Depuis quelques jours, je me remets en question.
Durant longtemps, j’ai alterné sur le blog deux types d’articles :
- ceux présentant des techniques « mécaniques » permettant de fluidifier sa parole,
- ceux expliquant l’importance de changer d’état d’esprit et de comportement vis-à-vis du bégaiement.
Et au fil de l’eau, je n’ai plus traité que le deuxième aspect de la thérapie du bégaiement, la composante « psychologique ».
A la réflexion, cela n’a rien de surprenant. Cela reflète simplement ma propre évolution de personne qui bégaie. S’il m’arrive toujours d’avoir une parole moins fluide, je ne m’appuie plus consciemment sur des techniques pour passer ou réduire mes blocages. En tous cas, je ne m’entraîne plus à les pratiquer.
D’ailleurs lors de ma récente présentation à Montréal, la question m’a été posée : « quelles techniques utilises-tu pour ne pas bégayer ? ». Je l’avoue (nous sommes entre nous) : cela m’a un instant désarçonné et j’ai dû réfléchir avant de répondre.
Je remercie toutefois celui qui me l’a posé parce que j’ai ainsi pu prendre conscience des limites de mon discours actuel. Quand on bégaie sévèrement, que l’on reste bloqué de longues secondes sur un son, que cela se répète presque à chaque mot, est-ce que cela suffit d’entendre : « tu n’es pas responsable de ton bégaiement, il faut que tu le vives de manière positive, que tu l’expliques aux autres - si possible avec humour – que tu affrontes les situations qui te font peur et que tu persévères » ?
Mouais… Présenté ainsi, cela ressemble à de la méthode Coué.
Pourtant oui, cela fonctionne. Je peux en attester non seulement par mon expérience personnelle mais surtout par les nombreux témoignages que j’ai relayés et par les retours que j’ai de personnes ayant lu mes articles ou assisté à mes présentations. Au fil du temps, j’ai simplement oublié de préciser que cela n’est pas suffisant et que la plupart de ceux ayant modifié avec succès leur approche du bégaiement ont aussi utilisé, au départ, des techniques « mécaniques ». C’est le cas d’Alan, de Bryan et de Sonia (techniques de sortie des blocages), d’Anna (bégaiement volontaire)…Et aussi des 28 co-rédacteurs de « Conseils pour ceux qui bégaient ».
Je suis tombé ce week-end sur l’interview d’une aventurière suisse qui racontait comment elle avait survécu trois mois dans le désert australien, au milieu des serpents et des crocodiles, par 40 degrés à l’ombre. Elle ne l’a pas fait juste en se raisonnant et en sifflotant pour se donner du cœur à l’ouvrage. Elle expliquait s’être renseignée auparavant sur les différents fruits qu’elle pourrait trouver, sur les pharmacopées pour se soigner… Bref sur la manière dont elle surmonterait les obstacles qui ne manqueraient pas de se dresser sur sa route. Sans cette préparation, son expédition se serait sans doute mal terminée… Pour le plus grand plaisir des crocodiles.
C’est exactement ce que font les aventuriers du bégaiement. Avant de se lancer et d’affronter leurs peurs, ils commencent par acquérir quelques techniques « de survie » leur permettant de sortir d’un moment prononcé de bégaiement.
Ainsi, Alan Badmington reconnaît le rôle déterminant de ces techniques :
«J’ai appris comment surmonter physiquement les blocages. On m’a donné les outils pour réduire grandement la probabilité de les voir survenir – et aussi pour en sortir au cas où ils se produiraient. Armé de cela, et d’autres enseignements (dont une compréhension de la physiologie et de la psychologie du bégaiement), je me suis engagé sur la voie de la guérison. »
Quels sont ces outils secrets dont parle Alan ?
Avant d’aller plus loin, vérifiez que personne ne regarde par-dessus votre épaule… C’est bon ? Alors, voilà. Chaque année, les orthophonistes se réunissent dans une forêt profonde et enchantée pour échanger leurs techniques les plus secrètes. Vous voyez Panoramix et les réunions de druides ? C’est pareil, sauf qu’elles sont moins barbues. Eh bien, figurez-vous que j’ai pu m’y infiltrer en prenant l’identité de Marie-Laurent (très important d’avoir un prénom composé pour ne pas être repéré dans une réunion d’orthophonistes) et j’y ai appris plein de choses que vous trouverez dans ces articles du blog :
- La technique ERASM ou comment Julio Iglesias et votre dentiste peuvent vous aider à éliminer vos blocages
- Le pull-out aussi appelé « désintégrateur de blocage »
- La post-correction des blocages ou comment Roger Federer peut vous aider à ne plus bégayer.
- Le bégaiement lent
- Le bégaiement volontaire
Ces différentes techniques permettent, soit :
- de modifier le bégaiement immédiatement après qu’il soit survenu,
- de modifier le bégaiement pendant qu’il survient,
- d’aborder un son redouté de manière décontractée pour le passer avec un bégaiement vraiment léger.
L’objectif est de bégayer « à la cool », avec moins d’effort et donc en réduisant les tensions. La première étape sera donc de prendre conscience de vos crispations. Où se situent-elles : sur votre visage, dans votre bouche, au niveau du ventre ? Ensuite vous allez modifier votre manière de bégayer. Si on prend l’exemple du « bégaiement lent », plutôt que de vouloir passer en force, vous allez relâcher la zone de tension identifiée et continuer à avancer lentement dans le son, dans une sorte de ralenti relâché.
Bien pratiquées, ces techniques ont plusieurs avantages. Tout d’abord, elles ne visent que vos moments de bégaiement et ne vous imposent pas de modifier votre manière de parler et de contrôler chaque son qui sort de votre bouche. Elles vous apprennent juste à bégayer différemment, à négocier en douceur les éventuels obstacles sur votre route. Vous pouvez ainsi dérouler votre parole en sachant que rien de grave ne se produira, en tous cas rien qui ne puisse vous arrêter.
Vous pouvez travailler ces techniques d’abord seul et/ou avec votre orthophoniste. Ensuite, vous devrez les tester dans la vie quotidienne pour choisir ce qui vous convient le mieux, comme l’expliquait Bryan :
« J'ai appris à sortir d'un moment de bégaiement ou à l'interrompre. Avec le temps, j'ai découvert que j'étais capable d'utiliser certaines techniques plus efficacement que d'autres. Je me suis donc concentré sur celles qui m'aidaient le plus et j'ai laissé tomber celles que j'utilisais rarement. Les techniques que j’ai retenues ne m'ont pas tout le temps aidé, mais si elles m'aidaient à sortir d’un moment de bégaiement ou à le stopper, ça en valait la peine. »
Au fil de temps, vous les appliquerez sans vous en rendre compte et elles deviendront des automatismes. C’est le même principe que l’apprentissage de la conduite d’une voiture, lorsque vous devez négocier ’un virage serré. Au départ, vous n’avez pas forcément le réflexe de ralentir ou bien vous freinez trop tard et brutalement. Après quelques mois de conduite, vous allez ralentir au bon moment, rétrograder puis accélérer progressivement en sortie de virage, sans y penser et tout en continuant votre conversation avec votre passager.
Vous allez ainsi prendre confiance en votre parole, éviter de moins en moins de situations, réduire vos tensions et au final bégayer de plus en plus légèrement. C’est ce qu’expliquait Sonia, une jeune femme qui bégaie devenue orthophoniste :
« Je me suis mise volontairement dans toutes les situations où mon bégaiement était présent et je me suis entraînée à utiliser tous les outils que mon orthophoniste m'avait donnés durant la rééducation individuelle. Petit à petit, je maîtrisais mieux les blocages et la fréquence d'apparition de mon bégaiement a fortement diminué. »
Modifier le bégaiement plutôt que de l’éviter est aussi une façon de mieux l’assumer et donc de changer votre attitude et votre état d’esprit. C’est ce que nous raconte Anna :
« S’il m’arrivait de rencontrer un blocage pendant ma présentation, j’évitais de forcer la cadence pour en sortir rapidement (comme j’avais pris l’habitude de le faire). Je le prolongeais intentionnellement, manière de dire à mon bégaiement : « Voyons voir, amigo, lequel de nous deux va céder le premier ». Cette technique de "bégaiement volontaire", produisit un effet surprenant en libérant la tension et, plus important encore, en permettant une libération émotive. Après toute une vie à vouloir désespérément "me fondre dans la masse" et à rechercher "l’acceptation" des autres, je m’accordais enfin cette permission sans réserve de pouvoir être différente. Mon Dieu, quelle délivrance !
Grâce au bégaiement volontaire et à une attitude générale de véritable intérêt envers le phénomène du bégaiement, j’ai repris le contrôle sur ma parole tout en réduisant la durée et la sévérité de mes blocages à un niveau me permettant de mieux les gérer. En un an, je prononçai huit discours dans mon club Toastmasters et assumai plusieurs rôles lors des soirées. Non seulement ai-je été capable de me tenir debout et de parler devant les membres du club mais j’ai aussi remporté certaines distinctions, parmi lesquelles six Meilleure Oratrice, deux Meilleure Meneuse des Improvisations et deux Meilleure Évaluatrice."
Moins d'appréhension, moins de tension, moins d'évitement, plus d'acceptation, d'affirmation et des bégaiements passés en douceur. Waouh ! Ca valait la peine de se remettre en question !
J'espère que vous aurez trouvé dans cet article la réponse à la question "quelles techniques utiliser ?"
Si vous souhaitez voir plus concrètement comment cela se pratique, vous découvrirez dans cette vidéo une technique présentée par Véronique Aumond-Boucand, orthophoniste et Directrice d'enseignement au Diplôme Universitaire "Bégaiements et troubles de la fluence de la parole" :
Bonne exploration !
Laurent
Bel article Laurent.
RépondreSupprimerRichard
Excellent Laurent !
RépondreSupprimerDaniel
Excellent article.
RépondreSupprimerMerci