Voici un nouveau chapitre du livre « Conseils pour ceux qui bégaient » (advice to those who stutter), dont je poursuis la traduction avec l'aide de Richard Parent.
Ce chapitre 6 a été rédigé par Joseph Sheehan, qui bégayait lui-même (comme les 27 autres contributeurs de ce livre) et a laissé un testament important pour les personnes travaillant sur le bégaiement en étudiant plus particulièrement l'aspect psychologique de ce trouble.
Joseph Sheehan était professeur de psychologie à la célèbre U.C.L.A à Los Angelès où il a créé la clinique de la psychologie de la parole. C'est lui qui a inventé la désormais fameuse analogie de l'iceberg (merci au passage à Alexandre du blog Parole de bègue à qui j'ai piqué le visuel qui illustre cet article). Vous avez d'ailleurs de la chance parce qu'il revient justement dans ce chapitre sur cette image (Joseph pas Alexandre, il faut suivre un peu...). Sheehan présente aussi ici, schéma à l'appui, le cercle vicieux du bégaiement, qui est non pas sa cause mais celle de son renforcement et explique pourquoi il est si difficile d'en sortir. Vous verrez comment nos sentiments de peur, de culpabilité ou de honte peuvent nourrir notre bégaiement et pourquoi il est si important de s'en débarrasser.
Outre celle de l'iceberg, Joseph Sheehan aimait recourir à des images évocatrices. Il y a par exemple celle du « géant enchaîné » (j'y reviendrai une autre fois) mais aussi celle de « la planche de la fluidité », que j'aime beaucoup. Je vais essayer de vous la présenter.
Tout le monde peut traverser une planche étroite posée sur le sol mais si cette planche est placée entre deux immeubles, vous allez moins faire le malin ! Vous allez voir le vide sous vos pieds et votre peur de tomber risque de rendre votre traversée beaucoup moins facile. Votre démarche va devenir beaucoup moins fluide et naturelle et la peur, la tension et les efforts que vous allez faire pour ne pas perdre l'équilibre risquent de précipiter votre chute. Pour une personne qui bégaie, il en va de même de la planche de la fluidité. Lorsqu'elle est posée sur le sol, c'est à dire lorsque vous êtes dans une situation qui vous semble facile, vous allez souvent traverser votre chemin de parole sans encombres, presque sans y penser. Mais si la planche s'élève... Vous allez vous contracter, commencer à penser à ce qu'il faut faire pour "bien" parler et votre peur ainsi que les efforts que vous ferez pour ne pas tomber (pour ne pas bégayer) feront survenir le bégaiement. Une jolie image pour dire plus généralement que les efforts pour se prémunir d'une conséquence la font souvent survenir... L'hypothèse de Sheehan est donc que plus vous vous débarrasserez de l'évitement et de la peur et plus vous vous approcherez de la fluidité. Pour cela, une seule solution : exposez-vous et exposez votre bégaiement. Faites toujours les choses que vous craignez et progressivement vous apprendrez à ne plus les craindre. Il paraît que Sheehan était d'ailleurs assez redoutable avec ses patients et qu'il n'hésitait pas à les mettre volontairement dans les situations qu'ils lui disaient redouter. Pour lui, cela était une nécessité incontournable : « la partie de l'iceberg exposée au soleil du public fond toujours plus rapidement ».
Je termine par une dernière citation de Sheehan, que je trouve amusante et qui illustre l'importance de l' "Autre" pour la personne bègue : « Tout comme il faut être deux pour danser le tango, il faut être deux pour bégayer. »
Bonne lecture !
Laurent
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Si on pouvait mettre des images en commentaires, je t'aurais mis le schéma que j'ai fait de l'iceberg en prenant en compte la neuro, au coeur de la partie immergée.
RépondreSupprimerPremier commentaire : j'avais trouvé un jour d'inspiration la formule "Maitriser l'invisible pour réussir l'apparent". C'est bien ce qui se pass en rééducation chez l'adulte.
RépondreSupprimerSi on se contente juste de raser l'iceberg (par exemple de n'utiliser QUE des techniques motrices), l'iceberg va réemerger..
C'est une très belle métaphore.
il est aussi intéressant de la travailler en groupe car chacun a son propre iceberg ; il y en a des plus ou moins dodus, voire des qui feraient chavirer tout un Titanic - certains peuvent même être très atypiques, et, pour le clinicien réveler des tendances dépressives par exemple.
Deuxième commentaire : je n'ai jamais été d'accord avec la formule "il faut être deux pour bégayer".
Quand on danse le tango, il faut une harmonie voulue et vécue avec son danseur, avec le rythme, avec la musique..ce qui n'est pas le cas avec le bégaiement ! et j'ai vu trop de patients en conclure que c'est l'autre qui rendait bègue..
On revient d'ailleurs bien là sur la notion de locus interne et externe que l'on travaille avec les TCC.
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel
Bonjour Marie-Claude, ça me fait plaisir de vous revoir sur le blog et je vous remercie pour ces commentaires. Pour le tango, je suis d'accord. Il serait plus positif de suggérer à une personne qui bégaie d'envisager la communication comme une danse où l'autre est un partenaire. Pas un juge ou un adversaire.
RépondreSupprimer@Olivier : je ne sais pas quelle était la position de Sheehan sur la neuro mais je ne suis pas sûr qu'il faille la mettre dans l'iceberg. Ce n'est pas un sentiment caché juste une réalité pour certaines personnes qui bégaient.
Tu as raison en fait, maintenant que j'y pense c'est difficile de mettre ça dans l'iceberg.
RépondreSupprimerMAIS je suis parti du principe que l'image de l'iceberg
a)essaye de représenter une globalité
b)est souvent présentée au public
Et en l'absence d'informations sur les bases, le public ne sait pas lui même quoi penser sur les causes.
Tout un débat, quoi.