Dans le précédent post, j’ai parlé de l’engrenage désastreux provoqué par l’habitude d’éviter certains mots ou situations pour ne pas prendre le risque de bégayer. Il est sans doute difficile pour un non bègue d’appréhender l’ampleur de ce dommage collatéral mais les parents ou compagnons d’une personne qui bégaie en ont sans doute un petit aperçu. L’évitement peut en effet devenir un mode de vie, dictant le moindre de nos déplacements ou décisions.
L’image donnée par Martin dans le commentaire du post précédent résume bien l’idée sous-jacente : « si vous n’enlevez pas la pierre, elle restera sur votre chemin ». J’ajouterais même « et dans votre tête ! ". en effet, cette pierre va s’y installer et vous dépenserez beaucoup de temps et d’énergie pour éviter le chemin où elle se trouve.
Voilà pour les conséquences négatives de l’évitement. Il est temps maintenant de reprendre un discours positif pour vous dire ce que vous avez à gagner à cesser d’éviter. Une chose toute simple mais combien importante pour avancer sur votre chemin : la confiance.En effet, affronter une situation renforce votre confiance et enclenche un cercle vertueux qui peut se résumer ainsi : « J’avance – je me rends compte que ce n’est pas si difficile que prévu et même si ça l’est ça le devient de moins en moins – je remplace la frustration par la satisfaction d’avoir osé – j’ai une meilleure image de moi – je reprends confiance – cette confiance me porte pour oser d’autres choses – etc. »
On retrouve ce cercle vertueux dans de nombreux témoignages de bègues. A commencer, par celui d’Alan Badmington mon « ancien bègue » préféré.
Il raconte l’importance qu’a eu dans son parcours cette simple résolution : « affronter mes peurs et ne plus jamais éviter ». Il a un jour décidé de ne plus jamais remplacer un mot par un autre et de ne plus se dérober à une situation de parole. Il a choisi de voir les situations nouvelles comme des expériences d'apprentissage plutôt que comme des difficultés et c’est à partir de ce moment que son image de lui-même s'est améliorée et qu’il est entré dans le cercle vertueux de la confiance. Cela pourrait d’ailleurs donner lieu à un 1er commandement du bègue (quand j’aurai le temps, je vous proposerai les 9 autres :-)) : « Tu ne succomberas pas à la tentation de substituer un mot ou d'éviter une prise de parole. »
Voici également deux autres témoignages, glanés sur le forum « Paroles de bègues » :
« Pour moi, le processus de tenter d'arrêter les contournements s'est accompagné par un bégaiement de moins en moins prononcé. Du coup, je parlais plus sans avoir l'impression de bégayer davantage. Au contraire, c'était même valorisant de pouvoir parler à un moment où je me serais tu auparavant. ».
et...
« Ce qui est tout nouveau pour moi est d'oser affronter, même très ponctuellement, des situations qui m'auraient fait reculer il y a peu de temps encore. Reprendre confiance en soi, c'est sans doute essentiel, avant même d'envisager autre chose. »
Ce gain de confiance et le bien-être qu’il procure a été aussi présenté par Jim, dans un commentaire sur mon blog :
« En effet, je ne bégaie presque plus. Je bute sur certains mots encore mais rien de grave, il suffit de prendre une grande bouffée d'air et de bien articuler le mot qui pose problème syllabe par syllabe, lentement et ça passe crème. J'ai aussi évolué d'un point de vue psychologique : j'ose plus prendre la parole, parle plus fort et moins vite, me concentre sur ce que je dis et pas la façon dont je vais le dire (dur au début et même maintenant parfois, les vielles habitudes ont la vie dure ! ) et... Je fais du théâtre ! Une chose pire que la mort pour certains bègues mais croyez moi ça fait un bien fou de s'exprimer à sa guise ! »
Les thérapeutes ont bien sûr relevé cette importance du « faire face » et l’ont relayé dans leurs écrits. Je citerai juste Joe Sheehan et Malcolm Fraser (« une auto-thérapie pour les personnes qui bégaient »), tous deux bègues et figures importantes de la thérapie du bégaiement.
"L’évitement est au cœur du bégaiement. Ce comportement – se retenir – fait infailliblement se perpétuer ce trouble. Le bégaiement ne peut tout simplement pas survivre à un affaiblissement total de l’évitement, couplé à un renforcement concerté de la volonté d’affronter, de foncer. " - Joseph Sheehan
« En réalité, vous aurez un sentiment d'accomplissement personnel en recherchant volontairement les mots craints et en vous impliquant dans des situations difficiles. Moins vous éviterez, plus vous aurez confiance en vous-même en tant que personne digne et respectable. Dans le jeu du "donne et prends" de la vie moderne, vous ne devez pas reculer; il faut vous affirmer. - Malcolm Fraser
Vous allez me dire : « il est bien gentil le Laurent mais c’est plus facile à dire qu’à faire et la confiance on ne l'achète pas en magasin ». Comment je m’y prends ?
La méthode la plus répandue est celle de la « désensibilisation progressive ». Le principe est simple. Vous listez ce qui vous fait peur (mots, situations, personnes…) et vous les classez par ordre d’appréhension, de la moins effrayante à la plus paniquante. Ensuite, vous allez affronter ces mots ou situations graduellement en commençant par ce qui vous effraie le moins. L’idée est d’acquérir progressivement de la confiance, confiance qui vous servira pour affronter la situation suivante. En gros, avant de sauter 6 mètres à la perche, vous allez commencer par passer 3 mètres. Et au fur et à mesure de votre entraînement, vous allez franchir 3, 4 puis 5 mètres les doigts dans le nez, sans aucune appréhension. Bien sûr, ça restera toujours difficile de franchir 6 mètres, mais vous saurez que vous en êtes capable, notamment grâce à l’expérience acquise en franchissant les hauteurs précédentes. Parce qu’une chose est sûre : vous en serez beaucoup plus capable que si on vous avait mis un jour une perche dans la main en vous demandant de franchir tout de suite 6 mètres !
Pour une explication plus détaillée, je vous renvoie vers un excellent chapitre sur ce sujet page 47 du livre de Malcolm Fraser « une auto-thérapie pour les personnes qui bégaient » (voir la section téléchargement)
Pour terminer et vous aider à mettre en œuvre cette bonne résolution, je vous offre ce conseil trouvé sur un forum américain dédié au bégaiement. Il est donné par Catherine, une jeune femme polonaise. Elle a trouvé une image beaucoup plus poétique que mon allégorie ménagère pour vous motiver et vous expliquer ce que vous apportera le « non-évitement ». La voici :
« Dites-vous que vous avez 2 plantes : la plante carnivore “Le monstre de la parole” et la plante “Je peux le faire”. Chaque fois que vous évitez, vous arrosez la plante “Monstre de la Parole” qui devient un peu plus terrifiante. A l’inverse, chaque fois que vous êtes courageux, vous arrosez la plante « Je peux le faire » et vous regagnez de la confiance. Le but est d’assécher la plante « Monstre de la Parole » et de fertiliser la « Je peux le faire » ! »
Jolie métaphore, non ?
Dans le prochain post, je vous parlerai de Steven, un britannique qui a eu une excellente idée pour aider les personnes bègues à mettre en œuvre la bonne résolution du « non-évitement ».
En attendant, à vos arrosoirs !
Laurent
P.S 1 : un petit coucou et un grand merci aux logopédistes suisses qui n'en finissent pas de faire du bouche à oreille pour le livre "Des fois, je bégaie". J'en profite pour refaire un petit coup de promo et remettre le lien vers le page de commande.
P.S 2 : Un petit message d'Audrey, la sympathique étudiante en orthophonie qui a sollicité votre aide pour une enquête sur le bégaiement. S'il vous plaît, allez jusqu'au bout du questionnaire. Il s'agit d'un questionnaire européen qui ne peut être modifié. Il est donc un peu long mais il est indispensable de le remplir complètement !
3 commentaires:
Certains d'entre vous m'ont signalé que leurs commentaires n'avaient pas été publiés. Je viens donc de modifier le mode de saisie. Alors lâchez-vous et dites moi si c'est plus simple ! Et souvenez-vous : le blogueur est aussi une petite plante fragile qui a besoin qu'on l'arrose de commentaires régulièrement...
Quelle belle fin avec les 2 plantes. Tout en douceur...
L'évitement...LE problème super méga difficile à affronter au quotidien. Se dire: "je reporte à demain mon appel à passer car demain je serai plus fluide, je vais me préparer toute la nuit à faire en sorte de ne pas bégayer". Le jour J c'est l'enfer, tout ne se passe pas comme on l'avait prévu. Un cercle vicieux, le plus vicieux qui soit. Ton idée de classer les situations d'évitement du plus faible au plus élevée est très sympa (encore faut-il suivre ses engagements...). Cet article, un ancien post de ta part, je clique dessus au hasard et que vois-je? un sujet d'actualité qui me concerne... Petit commentaire oblige...surtout que je travaille en ce moment dans les plantes...HI!
Merci pour le commentaire Sarah et arrose bien tes plantes ! :-)
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