11 janv. 2010

Même pas peur ! Bonne résolution et nouveau témoignage d’un ancien bègue

Deux exercices incontournables en ce début d’année : les vœux et les bonnes résolutions. Maintenant que je vous ai souhaité une bonne année, je vais vous faire partager l’une de mes résolutions 2010 : ouvrir la bouche lorsque j’en ai envie !
Je dis « continuer » car j’ai déjà commencé et j’ouvre de plus en plus la bouche ou décroche mon téléphone alors que je sais que je risque de bégayer. Auparavant, je me serais défilé ou j’aurais trouvé des stratagèmes pour éviter de passer un coup de fil un peu stressant mais l’expérience me montre que ces démarches constituent d’excellentes opportunités pour progresser et renforcer ma confiance.

Cependant, j’ai encore des petits renoncements sur lesquels il me faut travailler. Je vais vous en donner un exemple et vous faire partager en même temps une expérience intéressante.

Dans mon travail, j’assiste régulièrement à des réunions plénières dans des amphithéâtres. Les intervenants se succèdent et les auditeurs sont invités à réagir et à poser des questions. Jusqu’à présent, je n’avais jamais osé lever la main même si une question me brûlait les lèvres. Tapis dans l’obscurité des derniers rangs, mon bégaiement et moi étions plus préoccupés par le risque de nous montrer que d’avoir la réponse à ma question…

Jusqu’au jour, où un type devant moi a levé la main et a posé sa question… en bégayant. C’était un vrai bègue, je peux le certifier, mais je peux certifier aussi que son bégaiement n’était pas du tout une entrave à son expression. Il bégayait de manière totalement transparente, je dirais presque décontractée, et avançait tranquillement dans sa phrase, sans l’ombre d’une gêne sur son visage. Il est allé au bout de sa question et je peux vous dire que je n’ai pas vu l’esquisse d’un sourire dans l’assemblée.

La morale que j’ai tirée de cet épisode est très simple. Je n’avais pas ouvert la bouche parce que j’avais peur de bégayer. Lui l’avait fait et soixante personnes l’avaient entendu bloquer et accrocher. A votre avis, qui était le plus frustré des deux ? Celui qui s’était débiné ou celui qui avait bégayé et eu la réponse à sa question ? Depuis, j’essaie donc d’intervenir mais ce n’est pas encore systématique et je vais continuer à travailler là-dessus.

Difficile en effet d’affronter ses peurs… Et celles des bègues sont souvent nombreuses : peur de certains mots, de certaines situations, de certaines personnes…

Mais ces peurs sont normales, tellement normales qu’elles sont aussi ressenties par les non-bègues. J’échangeais encore récemment avec des collègues qui avaient dû prendre la parole dans une convention. Ils m’ont avoué avoir été morts de trouille, craindre de bafouiller voire de s’évanouir au moment où leur tour viendrait ! Ils étaient incapables d’écouter les présentations précédentes, concentrés sur leur propre intervention, impressionnés par le cadre des intervenants qui les précédaient… J’étais stupéfait de les voir ainsi décrire si précisément tous les syndromes que je pensais être propres aux bègues.

Avoir peur est donc normal. Ce qui l’est moins est de laisser ces peurs nous submerger et nous emporter dans des abysses sombres et glacés où nous finissons par nous terrer.

Et ce qui est encore moins bon c’est de se retrancher derrière le bégaiement pour ne pas affronter ses peurs. Ou plutôt d’attendre d’avoir atteindre le nirvana de la fluidité pour affronter les situations que l’on redoute.

Le témoignage d’un bègue à ce sujet a été un déclic pour moi. Il expliquait que durant longtemps il avait placé comme objectif prioritaire le combat contre son bégaiement. Il le mettait comme préalable à toute autre entreprise. Par exemple : « je postulerai pour des postes plus importants quand j’aurai dompté mon bégaiement » ou « avant de me mettre à mon compte, je dois d’abord résoudre mon problème de bégaiement » ou « si je ne bégayais pas, je pourrais aborder cette fille qui me plaît »… Jusqu’au jour où il a compris que la bonne démarche était complètement opposée. C’est le fait de se lancer, d’affronter ses peurs, de multiplier les expériences qui élargirait sa « zone de confort » et de prendre peu à peu le pas sur le bégaiement.

En gros (attention minute philosophique et dépôt de copyright) : « la thérapie ce n’est pas le bout de la route, c’est le chemin ».

Et là vous allez rétorquer : « plus facile à dire qu’à faire… ». C’est vrai. C’est pourquoi, je vais vous dire ce que j’ai découvert : le meilleur moyen pour affronter ses peurs est de ne pas se laisser le choix. Certes, on peut se fixer librement des objectifs, comme de passer x appels téléphoniques par jour ou de rentrer dans x magasins pour demander un renseignement mais mon expérience personnelle me montre qu’il faut avoir une sacrée discipline, motivation et volonté pour réussir à s’y tenir. Alors que lorsque vous n’avez pas le choix… et bien vous êtes obligés d’y aller. Et c’est pour cela que je pense que le monde du travail, si redouté par les bègues, peut être paradoxalement le contexte idéal pour progresser dans leur communication.

Les bègues qui me lisent et qui travaillent en conviendront sans doute : ils font aujourd’hui quotidiennement des choses qu’ils n’auraient jamais pensé être capables de réaliser. Passer des dizaines d’appels téléphoniques par jour, participer à des réunions et en animer, dialoguer avec des clients, échanger des plaisanteries avec des collègues…Certes, ils ont sans doute connu des plantages mémorables mais sans aucune mesure avec ce qu’ils vivent aujourd’hui.

Pour ma part, devoir affronter des situations stressantes dans le cadre de mon parcours professionnel m’a obligé à progresser, à me faire violence et à me surpasser, choses que je n’aurais jamais fait seul. Pour effectuer ma première présentation en public, je n’ai pas pu attendre d’être fluide ou « prêt » pour le faire. Il m’a été demandé de présenter un dossier un jour et j’ai dû me débrouiller pour le faire correctement. Certes, cela s’est fait au prix d’un stress énorme mais au moins je l’ai fait (mal sans doute) et j’ai progressé à cette occasion. Depuis, j’ai dû faire près d’une centaine de présentations semblables et je ne me pose même plus la question de savoir si j’y arriverai ou pas. Cela entre désormais dans la zone des choses que je peux faire et même plus : que je fais ! Certes, j’ai encore du stress et il m’arrive d’avoir des jours où je ne suis pas satisfait de ma prestation et/ou de mon élocution mais pas plus qu’un « non bègue ».

Certains bègues sont allés encore plus loin. Alors que dans mon cas, j’ai longtemps utilisé des stratagèmes pour éviter les prises de parole stressantes et repousser l’échéance, ils ont décidé d’entrer délibérément dans la fosse aux lions, de refermer la porte derrière eux et de jeter la clef !

Dans le post « bégaiement et téléphone », j’ai déjà cité le cas de Jim McClure, qui, pour être sûr de tenir sa résolution de ne plus jamais éviter le téléphone, s’était fait embaucher chez un opérateur téléphonique. Et bien, j’ai trouvé un témoignage identique chez Tim Mackesey, un autre « ancien » bègue. Il appelle cela « l’immersion totale » ou « affronter le dragon ». Vous trouverez à la fin de ce post un lien vers son témoignage « la parole libérée : ma victoire sur le bégaiement ». Tim a travaillé comme réceptionniste dans un hôtel et avait ainsi librement choisi de faire ce qu’il craignait le plus : accueillir des clients, utiliser le téléphone, tenir des conversations,… Il a ensuite accepté une promotion où il savait qu’il devrait encadrer 120 personnes, faire des introductions, des présentations orales…

Tim, comme d’autres bègues dont j’ai lu les témoignages, s’est aussi inscrit aux toastmasters, un club d’orateurs où vous devez régulièrement effectuer des exposés devant les autres membres. Il s’est là aussi jeté volontairement dans la gueule du loup et n’a pas eu d’autres choix que de se lever et de se présenter lorsqu’on lui a demandé. Ca ne s’est finalement pas si mal passé puisqu’il y est resté durant cinq ans et y a même remporté des prix d’éloquence !

Mais son plus grand challenge a été sans doute… de devenir orthophoniste ! Si, si ! Il redoutait la réaction de ses confrères et de ses patients ou des parents d’enfants bègues… Je vous laisse découvrir comment cela s’est passé… Bref encore un témoignage intéressant traduit par le prolifique et irremplaçable Richard Parent et que je vous invite à lire aujourd’hui.

Je terminerai en citant Alan Badmington, mon « ancien » bègue préféré (cf ce post). Il avait noté dans son témoignage l’importance essentielle qu’a eu pour lui cette simple résolution : « affronter mes peurs et ne plus jamais éviter ». Dans un autre article, il explique pourquoi il est important de se faire violence et d’explorer des territoires inconnus et redoutés (si j’ai le temps, je vous le traduirai car il est encore une fois très intéressant). Je le cite : « Comme la tortue, vous ne pouvez avancer que lorsque votre cou est sorti. Les seules limites que nous avons sont celles que nous nous imposons (…) et le succès que nous aurons sera proportionnel au risque que nous prenons. »

Donc bonne résolution 2010, quand le voyant rouge « alerte » s’allume et clignote, je respire un grand coup et… Je saute !

Lien vers le témoignage de Tim Mackesey (traduction de Richard Parent)

P.S : je m'aperçois que je suis un peu parti dans tous les sens dans ce post. Faites comme d'habitude, ne prenez que ce qui vous intéresse !

3 commentaires:

  1. Très bonne article !!! ça m'a d'ailleurs ouvert les yeux sur pas mal de choses. Continuez comme ça :!

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  2. bonjour, où puis-je trouver le temoignage d'Alan Badmigton? (en anglais).ça m'interesserais beaucoup de le lire! merci d'avance

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  3. @Jim : content que ça t'ait plu ! Merci pour le commentaire.
    @Anonyme : voici le lien de l'article non traduit d'Alan Badmington Ca m'intéresse d'avoir ton retour lorsque tu l'auras lu.

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