qu’il est maintenant plus agréable de m’écouter. Je pense également que voir d’autres gens bégayer m’a permis de modifier certaines choses, à la fois en me rendant compte de l’effet que faisaient les comportements gênants liés au bégaiement sur son interlocuteur, comme la perte de regard ; mais aussi en m’inspirant de ceux qui passaient outre leur bégaiement avec brio.
Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaite participer à ce concours ?
Si un bègue a du mal à s’exprimer en public et a envie de travailler pour s’améliorer, être plus à l’aise, mieux parler, il devrait s’inscrire sans hésiter. Ce concours permet de rencontrer des gens formidables qui ont décidé de se surpasser, d’affronter leurs peurs, et côtoyer autant de bègues lui donnera une autre vision de son handicap, qui peut soit être une barrière, soit au contraire une opportunité de travailler sur soi et de se confronter à ses plus grandes peurs.
Mais surtout, cette première édition l’a montré : objectivement la formation fonctionne. Les progrès étaient indubitables, je ne connais pas un participant qui a regretté de s’être inscrit. Il ne faut surtout pas refuser de participer par peur d’être mauvais, ou incapable de faire un discours, nous étions honnêtement pour la plupart tous mauvais en arrivant, mais en six semaines on progresse vite, et beaucoup. Un bègue a tout autant de chances que les « non-bègues» d’être un bon orateur, cela a fréquemment été évoqué pendant le concours. Le bégaiement permet souvent d’avoir un vocabulaire étendu, oblige à développer une bonne maîtrise de sa voix, peut amener à avoir une grande empathie pour les autres… le bégaiement n’est pas que négatif et tout ce concours le montre.
Ce concours est l’une des meilleures expériences de ma vie, de même que pour beaucoup d’autres candidats, alors si certains hésitent, mettez vos appréhensions de côté et tentez le coup !
Merci Damien ! A mon avis, après ce témoignage, Juliette et Mounah vont crouler sous les candidatures... et la prochaine finale se tiendra au Stade de France !
D'autant plus que ce n'est pas fini... Rendez-vous la semaine prochaine pour le témoignage et les conseils tout aussi passionnants de Malick !