Tout bègue qui se respecte lèvera les yeux au ciel et poussera un long mugissement lorsqu’il lira la phrase suivante. Vous faites la queue à un guichet et quinze personnes attendent derrière vous. Ca y est, vous avez mugi ? Bon… Je continue. Trois choses vous font particulièrement flipper :
1) les personnes qui vous suivent sont pressées et ont extrêmement peu de temps à perdre,
2) le buste qui trône derrière la vitre n'est pas spécialement réputé pour sa gentillesse et sa patience d'ange,
3) vous savez que vous ne pourrez pas dire « bonjour ». La lettre B flotte en effet devant vos yeux, monstre à tête rouge sur lequel vous viendrez buter lamentablement. Ne me demandez pas comment vous savez que vous ne pourrez pas le dire, vous le savez c'est tout !
Autant dire que le stress ne peut pas être pire. Vous regardez avec horreur la file devant vous diminuer et vous avancez avec l'entrain d'un condamné vers le guichet-guillotine...
Horrible, n’est-ce pas ? Alors, aujourd’hui, je vais vous parler d’une technique qui va peut-être vous aider et vous permettre d’attendre dorénavant votre tour en sifflotant…
Il existe finalement peu de techniques « anti-blocage » officiellement recensées et seules trois ou quatre sont régulièrement utilisées par les orthophonistes. Parmi celles-ci, vous avez peut-être déjà entendu parler de l’Easy Relax Approach Smooth Mouvement. Elle est séduisante, d’une part parce qu’elle a été élaborée par un orthophoniste bègue, d’autre part parce que je la trouve assez astucieuse.
Cette technique a donc été inventée par le professeur Hugo Grégory. Jeune, il aurait voulu être politicien mais y a renoncé à cause du bégaiement. Il s’est d’abord orienté vers la carrière de dentiste, en se disant qu’il n’aurait pas besoin de parler beaucoup dans ce métier. Une assistante avenante qui prend vos rendez-vous, quelques grognements pour accueillir vos patients, un masque chirurgical devant la bouche… Et c’est parti pour 30 minutes d’une séance où le patient est dans l’incapacité d’entamer la moindre conversation ! Finalement, il s’est rendu compte que les dents ne le passionnaient pas plus que cela et il s’est réorienté vers l’orthophonie. Il a bien sûr tiré beaucoup d’enseignements de l’étude de son propre bégaiement et il est devenu en quelques années une figure mondiale et reconnue dans son domaine. Il est décédé en 2004 mais sa technique ERASM continue à être utilisée un peu partout dans le monde.
En analysant son bégaiement, il était arrivé au constat suivant :
- Il butait principalement sur le premier phonème des mots (exemple le b de bonjour).
- Il essayait de « passer en force », en forçant sur ce satané premier phonème pour mieux l’expulser, ce qui aboutissait à l’effet inverse : il fabriquait lui-même le bouchon qui bloquait sa parole.
Il a donc décidé d’apporter une réponse simple à ce constat simple : puisque le 1er phonème me pose problème, je ne le prononce pas (ou à peine) et je passe directement au deuxième !
La technique ERASM, que je traduirais par « Mouvement d’approche doux et détendu » (si vous avez mieux, je suis preneur), peut donc se décrire ainsi : je diminue la tension portée sur le premier phonème du mot en pensant à la transition vers le deuxième, le reste du mot étant émis normalement. Ainsi, plutôt que de rester bloqué sur le premier son, je continue à avancer dans la phrase.
En clair, vous remplacez le Karaté par le Judo. Au lieu de rentrer dans le lard du son qui pose problème, au risque de vous faire mal, vous l’effleurez sans vous y attardez. Un peu comme un ailier de rugby esquivant d’une pirouette le troisième ligne de 120 kilos venu le plaquer.
Revenons à notre file d’attente (mugissez un bon coup...). Dans quelques instants la personne devant vous va s’effacer et vous laisser seule devant le ou la chargée d’accueil. Si elle est bien élevée, elle va vous saluer et attendre votre réponse. Vous devrez alors dire « bonjour » pour ne pas passer pour un malotrus et la mettre dans de mauvaises dispositions à votre égard. Pas question de dire « salut » ou « Eh ! Comment tu vas ? ». Il faut dire « bonjour » et le monstre B à tête rouge danse devant vos yeux. Pas de panique : grâce à l’ERASM vous allez faire tout l’inverse de ce que vous faites d’habitude :
1. Au lieu de contracter vos lèvres, votre larynx, vos cordes vocales et vos abdominaux, vous allez prononcer le « b » comme si votre bouche était anesthésiée. Une petite astuce pour comprendre : rappelez vous la sensation éprouvée la dernière fois que le dentiste a endormi votre mâchoire…
2. Commencez à parler de manière relâchée, avec une voix douce (pensez aux murmures langoureux et sensuels de Julio Iglesias… ou de son fils pour les moins de 30 ans). Vos lèvres doivent à peine former le « b » pour ne pas s’y attarder.
3. Etirez, allongez la première voyelle (« onnn ») et augmentez progressivement votre volume sonore (« onnNNNNN »).
4. Prononcez normalement le reste du mot (« jour ») ou de la séquence en maintenant une vitesse de parole régulière.
Inutile de dire qu’avant d’aller chanter "vous les femmes" devant la chargée d’accueil, il vous faudra pratiquer régulièrement cet exercice chez vous. Commencez par des mots (par exemple ceux que vous avez eu du mal à prononcer récemment) puis de courtes phrases (« un café, s’il vous plaît ! ») avant de vous attaquer à des phrases plus longues en pratiquant l’ERASM sur les mots qui vous gênent.
Cette pratique régulière vous permettra de remplacer petit à petit l’ancienne habitude de forçage (avec tension des muscles phonatoires) par cet effleurage. Avec cette technique, vous aurez une nouvelle arme dans votre musette et vous craindrez moins les blocages.
Et rappelez-vous : vous êtes Julio Iglesias sortant de chez le dentiste !
Laurent
P. S : je demande par avance pardon aux orthophonistes qui passeront sur ce blog et liront cette description pas très orthodoxe... Quant au bon Professeur Gregory, j’espère qu'il ne va pas se retourner dans sa tombe…
P.S 2 : Si on m'avait dit que je mettrais un jour une photo de Julio Iglesias sur mon blog... C'est seulement pour les besoins de l'illustration, on est bien d'accord !
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Curieux : c'est l'un des articles les plus lus depuis le début de ce blog et il n'y a aucun commentaire. C'est Julio qui vous bloque ?
RépondreSupprimerParfois quand les gens sont contents ils disent rien.
RépondreSupprimerMoi je trouve que les hébergeurs devraient proposer un système de commentaires beaucoup plus simple, ergonomique. Pour les gens aient du plaisir a laisser des commentaires. Là, il faut passer l'anti-spam, et même quand il n'y en a pas il faut entrer son nom....tiens d'ailleurs je vais signer anonyme, la flemme...
olivier
@Olivier : entièrement d'accord avec toi. J'ai eu des mails de personnes qui n'arrivaient pas à poster un commentaire sur ce blog. Blogger, si tu nous lis...
RépondreSupprimerJ'ai plutôt un problème sur le "Au revoir" moi ;)
RépondreSupprimerEnfin la méthode reste la même, c'est d'ailleurs ce que j'avais appris lorsque je consultais un orthophoniste spécialisé.
Pour ce qui est des commentaires, en effet le système est un peu pénible.
Personnellement et pour tous mes blogs je passe par wordpress, c'est ce qu'il y a de mieux. Peut être un peu plus difficile à mettre en place, mais ca reste abordable pour les novices. Je vous le conseil vivement.
En tout cas merci pour vos blogs respectifs !
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Phil
c'est pas julio qui bloque c'est qu'il est impossible parfois de mettre un comm!!!
RépondreSupprimer@Phil et Emma : merci d'avoir eu le courage de persévérer ! Cette histoire de commentaires impossibles commence à me, comment dire... Bon je préfère ne rien dire... Je vais tester un nouveau système de commentaires et si ça ne marche pas : Goodbye Blogger !
RépondreSupprimerFranchement, cet article m'a bien fait rire, notamment quand tu dis qu'on va pas dire "salut", j'y avais aussi pensé en effet !
RépondreSupprimerJe mets ici un commentaire général sur le blog: je crois que le fait de mettre des photos gaies et des références improbables (Julio Iglesias,la vaisselle) est une bonne chose car ca fait partie d'un positionnement dédramatisant, voire ludique vis-à-vis du bégaiement.
Quant à moi je bloque sur bonjour parfois mais plus souvent sur au revoir, entre les deux ca va en général!
Merci Laurent pour cet article. En effet, j'ai vécu et je vis encore aujourd'hui de telles situations. Pas plus tard qu'hier un de mes collègues de travail m'a salué en passant devant la machine à café. Tellement stressé et pressé de donner ma réponse, je suis resté cloué et estomaqué en train de regarder mon collègue s'éloigner. Je te passe la phase d'énervement qui s'en est suivie. De l'énervement envers moi-même bien sûr.
RépondreSupprimerPour dire "Bonjour" ou "Au revoir" j'ai l'habitude d'utiliser ma respiration abdominale de façon régulière ce qui favorise une sortie de syllabe plus fluide. Seulement cette technique marche quand elle est préméditée.
En effet, avec l'effet de surprise, je n'ai pas le temps de l'appliquer et l'angoisse prend le dessus sur le calme.
Je vais donc volontiers expérimenter la technique ERASM.
Encore merci
Niolas
Bonjour Niolas (ou Nicolas :-) ) et bienvenue sur le blog. Dis-nous ce que cela aura donné. Travailler sur l'apparition de l'angoisse peut aussi t'aider. Par quoi est-elle provoquée, à quoi penses-tu à ce moment là,... Qu'est-ce que tu crains et pourquoi... Bon courage !
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