1 oct. 2017

Un monde qui comprend le bégaiement

A l'occasion de la Journée Mondiale du Bégaiement, l'International Stuttering Association organise sa 20ème conférence en ligne du 1er au 22 octobre. Des personnes qui bégaient et thérapeutes soumettent des articles et j'ai eu le plaisir que le mien soit retenu. Le thème de cette année est "un monde qui comprend le bégaiement". Grâce à cette conférence, vous ferez le plein d'espoir, d'idées, de découvertes et d'énergie. Vous pouvez commenter les articles, échanger avec leurs auteurs et vous trouverez aussi un forum pour poser vos questions à des professionnels du bégaiement.

Tout est en anglais mais il y a un système de traduction sur le site. En attendant, voici, en avant-première mondiale :-), la version française de mon texte. Bonne lecture !




Un monde qui comprend le bégaiement

Si vous déplorez que le monde ne comprenne pas notre bégaiement, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer : le monde a ses propres problèmes et il ne se lève pas le matin pour nous comprendre.

Cette année, une partie de la communauté bègue s’est déchaînée contre un serveur de Starbucks qui s’était moqué du bégaiement d’un client. Pour ma part, j’ai refusé de participer à ce clouage au pilori de l’employé. Je ne pense pas que ce serveur est un être malfaisant et détestable. Il n’avait simplement pas conscience de la souffrance que peut ressentir une personne qui bégaie et de l’incapacité de beaucoup d’entre nous à en plaisanter.

Le monde ne peut pas comprendre que nous ne faisons pas exprès de bégayer.

Le monde ne peut pas comprendre que le bégaiement n’est pas un signe de nervosité ou de manque d’intelligence.

Le monde ne peut pas comprendre la souffrance engendrée par le bégaiement.

Sauf si quelqu'un lui explique… Or, personne ne peut le faire mieux que nous. C’est notre expérience, notre aventure et nous ne devons pas attendre des autres qu’ils nous comprennent spontanément. C’est notre rôle et notre responsabilité de rendre le bégaiement compréhensible. Bien sûr, des associations font un formidable travail de sensibilisation et d’éducation du grand public mais cela ne doit pas nous dédouaner de cette responsabilité, si nous sommes capables de l’assumer.

Toutefois, un préalable est indispensable si nous voulons mener à bien cette éducation. Nous devons nous-mêmes avoir suffisamment progressé pour comprendre :

   • que le bégaiement n’est pas une faute et surtout pas notre faute, que nous ne devons donc pas nous sentir coupables ou honteux,

   • que ce n’est qu’une partie de nous-mêmes, qu’il ne nous définit pas tout entier et que nous avons aussi de nombreuses autres caractéristiques, qualités ou talents.

Si nous ne comprenons pas cela, comment les autres le pourraient-ils ? Si nous n’acceptons pas notre bégaiement, comment l’accepteraient-ils ? Le monde vivra notre bégaiement comme nous le vivrons nous-mêmes. Quand le bégaiement est accepté, il devient acceptable. Le Mahatma Gandhi disait : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. » Si nous voulons que le monde change d’attitude vis à vis du bégaiement, commençons donc par changer la nôtre.

En effet, changer notre manière de voir et de vivre notre bégaiement a un impact bénéfique sur notre état d’esprit mais aussi sur celui des personnes que nous rencontrons. C’est l’une des étonnantes découvertes que j’ai faites : la réaction des autres n’est pas liée directement à mon bégaiement mais à la manière dont je le vis, à l’image que je leur projette.
Si je le vis avec gêne, ils en éprouvent à leur tour. Au contraire, si je maintiens le contact visuel et leur envoie des signaux rassurants, cela se passe bien. Les réactions de nos interlocuteurs ne sont que le reflet de nos émotions. Essayez de sourire aujourd'hui à tous ceux que vous croiserez, vous serez surpris...

Voilà pourquoi il est essentiel de se débarrasser de toute honte ou culpabilité. Cela vous permettra d’avancer et aura aussi un impact bénéfique sur votre entourage. Vous serez surpris de voir l’influence positive de votre nouvelle manière de vivre votre bégaiement. 

Tout d'abord, cela rassure votre interlocuteur. Dans mon cas, on ne comprenait pas forcément que je bégayais, on avait l'impression que j’étais très stressé, que j'avais des tics… Je me souviens ainsi d’un oral d’anglais que j’avais passé pour un concours d’entrée en école de commerce. Alors que j’étais plutôt bon dans cette matière, je m’étais retrouvé presque incapable de sortir une phrase à l’examinatrice. Elle a pris mes nombreux silences ou répétitions pour des hésitations et un manque de vocabulaire. J’ai eu une note horrible. Il se trouve que le mari de l’examinatrice était mon professeur d’anglais. Lorsque je lui ai parlé de ma note, je lui ai dit : « je n’ai pas compris !», ce à quoi il a répondu « Elle, non plus ! »
Cette examinatrice ignorait que mes hésitations et ma difficulté à parler en anglais n’étaient que la manifestation de mon bégaiement. Quelques mots de ma part auraient suffi pour clarifier les choses et nous mettre à l’aise tous les deux.

Les réactions des autres ne sont en effet souvent pas dues à la méchanceté ou à la bêtise mais à l’ignorance.

De plus, pour beaucoup de gens, le bégaiement est déstabilisant et ils ne savent pas comment se comporter face à une personne qui bégaie. En parler donne à vos interlocuteurs une opportunité pour poser des questions sur le bégaiement. Cela vous permet aussi de présenter les techniques que vous avez apprises et de les mettre en œuvre de manière totalement libérée.

Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, assumer ses bégaiements devant les autres n’est pas très difficile. Il suffit de dire les choses simplement et de commenter l’évidence. Sincèrement, je pense ne jamais avoir vu de compassion lorsque j’en ai parlé mais plutôt de l’intérêt. L'incompréhension peut même se transformer en une sorte d’ « admiration » sur le fait que vous arrivez « quand même » à surmonter votre bégaiement pour faire des études, avancer dans une carrière, etc.

Cette démarche de transparence est ainsi un précieux sésame dans les situations qui nous font peur : les interrogations orales, le téléphone, l’entretien d’embauche,…

Les moqueries cessent quand un enfant fait un exposé en classe sur le bégaiement.

De l’autre côté du téléphone, vos interlocuteurs font preuve de compréhension lorsque vous les informez que vous bégayez.

L’examinateur ou le recruteur font la part des choses lorsque vous les prévenez que certains mots auront du mal à sortir du fait de votre bégaiement.

Voici quelques années, j’ai postulé pour un poste de responsable marketing dans une grande entreprise. A chaque entretien (cabinet de recrutement puis Responsable des Ressources Humaines puis futur responsable hiérarchique) j'ai dit que je bégayais. Je savais qu’en situation de fort stress le bégaiement pouvait revenir m’embêter et j’ai préféré prendre les devants. Cela n'a posé aucun problème : mes interlocuteurs m'ont remercié pour ma franchise et cela a permis de détendre l'atmosphère. Ils ont pu voir aussi que cela ne m'avait pas gêné pour faire un parcours professionnel intéressant. Résultat : j'ai obtenu le poste… Que j’ai finalement refusé mais c’est une autre histoire.

Depuis, je n’ai jamais cessé d’appliquer cette stratégie. Pour mon plus grand bonheur.

Ainsi, lorsque j’ai rencontré ma future épouse, plutôt que de chercher à masquer mon bégaiement pour être « comme les autres », j’ai pris le parti de lui révéler tout de suite et d'expliquer comment je le vivais. C’est sans doute l’une des décisions les plus intelligentes de ma vie. Cela m’a permis d’être moi-même et d’avancer sans la crainte d’être « démasqué ».

Aujourd’hui, nous sommes mariés et avons trois adorables enfants.

Et je vis dans un monde qui comprend le bégaiement.

Laurent

4 commentaires:

Unknown a dit…

Excellent article Laurent.

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec toi Laurent.
Daniel

Unknown a dit…


Merci Laurent pour ce texte que j'apprécie vraiment.
Je suis une personne qui bégaye peu mais de façon très masquée et aussi orthophoniste, à la fin de ma thérapie sur le bégaiement je m'entendais souvent tenir ces propos "c'est à nous PQB d'expliquer..." et puis mon message est devenu moins net. Dommage!!
alors Merci mille fois de remettre en lumière ce propos.
Je vais même demain le lire à la JMB de Nantes car je ne pourrai pas le dire MIEUX que toi.
Marie-Noëlle MILCENT

Juju a dit…

MERCi Laurent. C’est un très bon texte! Ça fait toujours plaisir voir que s’en personnes sortent.

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