14 sept. 2009

Itinéraire d'un bègue

De tous les témoignages que j’ai pu lire ressort une trame assez classique de la vie d’un bègue. La voici.

Vous avez commencé à bégayer enfant entre 4 et 6 ans. Au début, cela ne vous gênait pas outre mesure puis petit à petit, vous avez constaté que cela vous rendait différent, que les autres vous regardaient bizarrement, s’impatientaient ou souriaient lorsque vous accrochiez sur vos mots.

Vos parents vous ont ensuite emmené chez un orthophoniste. Pour certains, l’histoire s’arrête là, après quelques séances. Pour les autres, cela ne fonctionne pas : les techniques qui marchaient si bien dans l’enceinte rassurante et paisible du cabinet n’ont plus d’effet lorsque vous retrouvez la « vraie » vie.

Très souvent, la honte et la perception négative commencent au collège. Vous devez répondre ou lire devant une classe de trente élèves que vous ne connaissez pas, vous prenez conscience de votre différence et, pire que tout, vous en avez honte. Votre bégaiement se renforce et devient une véritable gêne.

Vos parents vous emmènent alors voir d’autres spécialistes ou recourent à des médecines alternatives, sans aucun résultat. Petit à petit, vous vous enfermez dans votre bégaiement. A l’école, si vous avez une question ou, pire peut-être, une réponse, vous vous taisez. Si vous êtes interrogés, vous ne répondez pas ou donnez la mauvaise réponse parce que vous savez que vous ne pourrez pas prononcer la bonne. Si quelqu’un vous attire, vous n’osez pas l’aborder. Lorsque les conversations battent leur plein, vous n’osez pas intervenir. Ces renoncements vous renforcent dans votre conviction d’être incapable de parler en public ou devant certaines personnes.
Vous lisez beaucoup et vous réussissez plutôt bien dans les études, du moins tant que les épreuves restent écrites. Vous vivez dans la hantise des exposés et des oraux. Vous êtes prêts à tomber malade ou à sécher le cours pour ne pas vivre ce cauchemar. Vos parents et vos professeurs insistent et vous vivez la pire des tortures, dont le souvenir restera longtemps gravé dans votre mémoire et ressortira chaque fois que dans votre vie vous devrez subir une nouvelle prise de parole.

Vous choisissez un métier où il ne faudra pas trop parler : comptable, informaticien, chauffeur routier…. Malheureusement, dans tous les métiers, il faut d’abord passer un entretien d’embauche. Et le cauchemar de l’exposé resurgit. Si vous êtes tombé sur un employeur compréhensif ou si vous avez eu la chance de ne pas trop mal vous en sortir ce jour-là, vous intégrez une entreprise. Il vous faudra répondre au téléphone, vous présenter durant les réunions, peut-être même faire des présentations. Votre nom devient un obstacle impossible à prononcer et, lors des tours de table, vous attendez en paniquant le moment où tous les regards se tourneront vers vous.

Au restaurant, vous commandez ce que vous pouvez dire, pas ce qui vous fait envie. Vous fuyez le téléphone et parcourez des kilomètres pour faire vos démarches ou prendre des rendez-vous. Vous avez peu de conversation et vous n’exprimez pas votre point de vue, même si cela vous brûle les lèvres. Lors des soirées ou rassemblements, vous restez en retrait.

Avec ces défaites et à ces fuites réitérées, votre estime de vous se détruit peu à peu. Vous vous dévalorisez, vous commencez à vous couper du monde, à déprimer. Vous avez l'impression de ne pas pouvoir exprimer votre potentiel et vous sombrez tour à tour dans la rage, le chagrin et la dépression.

Vos parents ont jeté l’éponge, ils ne vous parlent plus de votre bégaiement. Vos amis et connaissances font de même.

Au fil des années, vous avez développé des trucs pour cacher votre bégaiement : vous parlez peu, vous substituez les mots… D’ailleurs, la plupart de vos nouveaux amis ou collègues ignorent que vous bégayez. Ils pensent plutôt que vous êtes timide, que vous avez des tics ou que vous êtes nerveux ou impressionnable.

Malheureusement, ces trucs ne sont pas efficaces à 100% et vous vivez dans une incertitude constante et la peur d’être démasqué. Lorsqu’une bonne âme vous parle d’un reportage qu’elle a vu ou d’un article qu’elle a lu sur un stage « anti-bégaiement » qui fait des miracles. Vous essayez : cela marche un temps et puis vous rechutez, ce qui vous affecte durement. Vous en êtes maintenant convaincus : vous ne vous en débarrasserez jamais. Vous rendrez dans une profonde dépression et vous avez même parfois des idées morbides… Les situations extrêmes de bégaiement vous laissent dans un état de détresse et d’abattement insondables.

Le bégaiement devient votre obsession. Vous vous levez en pensant à votre parole, vous traversez la journée en y pensant et vous vous couchez en y pensant.

Vous essayez les calmants, les drogues plus ou moins douces, parfois l’alcool pour vous désinhiber mais cela ne marche pas.

Le bégaiement est devenu votre maître. Vous l’avez laissé construire votre vie sentimentale, sociale et professionnelle et il est devenu pour vous l’explication de tous vos maux. Vous avez même choisi pour vos enfants un prénom que vous pourriez prononcer… Le petit défaut d’élocution de votre enfance est devenu une créature maléfique et invincible qui vous tourmentera jusqu’à la fin de vos jours…

Ce tableau est noir, non ? A votre avis, qui est responsable ? Le Bégaiement ? Faux ! C’est la peur du bégaiement, l’idée que vous vous en faites, qui est responsable.

Cette descente aux enfers, c’est ce qui vous pend au nez si vous avez honte de votre bégaiement, si vous ne l’acceptez pas et si vous le laissez conduire votre vie. Chaque refus de parler ou de vous exprimer est une victoire du bégaiement. Il se nourrit et se délecte de votre angoisse et de votre stress. Chaque pensée négative, chaque évitement renforcent son étreinte. Ce n’est pas le bégaiement qui vous pourrira la vie mais la peur que vous en avez.

Une erreur commune est de croire que vous pourrez commencer votre vie et vous exprimer lorsque vous aurez cessé de bégayer : aborder la fille ou le garçon qui vous plaît, choisir le métier ou l’activité qui vous attire, exprimer vos opinions….

Faux encore ! C’est lorsque l'on commence à s'exprimer, à aller vers les autres et à accepter de ne pas avoir une parole parfaite que le bégaiement commence à disparaître...

Et cet itinéraire d’un bègue est loin d’être une fatalité. Le web fourmille de témoignages d’anciens bègues qui ont, eux aussi, connu ce début de parcours. Et puis un jour, à 20 ans, 40 ans ou 60 ans, ils ont inversé le processus et sont sortis de cette spirale négative. Bien sûr beaucoup se sont appuyé sur des thérapies, mais surtout, surtout, ce que tous disent, ce que tous racontent, c’est qu’ils ont un jour décidé d’arrêter de se cacher, de se débattre et d’avoir peur.

13 commentaires:

  1. Merci pour cette synthèse Laurent (il y a un peu de Schwartz, dedans, non ?). En lisant cela, une chose me vient à l'esprit, qui n'y figure pas : l'importance de l'entourage de la personne bègue.

    En tout cas, ta conclusion fait l'unanimité !

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  2. Salut Olivier,

    Non, pas spécialement de Schwartz, c'est vraiment une synthèse de ce que j'ai pu lire dans les forums et dans les articles publiés par d'anciens bègues.
    Sur l'importance de l'entourage, je suis preneur d'un complément.

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  3. ce post m' a fait pleurer, rien que d'imaginer ce que pouvait vivre mon petit bonhomme plus tard. Il reflète tout ce que je crainds pour l'avenir de mon fils. Alors "l'entourage" que je suis l'aide à se construire pour qu'il puisse avec confiance en lui et affronter le monde!! jusqu'ici il ne se cache pas, pourvu que ça dure...

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  4. Pardon Emma, c’est vrai que ce post était peut-être un peu violent, en tous cas plus « noir » que d’habitude. Je m’excuse aussi auprès de ceux que j’aurais pu choquer.

    Le titre est trompeur. Ces témoignages que je cite sont ceux de bègues souffrant ou ayant souffert de leur bégaiement. Ce n’est donc pas l’itinéraire systématique d’un bègue. J’en ai aussi croisé qui le vivaient bien et pour qui cela n’était pas un obstacle dans la vie. Malheureusement, ceux-là n’ont souvent pas de motivation pour venir sur un forum ou écrire sur leur bégaiement. Ils l’ont assumé, plus ou moins dompté et il ne dirige pas leur vie. Pas de raison donc, de venir en parler…

    L’objectif était de montrer aux bègues qui souffrent que, d’une part ils ne sont pas les seuls et les premiers à ressentir ces sentiments, et que d’autre part la fuite et le repli sur soi sont dangereux parce qu’ils alimentent une spirale négative dont il devient de plus en plus difficile de sortir. Je voulais aussi faire mieux comprendre aux non-bègues en quoi le bégaiement pouvait être une souffrance.

    Pour un parent, vous avez raison, le principal est de donner confiance à son enfant et de ne surtout pas faire de son bégaiement un tabou.

    Quant à moi, je vais essayer de me rattraper dans le prochain post pour retrouver la note positive que je souhaite donner à ce blog…

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  5. Content de voir qu'on est pas seul.
    l'entourage il est vrai est important, ms à double tranchant.
    j ai tjrs tenter de gerer mon begaiement de mon coté, plus ou moins bien, (je n ai d'ailleurs jamais rencontré d'autres bègues), mon entourage me l avait meme fait oublié. Les gens s'habituent, cela ne les derange plus, ils y trouvent meme un certain charme.
    Puis vient le temps des études, on change de ville plusieurs fois, on rencontre des nouveaux gens et là: rechute, ou en tout cas prise de conscience " c est vrai que je suis bègue et ça m'handicap ds ce nouvel environement".
    J ai l'impression que mon discours est un peu décousu, ms je viens de decouvrir ce blog que je trouve vraiment bien.
    je begaie depuis que j ai 4 ans, j en ai 25, après maintes et maintes visites chez l ortophoniste dans mon enfance, j ai abandonné, baissé les bras et essayer d accepter.
    Je recommence tout juste à m'interesser au probleme car je cherche du boulot et ça commence à m handicaper serieusement.
    Merci pour ce beau blog qui est une mine d'information, et qui rassure vraiment.(meme si ce post est un peu violent, et fait un peu mal au coeur, il donne envie d'aller de l avant.merci)

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  6. Bienvenue Farfadet et merci pour tes encouragements. C'est vrai que la recherche de boulot est souvent un déclic pour se repencher sérieusement sur son bégaiement. Prends le comme une opportunité pour avancer.
    Accepter, ce n'est pas baisser les bras. C'est au contraire souvent un début de guérison, la mise en place d'un terrain favorable pour travailler positivement son bégaiement, sans se cacher.
    Tu peux aussi aller faire un tour sur le forum d'Alexandre (parole de bègues), si tu ne le connais pas déjà.
    Bon surf !

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  7. Merci pour cet article laurent.ça m'a vraiment touché. En lisant votre article, je fesais des petits sourires car je sens que vous parlez de moi, que vous adressez ce message spécialement pour moi. Vraiment j'ai vécu presque tous les cas que vous avez cité dessus. La substution des mots, l'évitement de répondre ou de poser des questions en classe,.. Waw ! c'est vraiment rassurant de savoir que d'autres gens ont le même problème que moi.
    Moi j'ai un bégaiement léger depuis le collège, mais malheureusement personne ne l'a remaqué car j'utilisais bien des trucs, comme vous l'avez dit, pour le cacher: je parle peu, je participe pas en classe que lorsqu'on me demande,.. Et même je me souviens bien qu'une fois au lycée on avait un extrait de texte à apprendre par coeur. Bien, je l'ai bien appris et je le répétait tant de fois à la maison , et le jour de l'orale, le prof m'a appelé pour reciter le passage, je quitte ma chaise jusqu'au tableau et la j'ai paniqué. J'avais l'anticipation de ne pas pouvoir prononcer la première syllabe. Alors sans même pas essayer j'ai dit au prof que j'ai pas appris l'extrait de texte. J'ai eu un zéro et je rentre à ma place inquiet, désespéré, angoissé. maintenant, je regrette que j'ai même pas essayer ce jour la. Car si je l'ai fais, même en bégayant, je crois que ça a pu m'aider énormément.

    Bacem

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  8. Et oui Bacem, tu n'es pas seul ! Et tu as raison : il est toujours plus positif et plus enrichissant "d'y aller" que de renoncer et d'avoir des regrets. Y aller c'est déjà faire preuve de courage et cela c'est toujours bon pour la confiance en soi.
    Bon courage pour la suite.

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  9. jamais un bègue ne sera plus bègue malheureusement !
    c'est la volonté de dieu , dieu sait pourquoi a créer cet humain comme il est ......

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  10. jamais un bègue ne sera plus bègue? et françois bayrou il n'a jamais ete begue peut etre?

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  11. Bonjour aux deux anonymes :-)
    Je vous renvoie vers mon nouveau post, sur le témoignage d'un ancien bègue. Bonne lecture.

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  12. Moi je bégaye peu et je vais chez une ortophonite spécialisée et j suis très motivé pour arréter cet enfer qi me détruit peu à peu.
    Je fais des thérapies de groupe une fois toute les 2 smaines.

    Bye bye!!!
    Et faites un maxi!!

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  13. @Nicoss38 : merci pour ton message. Dis toi que ce n'est pas le bégaiement qui te détruit mais la manière dont tu le vis. Quoiqu'il en soit, tu m'as l'air d'être bien parti et motivé ! Garde ta motivation et ta bonne humeur, même si tu as parfois un petit coup de mou. Et surtout ne te mets pas trop la pression ! Je te souhaite un beau voyage au pays du bégaiement. Tu vas rencontrer des gens que tu n'aurais jamais croisés autrement et tu vas sûrement apprendre beaucoup de choses sur toi.

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