Il y a 10 ans, j'ai listé les 25 choses que j'aurais voulu savoir sur le bégaiement, la synthèse de ce que j'avais appris après des années de lecture, de réflexion, de rencontres et d’échanges avec des orthophonistes et des personnes qui bégaient. C'est l'article dont on me parle le plus souvent, et il a été traduit dans plusieurs langues. La Stuttering Foundation of America en a même fait un poster ! Il est aussi à l'origine de mon livre "Goodbye Bégaiement" et de sa traduction anglaise "21 things I wish II had known about stuttering". C'est assez drôle de savoir que ces quelques lignes ont eu plus d'impact que de longs articles que je me suis échiné à écrire :-)
Pour fêter ce dixième anniversaire, j'ai mis en image ces "25 choses". Voici les 9 premières, avec quelques commentaires. Bonne (re)lecture !
Laurent
Durant très longtemps, j’ai porté mon bégaiement comme un boulet. Je le vivais comme un échec dont j’étais responsable.J’ai eu la chance de travailler avec une psychologue et lorsque je lui ai expliqué que je vivais mon bégaiement comme un échec, elle m’a répondu simplement :
« Laurent, le bégaiement n’est pas une faute et ce n’est pas ta faute. »
Cela a été pour moi un déclic, une véritable révélation ! En comprenant que je n’en étais pas responsable, je me suis rendu compte que j’avais le droit de bégayer, que je pouvais bégayer, que ce n’était pas un drame puisque je n’en étais pas responsable. Le résultat, c’est que je me suis enlevé la pression énorme qui permettait justement au bégaiement de s’épanouir. Cette simple phrase a ébranlé mes pensées négatives, ma tension, mes stratégies d’évitement, tout ce qui contribuait à renforcer mon bégaiement.
Vous n'êtes pas responsable de votre bégaiement et vous n'avez pas à en avoir honte. Il peut être génétique, neurologique, le résultat d'un traumatisme... Mais vous ne faites pas exprès de bégayer ! Cela ne fait pas de vous un être inférieur, moins intelligent ou moins compétent. Les études l'ont démontré et la réalité nous le confirme chaque jour. Il y a des personnes qui bégaient dans tous niveaux d’études et dans toutes les professions.
Le bégaiement ne fait pas de vous un être inférieur mais différent. Et vous n’avez pas à culpabiliser de cette différence.
En vous déchargeant de cette culpabilité, vous allez arrêter d’être obnubilé par le bégaiement et vous allez pouvoir commencer à avancer.
Le bégaiement fait partie de nous, c'est une partie de notre identité... Mais une partie seulement. Nous ne nous résumons pas à lui et c'est sans doute l'une des principales erreurs que nous faisons : être obnubilés par notre bégaiement jusqu'à le laisser prendre toute la place sur la photo, masquant tout ce qui fait aussi notre richesse et notre unicité. Beaucoup préfèrent utiliser le terme « personne qui bégaie » plutôt que « bègue » pour souligner justement que nous ne sommes pas que notre bégaiement, que notre définition ne se limite pas à cela.
L'acceptation est souvent synonyme de résignation et beaucoup de personnes se refusent à envisager ce qui est perçu comme une solution de facilité, une abdication, une solution piteuse pour résoudre son problème de bégaiement.
En acceptant d’être aujourd'hui une personne qui bégaie, vous n'acceptez pas un état statique, définitif. C'est juste votre état à cet instant. Vous pourrez passer ensuite à l'état de personne qui travaille sa fluidité jusqu'à l'état de personne qui s'exprime comme elle le souhaite. C'est juste un point de départ mais il est essentiel pour entamer votre ascension.
Le concept d’acceptation ne signifie pas que nous sommes destinés à rester dans notre condition ou que nous devons nous en satisfaire.
Joseph Sheehan, psychologue américain qui était aussi une personne qui bégaie, appelait cela le complexe du géant enchaîné : le sentiment que tous nos problèmes sont dûs au bégaiement et que tout serait possible s’il ne nous limitait pas. Mais lorsque nous apprivoisons notre bégaiement, nous découvrons que nous avons d'autres limitations… mais aussi d’autres capacités que nous pouvons mobiliser, indépendamment du bégaiement !
A 40 ans, alors que je me sentais seul, incompris et que je ne voyais aucune perspective de "guérison", j’ai découvert sur Internet les témoignages de personnes qui étaient passées par les mêmes peurs et épreuves que moi et qui expliquaient comment elles s’en étaient sorties !
J’étais enthousiasmé ! Voilà des gens dont je me sentais proche et qui me donnaient ce qui me manquait : de l’information, de l’espoir et un mode d’emploi. J’avais découvert une planète cachée et j’ai eu envie de révéler son existence aux francophones.
C’est ce qui m’a donné l’idée de créer le blog Goodbye Bégaiement pour partager mon expérience et surtout celles des autres, synthétiser l’information utile et faire gagner aux personnes qui bégaient le temps que j’avais moi-même perdu !
En postant mon premier article, le 18 mai 2009, je ne pensais pas que cela changerait à ce point ma vie !
J’adore cette illustration, que j'avais traduite en français et présentée durant la Journée Mondiale du Bégaiement à Bruxelles. Après l'avoir découvert avec son orthophoniste, un jeune homme m’a écrit pour me dire que cela l’avait beaucoup aidé et qu’il faudrait mettre « l’escalier du succès » dans chaque dossier de patient, pour suivre régulièrement son évolution ! Comme quoi, un petit dessin vaut mieux qu’un long discours !
La réussite d'une situation de parole ne s'évalue pas en fonction de notre niveau de bégaiement. La communication passe par plein d’autres composantes que la parole parfaite : l’enthousiasme, le sourire, la gestuelle, l’écoute…
Le succès, la récompense, c’est de réussir à dire ce que vous voulez, quand vous voulez, à qui vous voulez. Et le nombre de « bégayages » n’est pas important. La majorité des personnes qui bégaient se déclarent « guéries » lorsqu’elles se sont débarrassées de la peur du bégaiement, qu’elles cessent d’éviter les situations de parole et qu’elles ont une communication orale tout à fait satisfaisante dans la majorité des situations. Elles disent avoir encore quelques accrochages dans certains cas, mais la grosse différence est qu’elles ne les vivent plus comme la fin du monde. Elles ont retrouvé l’estime d’elles-mêmes et ont confiance dans leur parole. Vive l'imperfection !
Morgane : "C'est la différence qui pose problème mais on est tous différent, on est tous unique. Peut-être que je ne serais pas Morgane si je ne bégayais pas. C'est moi, tout simplement, mon bégaiement c'est moi ! Je vais plutôt remercier le bégaiement d’avoir existé en moi. J’ai pu apprendre de ces mauvaises expériences quelque chose de positif. Le bégaiement fait partie de moi, c’est mon caractère, ma qualité."
Gary : "Nos parents et amis ont des imperfections mais nous parvenons à en faire abstraction pour apprécier, malgré leurs faiblesses, leur amour et leur compagnie. Ce sont nos imperfections qui font de nous des individus à part entière et qui font que l’on se souvient de nous. Embrasser nos faiblesses, c’est souligner que nous sommes uniques."
Oser renforce votre confiance et enclenche un cercle vertueux. En osant, je me rends compte que ce n’est pas si difficile que prévu et, même si ça l’est, ça le devient de moins en moins.
Je remplace la frustration par la satisfaction d’avoir osé.
J’ai une meilleure image de moi.
Je reprends confiance.
Cette confiance me porte pour oser d’autres choses.
J’ose un peu plus…
On retrouve ce cercle vertueux dans de nombreux témoignages de personnes qui bégaient.
Pourquoi un soulagement ? Parce que vivre en essayant de cacher son bégaiement est épuisant, frustrant, comme en témoigne Patricia :
"J’étais vraiment fatiguée de vivre sous pression à chaque instant, de ne pas pouvoir employer les mots que je voulais, ne pas vivre normalement aussi bien à l'extérieur que chez moi. Je pense que je me sentais prisonnière du système que j'avais créé pour m'exprimer. "
Une seule solution alors : tomber le masque. En effet, ceux qui ont décidé de crever l’abcès et de parler ouvertement de leur bégaiement sont unanimes : c’est un soulagement !
Ainsi, Patricia a suivi un stage collectif avec une orthophoniste. Au bout de trois jours, elle s’est retrouvée dans la rue, arrêtant les passants pour leur demander de répondre à une enquête sur le bégaiement ! Voici son ressenti :
"Je n'en avais jamais parlé à personne et je me retrouvais tout à coup en train d’expliquer à un parfait inconnu que je bégayais ! Quand j'ai terminé mon premier questionnaire, j'avais envie de crier et de sauter dans tous les sens tellement j’étais heureuse ! "
A suivre...
3 commentaires:
Bonjour Laurent, est-ce qu'on peut trouver la suite quelque part?
Je trouve que ça ferait un calendrier de l'avent génialissime pour mes patients. Fanny, orthophoniste
Bonjour Fanny, le calendrier de l'avent est une excellente idée ! Je n'avais pas terminé la série d'illustrations. Voilà une belle motivation !
Laurent
Quel beau parcours. Merci pour votre témoignage.
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