4 déc. 2009

Bégaiement volontaire : comment combattre ses craintes ?

J’ai expliqué dans mon précédent article qu’il était souvent difficile de mettre en œuvre le bégaiement volontaire car cela oblige la personne bègue à se confronter à ce qu’elle craint le plus.

Pour illustrer cette crainte mais surtout voir comment on pouvait la combattre, j’ai trouvé et traduit ce témoignage de Gunard K. Neiders, qui a surmonté son bégaiement grâce aux thérapies cognitives et a repris ses études, une fois à la retraite, pour passer un doctorat en Psychologie.

Il donne ici un exemple très instructif de la manière dont un thérapeute peut accompagner son patient. L’exercice d’introspection et de confrontation avec ses croyances est très intéressant. Je vous invite à le faire vous-même la prochaine fois que vous ressentirez la peur de bégayer. Il y a tout : l’analyse de ses émotions, la nécessité de s’accepter tel que l’on est, les bienfaits de l’action, l’importance de contrôler notre discours intérieur… Sans oublier l’humour et la prise de recul, deux ingrédients à mon avis indispensables pour progresser.

Dans cet exemple, le thérapeute propose à son patient d’aller faire un petit tour dans le quartier pour lui faire une démonstration de bégaiement volontaire.

Le thérapeute accoste une personne et lui demande “Ex-cu-cu-cu-sez moi. Au-au-au-auriez-vous l’heure, si-si-si-s’il vous plaît ? » tout en conservant un bon contact visuel.

Après la conversation, il rejoint son patient et lui demande ce qu’il aurait ressenti s’il avait été à sa place. Voici la traduction de leur échange :
Le thérapeute (T) : Quelles auraient été vos émotions avant de commencer à parler ?

Le Patient (P) : L’anxiété

T : Quel aurait été l’événement déclencheur ?

P : M’approcher d’un étranger.

T : Quelles auraient été vos croyances ?

P : Si je bégaie (1), je me sentirai comme un âne (2) (note de traduction : le terme anglais utilisé était louse ce qui signifie morpion ou déchet, je l’ai remplacé par « âne » mais vous pouvez tout aussi bien utiliser larve, cornichon, ver de terre ou ce qui colle le mieux à ce que le bégaiement peut vous inspirer !) un vrai nul (3) Je ne pourrai pas le supporter (4) Ce serait horrible."

T : Est-ce que ces pensées sont rationnelles ?

P : Non

T : Pourquoi ?

P : Parce que, comme vous me l’avez appris, je me suis posé la question : où est l’évidence empirique (la preuve par l’expérience) ?

T : L’évidence empirique de quoi ?

P : Que je suis un âne !

T: Quel critère avez-vous utilisé ?

P : Bien sûr, j’aurais pu apporter comme réponse évidente que je suis toujours un être humain, pas un âne ! Mais je me suis vraiment dit que je ne suis pas un nul, ni un âne, ni une personne inférieure, ni une personne sans valeur.

T : Et comment savez-vous que vous n’êtes pas un idiot, une personne inférieure, une personne sans valeur ?

C: Parce que j’aurais été la même personne que j’y aille, comme vous, ou pas. Je ne vous ai pas vu vous transformer en âne ou devenir un nul (sourires).

T : Mais est-ce que je n’aurais pas eu une meilleure estime de moi si je n’avais pas bégayé ?

P : Vous nous avez appris à ne pas nous évaluer nous-mêmes. Dans les premiers jours, vous nous avez enfoncé dans la tête qu’une acceptation inconditionnelle de nous-même est le meilleur moyen pour aborder la vie et ses situations.

T : Mais croyez-vous que vous ne deviendrez pas une personne meilleure après une situation où vous n’avez pas bégayé et que vous ne devenez pas une personne moins bonne lorsque vous bégayez (Note de traduction : oui, je sais… Moi aussi j’ai dû relire 3 fois la phrase avant de bien comprendre…) ?

P : (riant) Et bien, Je ne vous vois pas comme une personne meilleure ou pire juste parce que vous avez bégayé. (plus sérieusement) Je sais que parfois je me rabaisse, que je me juge négativement quand je bégaie ou lorsque je ne fais pas les exercices que vous me donnez à faire, mais je me dis aussitôt que Je suis un être humain faillible et que je le serai toujours. Il peut y avoir certaines choses que je n’aime pas chez moi, comme le bégaiement mais je n’y pense plus en des termes de noir ou blanc. Je sais qu’un minimum de bégaiement ne me pose pas de réel problème, SI je n’exige pas la perfection.

T : Vous avez raison. Ne vous rabaissez jamais, quoi que vous ayez fait ou pas fait. Quelles sont les deux autres questions que vous auriez pu utiliser pour contrer ta croyance irrationnelle que vous êtes un nul ou un âne si vous bégayez ?

P : Est-il logique de me définir comme un âne ou un nul si je bégaie ? Est-ce que cela m’aide si je me définis comme un âne ou un nul ?

T : Et quelles sont vos réponses ?

P : Non, bien sûr, c’est illogique de dire que quelqu’un qui bégaie est un âne ou un nul. C’est complètement stupide de me définir comme un âne ou un nul si je bégaie, cela ne m’aide pas du tout.

T : Qu’est-ce que vous allez vous fixer comme objectif pour la semaine prochaine avant que nous nous revoyions ?

P : Chaque jour, je me mettrai dans 5 situations où je bégaierai volontairement. Je vais contrôler mon discours intérieur et combattre mes pensées irrationnelles. Je reviendrai avec au moins 3 pages de notes où j’aurais fait le même exercice qu’aujourd’hui.

T : Est-ce que cela vous a aidé que je fasse une démonstration de bégaiement volontaire ?

P : Certainement.

T : Alors, maintenant, laissez-moi vous regarder en faire un peu vous-même. Vous voyez cette fille qui vient vers nous. Demandez lui où est le Hall B de l’Université ? Rappelez-vous : bégaiement volontaire !!!

P : Où-où-où-où essssst le Ho-Ho-Hall B de l’Uni-ni-niversité ?

T : Beau travail. Regardez-vous.

P : (intrigué) Pourquoi ?

T : Je voulais juste que vous vous assuriez que vous ne vous êtes pas transformé en âne ! (rires)

Fin de la traduction.


Il est pas sympa ce thérapeute ?

Bon évidemment, ça fait parfois un peu « petit scarabée » (les plus de 35 ans et fans de David Carradine comprendrons)… Il n’empêche, je trouve qu’il a tout compris : il sort de son cabinet pour faire travailler son patient, il montre l’exemple, il le guide tout en le laissant trouver ses propres réponses, il lui demande de fixer lui-même ses exercices et objectifs, histoire de mieux l’impliquer. Et il dédramatise tout ça avec un brin d’humour !

Je lui verrais bien la bonne bouille de Robin Williams, vous savez le professeur Keating du « Cercle des Poètes Disparus ». Pas vous ?


P.S : Olivier et Alexandre continuent à publier les réponses du Dr Monfrais-Pfauwadel aux questions posées lors de la journée mondiale du bégaiement. Je vous invite à les consulter (liens à droite sur mon blog) : vous y trouverez forcément des choses qui vous intéresseront.

7 commentaires:

Laurent L. a dit…

J'ai modifié le mode de saisie des commentaires car il y avait des problèmes avec certains navigateurs. Normalement, ça devrait mieux fonctionner (affichage dans une fenêtre pop-up). N'hésitez pas à tester et dites moi si cela vous va mieux !

Clément a dit…

Pour moi ça roule.
Je voulais te dire un grand merci Laurent pour ton blog et le coté optimiste qui y règne. je te lis régulièrement et tous tes articles sont très bien écris. Pour moi j'ai enfin accepté mon bégaiement, et j'ai commencé mes toutes premières séances avec un orthophoniste. Ce que je voulais te dire c'est que tes expériences, tes commentaires, tes analyses et tes conseils m'ont réellement aidé à me relancer vers du positif, alors Merci.

Laurent L. a dit…

Merci Clément : voilà un cadeau de Noël qui me fait vraiment plaisir ! Tous mes voeux de réussite et de bonheur pour 2010.

Mc Chiken a dit…

Mon cadeau de noël à moi c'est d'avoir une conversation de plus de 30 minutes avec le fameux John harrison

Laurent L. a dit…

Salut Mc Chiken : intéressant. Tu peux nous en dire plus ? Qu'est-ce que tu en as retenu ?

Benjad a dit…

Bonsoir Laurent,
Un grand merci pour toutes tes infos et traductions. J'ai un fils de 5 ans qui bégaie et nous faisons des séances avec une logopédiste (en Suisse, il me semble que pour la France c'est une orthophonise??) depuis cet été...
Je viens souvent sur ton site, car je suis des fois désamparée et surtout je me sens coupable de ne pas avoir toujours assez de patien
ce par rapport à la fluence de son langage. Au début, je me suis dit: OK, super, on a trouvé une solution en parlant lentement et en calmant le jeu à la maison et mon fils sera bientôt guéri... Seulement la route est longue et semée d'embûches. Quand on croit avoir dompté une chose, il en vient d'autress et ces temps je me sens désespérée et suis fatiguée d'écouter mon fils (quelle horreur de dire ça!!).... Alors ton blog me permet de garder espoir dans ces moments-là et de "repartir du bon pied" - enfin j'espère ;-)

Laurent L. a dit…

@Benjad : la route est longue en effet et ces phases de découragement sont bien connues des personnes bègues. Il n'y a donc pas de raison que les parents y échappent. Je pense que l'important est d'essayer au maximum de ne pas montrer cet agacement (qui est naturel), même si cela est difficile. A titre personnel, je pense que l'attitude des parents influe grandement sur la manière dont l'enfant vit son bégaiement. Il l'acceptera mieux si ses parents l'acceptent et il aura moins peur du jugement des autres s'il ne sent pas la gêne ou l'agacement dans le regard de ses parents. mais je suis moi aussi père et je sais que parent n'est pas synonyme de perfection ou de sainteté ! Bon courage et merci pour votre commentaire.

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