Selon un article que j’ai trouvé sur ce site, 82% des enfants d’âge scolaire qui bégaient subissent des moqueries ou brimades.
Ce chiffre peut sembler énorme mais, en y réfléchissant bien, il n’est pas nécessaire d’être bègue pour essuyer des moqueries. Il vous suffit d’être un peu rondouillard, d’avoir poussé trop vite, d’avoir des grandes oreilles ou tout simplement de porter des lunettes pour être traité de patapouf, de grande perche, de Dumbo ou de binoclard.
La moquerie n’est donc pas rare dans les cours d’école et les parents font souvent l’erreur de conseiller à l’enfant de répondre par l’indifférence. Pour les binoclards, je ne sais pas, mais pour les bègues, c’est un mauvais conseil !
En effet, dans les nombreux témoignages que j’ai pu lire, il est frappant de voir que la honte et la perception négative commencent souvent dans le regard et les sourires des autres.
Vous devez répondre ou lire devant une classe de trente élèves que vous ne connaissez pas, et vous prenez conscience de votre différence. Or être différent, pour un jeune ado, c’est ce qu’il y a de pire. C’est un âge où on est déjà mal dans sa peau, où l’on peut se sentir à part parce qu’on a pas la bonne marque de baskets alors imaginez l’impact du bégaiement ! Et la honte (la « tehon » ! pour parler djeun’) est un carburant du bégaiement. C’est elle qui pousse au repli sur soi, à la fuite et l’évitement, à tout ce qui va amplifier votre conscience du bégaiement et l’importance que vous lui donnez. Vous allez surveiller vos mots, les choisir, vous taire, bref faire tout votre possible pour échapper à la « tehon » !
Il faut donc prendre réellement ce problème au sérieux. C’est ce qu’a fait le docteur William Murphy, dont les publications récentes se focalisent sur le rôle de la honte et de la culpabilité dans le bégaiement. Il s’est associé avec d’autres spécialistes du langage - J. Scott Yaruss de l’Université de Pittsburgh et Robert W. Quesal de l’Université du Western Illinois – pour co-écrire “Brimades et moqueries : comment aider les enfants qui bégaient”.
Voici ce qu’il écrit : “Même les enfants qui suivent des therapies pour les aider à vivre avec leur bégaiement continuent à avoir des sentiments négatifs lorsqu’ils grandissent. Leur aptitude à communiquer est toujours freinée par la honte et la gêne qu’ils ressentent au sujet du bégaiement., qui est souvent amenée par les moqueries ou les brimades.” Et Murphy ajoute : “les enfants ne peuvent pas ignorer les moqueurs parce que ce qu’ils disent les dérangent trop. Se bagarrer ne résoud pas non plus le problème et peut même en générer d’autres.”
Que faire ?
L’indifférence n’est donc pas une solution. Elle ne résoud pas le problème et n’est souvent pas suffisante pour décourager les moqueurs. La violence n’est pas non plus une réaction positive (même si je sais que ça peut parfois vous démanger…) et elle peut avoir des conséquences fâcheuses (riposte, punition de l’enfant qui a frappe…). On va donc la jouer Peace and Love et homme/femme civilise(e).
La pédagogie et l’humour sont bien plus efficaces parce qu’elles vous donnent une bonne image de vous-même. Cela participe à la dédramatisation et à la confiance en soi. En faisant face et en affrontant calmement la moquerie, vous allez renforcer votre confiance en vous.
Pour cela, Murphy conseille aux parents de travailler avec leurs enfants pour développer un plan “anti-moquerie”.
Tout d’abord, vous pouvez expliquer à votre enfant qu’il n’est pas le seul à subir des moqueries. Vous pouvez lui dire que vous en avez subi vous-même ou prendre d’autres exemples (cf les rondouillards, les grandes perches, les boutonneux, les binoclards et les grandes oreilles).
Ensuite, vous devez lui faire comprendre pourquoi les autres enfants se moquent. Première explication : l’ignorance. Une personne ayant un bègue dans son entourage ne s’amusera sans doute pas à se moquer des bègues qu’elle rencontre. A l’inverse, les enfants confrontés pour la première fois au bégaiement ne peuvent pas comprendre que cela n’est pas volontaire et peut même être source de souffrance. Il faut donc expliquer.
Pour cela, les parents peuvent bien sûr s’adresser directement aux enfants qui se moquent ou demander au professeur d’intervenir et d’expliquer.
Mais la meilleure solution, si cela est possible, est d’aider l’enfant à trouver lui-même des solutions pour agir par lui-même. Pour cela Murphy recommande de recourir au jeu de rôle. Tour à tour, vous jouez le rôle du moqueur et du moqué et vous improvisez des réparties. Votre enfant pourra retenir celles qui lui plaisent le plus pour les utiliser ensuite dans la « vraie » vie. Vous pouvez aussi lui conseiller de s’exercer avec un ami, s’il se sent plus à l’aise.
Ci-dessous quelques exemples de réparties trouvées par des enfants bègues et mises en ligne sur la Stuttering Home Page.
Quand quelqu’un se moque de mon bégaiement, je dis “oui, je bégaie et je travaille actuellement pour parler mieux."
(Lisa, 10 ans)
"Ce n’est pas parce que je bégaie que j’ai un problème. Je fais de mon mieux pour ne pas bégayer. Si c’était toi qui bégayait et que je ne bégayais pas, tu te sentirais comment si je me moquais de toi ? (Paris, 9 ans).
Quand j’étais enfant et que quelqu’un se moquait de moi, je répondais, "C’est juste une des différences entre toi et moi”. Ca poussait le moqueur à se demander ce que pouvaient bien être les autres différences et souvent ils arrêtaient de se moquer.(Doug)
Autre exemple donné cette fois-ci par un adulte, Vicky (même les adultes peuvent essuyer des moqueries). “Certaines personnes ne réfléchissent tout simplement pas. Cela m’a pris du temps pour réaliser cela. Pendant longtemps, je l’ai pris pour moi. Mais maintenant, c’est terminé. J’étais dans mon bureau et un gamin est entré. Il m’a demandé où était la photocopieuse. J’ai commencé à lui répondre et, comme toujours, j’ai bégayé. Il a commence à rire et à se moquer de moi; j’ai essayé de continuer et il a ri et s’est moqué encore plus. Finalement, je lui ai dit "Je bégaie, c’est comme ça que je parle. J’ai parlé comme cela toute ma vie. Tu ne t’en rends sans doute pas compte mais tu es très méchant avec moi." Le gamin s’est arrêté et sa mâchoire est tombée sur le plancher. Il était très gêné et a commencé à s’excuser. C’est bon, je lui ai dit, tu ne savais pas. Je pense que tu n’es pas une méchante personne.”
Une autre très bonne solution est d’encourager votre enfant à faire un exposé sur le bégaiement. Rien de mieux pour expliquer, intéresser et finalement être accepté et compris par ses camarades. Et puis cela demande du courage et le courage est toujours estimé. Pour cela, vous pouvez vous reporter à mon article « Mon enfant bégaie : comment en parler à l’école ? »
“L’une des façons que j’ai trouvé pour en finir avec les moqueries a été de faire un exposé en classe sur le bégaiement. Je suis heureux de ne plus rien avoir à cacher." (Eric – 9 ans)
Au cours de cet exposé, vous pouvez utiliser un exercice proposé par Murphy et qui peut, de prime abord, surprendre : « le plus efficace est lorsque l’enfant explique à ses petits copains et copines comment bégayer ! ». Bah oui, rien de tel que d’essayer de bégayer pour comprendre la contrainte et l’inconfort que cela génère !
Deuxième explication. L’enfant qui se moque le fait pour faire du mal. Donc, si la personne moquée pleure ou montre qu’elle est blessée, le moqueur va continuer. Là aussi, la pédagogie peut fonctionner. Cependant, si cela ne marche pas, il reste l’arme fatale de l’humour.
Quelques exemples, toujours issus de la Stuttering Home Page :
Parfois, quand quelqu’un se moque de moi, je lui dis juste "tu n’es pas parfait non plus, tu sais.” (David, 10 ans)
Quand un enfant imite mon bégaiement, je lui dis "Tu n’es pas très bon, tu veux qu’on prenne rendez-vous pour que je t’apprenne comment bégayer ?” (Nathan, 12 ans)
Autre variante, celle de Mark, 9 ans : “Reviens me voir quand tu bégaieras mieux que moi !”
Un peu plus agressif mais pas mal non plus, la question de Sandra lorsque quelqu’un imite son bégaiement “tu bégaies aussi ou tu es juste mal élevé ?”
Mais chercher à blesser l’autre en retour n’est jamais très positif, d’autant que vous prenez le risque de tomber sur quelqu’un qui a de la répartie. Quitte à faire de l’humour, autant jouer la complicité. Et oui, il vaut mieux que les gens rient avec vous que contre vous. L’exemple d’Eva, 11 ans est à retenir :
Quand quelqu’un se moque de moi, j’exagère mon bégaiement et je réponds “Tu tu tu tu tu tu as as as re-re-re-marqué ?" Cela fait rire les gens et crée une complicité.
Oui mais, me direz-vous, que faire si les moqueries continuent ? Rassurez-vous : la pédagogie et l’humour vous auront certainement permis d’avoir des alliés. Il ne restera donc que quelques irréductibles. Pour ces derniers, je crois qu’il ne faut pas insister. Comme le dit Samantha, 13 ans, « Vous devez juste vous souvenir d’une chose : si quelqu’un se moque de vous parce que vous bégayez c’est que son problème est beaucoup plus grave que le vôtre !”.
Et puis, dites-vous que le bégaiement a une vertu : c’est un excellent filtre anti-bêtise ! Récemment, j’ai vu un reportage sur une jeune fille de 17 ans amputée d’une jambe. Quand le journaliste l’a interrogé sur sa vie sentimentale, elle a eu cette jolie réponse :
« Au début, je me suis dit que ce serait un handicap mais à la réflexion, il m’est apparu que c’était une chance car je sais que la personne qui m’aimera sera quelqu’un de bien… »
Un dernier mot : j’ai cité quelques exemples de réparties sympas et je suis sûr que vous avez plein d’imagination (si, si, ne soyez pas modeste). Alors, j'attends vos contributions ! Dites-vous que cela pourra aider quelqu'un...
Allez, je commence : “Et oui, j’avais le choix entre le bégaiement et la bêtise… Et toi, t’as choisi quoi ?”
Pouf ! Pouf !
Laurent
Articles sur le bégaiement chez l’enfant
"Des fois je bégaie", un livre pour les enfants de 7 à 12 ans
Mon enfant bégaie
Mon enfant bégaie : comment en parler à l’école ?
Mon enfant bégaie : quand consulter ?
Des livres pour aider les enfants qui bégaient
Comment réagir au bégaiement de votre enfant
Votre enfant bégaie : ne culpabilisez pas !
Merci Laurent pour ce livre que je ne connaissais pas.
RépondreSupprimerP.S. : Ouah, éh, espèce de bloggeur, éh !! Ouuuh
Olivier Iceman
merci pour cet article, il permet d'aborder un difficile sujet à la maison, mon arthur aborde l'humour mais reste ferme dans sa réponse.
RépondreSupprimerMerci, merci, MERCI !!
RépondreSupprimerEnfin un article qui donne des outils et des solutions concrètes pour aborder le bégaiement à l'école et apprendre à mon fiston à réagir aux moqueries. Géniale, l'idée de l'exposé !
Et aussi, félicitations pour ce blog,il est d'une richesse incroyable !
Un grand bravo ! Et encore merci :)
Très bel article, riche en enseignements et émouvant. Je propose une réplique intéressante : "Moque-toi vas-y, t'es pas le premier à le faire et tu seras pas le dernier".
RépondreSupprimerGénial!
RépondreSupprimerJe suis orthophoniste/logopède en Belgique et je viens de me former dans le domaine du bégaiement.
Cet article me donne très envie de me mettre au travail au plus vite avec une personne qui bégaye.
Dans le cadre d'une autre pathologie, j'avais déjà découvert les "bienfaits" d'un exposé sur l'enfant lui-même et sur le groupe: c'est presque magique en terme de confiance en soi!
Merci pour cet article!
... Zut, je n'ai pas de répartie à proposer...
Marina
Bienvenue Marina ! Merci pour ton témoignage sur les vertus de l'exposé. Pour la répartie, ça peut-être un petit exercice à pratiquer avec ton futur patient : Je suis sûr qu'il en sortira quelque chose !
RépondreSupprimerJe crois que la meilleure répartie c'est d'exagérer son bégaiement,et ce à tous les âges,car comment continuer à se moquer quand la victime se moque d'elle-même,ou plaisante d'elle-même ? Certainement pas facile à faire quand on est en primaire,mais si votre fils (ou votre fille) a le courage de bégayer à outrance devant les autres AVEC LE SOURIRE,alors là il sera le roi de sa classe (ou la reine !),là il montrera qu'il n'a peur de rien.
RépondreSupprimerEn plus ce sera un début de thérapie parce que c'est une façon d'apprivoiser son bégaiement (cf le bégaiement volontaire).
Ça me paraît la meilleure solution parce que expliquer avec des mots,ou pratiquer l'humour,quand on bégaie,bon...
Charlie.
Charlie, je suis d'accord avec toi sur le fait qu'il est plus facile d'exagerer son begaiement pour faire face au moqueur. Mais je peux te dire que j'ai ressentis un plus grand plaisir d'avoir repondu au tac au tac. Et meme si j'avais de nouveau begayer, la personne en face s'est sentis gener.
RépondreSupprimerPour conclure je dirais que pendant la petite enfance, il est peut-etre preferable de jouer sur l'humour. Cependant, a un age plus avance (mon exemple vient du lycee), il est bien de "remettre a sa place" le moqueur s'il, selon vous, agit de maniere a vous destabiliser.
Personnellement j'adore : " T'es jaloux, tu veux que je t'apprenne comment on fais?"
Bruno
@Bruno : merci pour ton témoignage. A chacun en effet de trouver ce qui lui colle le mieux, le principal étant surtout de ne pas simplement encaisser et ruminer ! Attention aussi de ne pas retourner l'arme trop durement pour humilier l'autre à son tour. L'objectif, tant que cela est possible, est de déboucher sur un dialogue et une "éducation" de l'autre pas sur un affrontement. Peace my friends ! Guru Laurent :-)
RépondreSupprimermoi je beguais beaucoup et TOUT le monde se moque de moi par exemple si je veut dire "j aime le chocolat" je dit"j j j jai jaime l l l le ch chocolat"
RépondreSupprimerje suis begue et tout le monde (sauf ma meilleure amie qui me comprend )se moque de moi et quand j essaye de dire les reponses qui son marque dans le blog(en begayant) ils se moquent encore plus en me disant“ou jai p p p peu peu peur”
RépondreSupprimerBonjour, je ne sais pas quel âge tu as mais tu pourrais essayer autre chose. Tes camarades ne sont pas très intelligents lorsqu'ils sont en groupe car ils veulent faire les malins devant les autres. Tu pourrais donc essayer de leur parler séparément. Tu vas voir par exemple celui qui est le "meneur" pour lui parler seul à seul. Tu lui expliques ce qu'est le bégaiement, que tu ne le fais pas exprès, que tu comprends que ça puisse étonner et faire rire mais que cela te fait mal quand on se moque de toi. S'il n'est pas trop bête, il devrait comprendre et apprécier que tu lui fasses confiance. Dis-moi si ça marche. Laurent
RépondreSupprimermerciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii<3
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerJe suis étudiante en orthophonie et je m'intéresse de très prêt au bégaiement et notamment à l'impact sur le trouble du regard des autres dans le milieu scolaire.
Merci pour cet article très enrichissant.
Savez-vous où je peux me procurer le livre dont vous parlez? Cela serait une très bonne source pour moi
merci :)
Margot
Bonjour Margot,
RépondreSupprimerMerci de t'intéresser au bégaiement, c'est un bon choix :-)
J'ai trouvé une version du livre sur amazon.com :
voici le lien
Tu peux aussi télécharger une brochure de la Stuttering Foundation of America : voici le lien
Je te souhaite pleine réussite dans tes études.
Laurent
Merci Laurent de ta réponse rapide, je vais regarder tout ça.
RépondreSupprimerEncore bravo pour ton blog, ton livre. C'est très intéressant à lire et important à connaitre, je diffuse dans mon entourage :)
Bonne continuation
Margot