Je vous invite aujourd’hui à poursuivre notre voyage au pays mystérieux et fascinant des blocages. Si vous faites des recherches sur le bégaiement, vous entendrez un jour parler du « mécanisme Valsalva ». Si vous achetez le livre « thérapie globale du bégaiement », vous verrez par exemple que de longues pages y sont consacrées. En fait, ces pages sont une traduction de « Understanding and Controlling Stuttering » de William D. Parry, un ouvrage qui fait référence dans le monde du bégaiement.
William D. Parry (Bill pour les intimes) est un avocat américain et… bègue. La grande obsession de sa vie a été de percer le mystère du bégaiement. Ayant testé plusieurs thérapies sans grand succès, il a décidé un jour de prendre les choses en main et de faire ses propres recherches.
Pour cela, il est parti d’un constat simple : il était capable de parler normalement mais, dans certaines situations, il bloquait avec l’impression qu’une force surpuissante l’empêchait de sortir ses mots. Ses capacités à produire des sons, à articuler et à parler n’étaient pas en cause : il le faisait très bien dans certaines circonstances. Cependant, pour une raison inconnue, son mécanisme phonatoire se grippait à certains moments et ses mots refusaient de sortir.
Intrigué, il est donc parti à la recherche, non pas du bégaiement, mais de cette force mystérieuse. D’où venait-elle et pourquoi se manifestait-elle chaque fois qu’il avait du mal à sortir un mot ? A force de fureter, il est tombé sur la description du mécanisme Valsalsa, une manoeuvre physiologique instinctive que nous utilisons tous les jours, sans y penser, lorsque nous devons produire un effort.
Pour expérimenter cette manœuvre, faites l’exercice suivant... Levez-vous et croisez vos doigts devant vous. Prenez une grande inspiration et maintenant essayez de séparer vos mains, en tirant très fort, tout en résistant pour garder vos doigts entrecroisés. Vous remarquerez que vos abdominaux et les muscles de votre poitrine se tendent tandis que votre gorge se ferme. Et plus vous vous tirez, plus votre gorge se serre. Si vous observez bien, cette fermeture se passe au niveau du larynx là où votre voix est produite. Tiens, tiens…
Maintenant, refaites l’exercice en fermant vos lèvres et en essayant de prononcer le son « p ». Tirez sur vos mains. Vous sentez comme vos lèvres accentuent leur pression. Idem si vous placez votre langue juste au dessus de vos dents supérieures et que vous essayez de sortir le son « T ». Vous sentez comme votre langue appuie ? Est-ce que ces tensions ne vous rappellent rien ?
Vous êtes en train d’exécuter une manœuvre Valsalva. Le but de cette manœuvre est d’augmenter la pression d’air dans les poumons, pour vous aider à produire un effort physique - pour lever quelque chose de lourd, par exemple, comme le charmant monsieur sur la photo - ou pour expulser quelque chose. Pour cela, les abdominaux poussent sur le diaphragme pour compresser la cage thoracique. Simultanément, le larynx se ferme pour empêcher l’air de sortir. Plus les muscles se tendent et plus l’air est comprimé dans les poumons.
C’est notamment le réflexe naturel que vous avez lorsque vous êtes… constipé.
Pourquoi ce mécanisme serait-il déclenché lors du bégaiement ? Tout simplement, parce que, lorsque nous anticipons qu’un son ou mot va être difficile, nous nous préparons à produire un effort pour réussir à sortir ce mot.Nous mettons donc en œuvre cette réponse physiologique instinctive, celle que nous utilisons naturellement lorsque quelque chose nous résiste (voir mon post sur le bégaiement appris) ou que nous voulons expulser quelque chose de notre corps. Certains ont même assimilé le bégaiement à une constipation verbale, les mots étant des corps étrangers que nous essayons de faire sortir…
Bill Parry a donc développé une série d’exercices de relaxation, de respiration et d’élocution ayant pour but de relâcher le mécanisme Valsalva et donc d’éviter les blocages.
Pour relâcher les muscles impliqués dans ce mécanisme et provoquant au final la fermeture du larynx, il recommande de se concentrer sur les muscles abdominaux et rectaux. Relâcher ces muscles tend en effet à décontracter l’ensemble du mécanisme. Pour bien comprendre, il conseille de contracter puis de relâcher progressivement les muscles des sphincters et de sentir comme leur relâchement se propage peu à peu à travers votre abdomen, puis votre poitrine pour atteindre votre larynx.
Pour Parry, le relâchement de vos tensions part donc du fondement…Cela peut paraître un peu bizarre voire loufoque, écrit comme cela, mais je vous invite à tenter l’expérience…
Vous pouvez par exemple faire cet exercice en lisant à haute voix. Lorsque vous arrivez sur un son qui vous pose problème d’habitude (le « p », par exemple), vous le prononcez en poussant exagérément pour déclencher votre mécanisme Valsalva. Puis, lorsque vous êtes bien tendu, prêt à éclater, vous relâchez progressivement la pression en partant toujours des muscles inférieurs et en prenant bien conscience du sentiment de relaxation qui accompagne cette détente. Lorsque ce flux de décontraction arrive à votre gorge, vous prononcez votre « p » de manière cool en étirant légèrement le son (ex : je suis paaarti).
L’objectif est de prendre conscience des contractions dans votre corps et de savoir les dissiper. Si vous êtes attentif, vous vous apercevrez que, durant la journée, votre ventre est souvent contracté, sans raison apparente. Bill Perry appelle cela des manoeuvres Vasalva inutiles. Il vous invite à les traquer régulièrement et à les chasser via cet exercice ou en pratiquant la respiration abdominale.
Pour beaucoup de bègues, la description de ce mécanisme a été une révélation. Attention quand même : cet exercice ne sera bien sûr pas suffisant pour stopper votre bégaiement. Bill Parry a utilisé bien d’autres techniques en complément pour retrouver une parole fluide et sans appréhension. Cependant, cela peut vous permettre de mieux prendre conscience de ce qui se passe dans votre corps lorsque vous bloquez et d’avoir une méthode de relaxation efficace.
Vous trouverez plus d’info sur le site de Bill Parry, ici.
Bonjour Laurent :
RépondreSupprimerLe seul problème avec l'hypothèse de M. Parry, c'est qu'il se trompe.
Je l'ai longtemps cru, jusqu'à ce que je sois allée regarder à l'intérieur même du larynx (en faisant une nasofibroscopie).
Le mécanisme de Valsalva (que les personnes qui font de la plongée sous-marine vont solliciter en pratiquant la "manoeuvre de Valsalva" - et que les femmes qui ont accouché ont spontanément utilisé pour nous mettre tous au monde) suppose une fermeture complète de la glotte en triple plicature avec bascule de l'épiglotte.
Or dans les laryngospasmes du bégaiement , il n'y a pas de bascule de l'épiglotte - jamais.
On observe des mouvements involontaires rapides et vifs, incontrôlables, appelés myotonies d'intention et d'action, voir myoclonies, mais il n'y a pas de bascule de l'épiglotte.
Le larynx a une double commande nerveuse : involontaire et reflexe qui lui permet de se fermer automatiquement en triple plicature avec ascension vers la base de langue lors de la déglutition ; volontaire, en amorçage, lors de la phonation avec un mécanisme en double plicature, dont l'accolement écartement des plis vocaux qui engendre le son de la voix.
L'hypothèse de Parry impliquerait que lors de l'intention de parole, dans le bégaiement, le larynx soit comprendrait mal l'ordre envoyé soit l'executerait mal, et se mettrait en position de déglutition (triple plicature avec bascule de l'épiglotte)et non en position de phonation. le sujet serait alors obligé à une forte poussée de la colonne d'air pour arriver à ouvrir sa glotte.
Outre les présentations que j'ai déjà faites de ces vidéos endolaryngées (Congrès IFA à Dublin 2006, Congrès de la Société de Phoniatrie) il y a eu plusieurs thèses et mémoires consacrées à ce sujet.
Les publications néanmoins ne sont pas nombreuses car la naofibroscopie est un acte médical et 99% des chercheurs sur le bégaiement ne sont pas médecins (quoique bien que très souvent docteurs en quelque chose).
Le mécanisme des plicatures du larynx a été objectivé par Fink et Desmarest dans les années 80. Je l'ai expliqué dans "Un manuel du bégaiement"- Editions Solal, opuvrage destiné à l'enseignement en Orthophonie.
Ai-je été claire ?
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel, medecin ORL et Phoniatre
PS : j'ai aussi pu observé et filmé que les attaques douces (type parler-telax ou ERASM en anglais) contrevenaient efficacement ces mouvements abnormaux. Ces mouvements peuvent aussi survenir en dehors d'émissions sonores...lorsque le sujet a l'inetention de parler et ne le fait pas; il ressent à ce mment là une impression de serrage endolaryngé.
Les myotonies et myoclonies sont des mouvements anormaux qui se déclenchent dans les mouvements intentionnels - ils ne se déclenchent pas dans le chant par exemple car le sujet n'est pas dans une intention de communiquer.
Merci d'apporter votre expertise sur ce blog, c'est très intéressant de bénéficier de votre expérience et de votre approche anatomique du problème. Vous avez été claire même si le vocabulaire utilisé est parfois un peu ardu mais cela a l'avantage de la précision et me permet de découvir de nouveaux mots (myotonies, plicature...) !
RépondreSupprimerL'approche de Parry, même si le mécanisme Valsava ne correspond pas exactement à celui du bégaiement (merci de me l'avoir fait découvrir), a le mérite d'amener la personne bègue à prendre conscience de ses tensions intérieures et de la manière dont elle peut les réduire.
Quant aux attaques douces (gentle onsets), elles font en effet partie des techniques préconisées par Parry et par d'autres.
Pour le chant, je pense qu'il y a aussi d'autres explications possibles comme par exemple l'intensité du flux d'air émis.
Encore une fois, merci pour la richesse de votre intervention.
Laurent
Il y a dans le post du Dr Monfrais une confusion sur le terme "manœuvre de Valsalva" et je ne suis pas du tout d'accord avec sa conclusion.
RépondreSupprimerEn français ce qu'on appelle manœuvre de Valsalva est ce que font les plongeurs pour équilibrer la pression de l'air des 2 cotés du tympan. Cela consiste à mettre l'air sous pression dans ses poumons tout en se bouchant le nez avec les doigts. Le larynx étant ouvert et le voile du palais abaissé, l'air pénètre dans les trompes d'eustache puis dans l'oreille moyenne.
Dans cette manœuvre le larynx n'est pas du tout fermé en triple plicature (cordes vocales, bandes ventriculaires et épiglotte), l’air doit pouvoir passer.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Man%C5%93uvre_de_Valsalva
Après il y a ce qu'on fait lorsqu'on bloque sa respiration pour "pousser" (pendant la défécation ou l'accouchement), ou encore lorsqu'on doit rigidifier sa cage thoracique pour faire un intense effort.
Dans ce dernier cas le larynx est bien fermé mais en double plicature seulement (cordes vocales et bande ventriculaires), l'épiglotte peut éventuellement se fermer mais pas forcement. Il est assez facile de sentir si son épiglotte est fermée (quand on force l'air sur l'épiglotte fermée cela fait comme un bruit de canard).
Le rôle physiologique principale de l'épiglotte est de fermer l'entrée du larynx pour guider le bol alimentaire vers œsophage pendant la déglutition et éviter la fausse route.
Certains auteurs appellent également manœuvre de Valsalva le blocage de la respiration qui est très différent de la manœuvre des plongeurs.
Pour en revenir au bégaiement, je suis personnellement convaincu depuis des années que physiquement il provient d’un problème de contraction musculaire parasite dans le larynx lorsqu’on parle. Cependant cette contraction ne s’accompagne pas forcement d’une fermeture de la glotte (espace entre les cordes vocales) et est à mon avis très localisée.
La musculature interne du larynx étant complexe, savoir où le problème se situe n’est pas chose simple, mais j’y travaille depuis de nombreuses années.
François NOURISSIER (ingénieur en mécanique).
p.s. : moi aussi je possède un endoscope (voix orale) que j’ai bricolé pour 3 franc six sous. J’ai pu longuement visionner et filmer mon larynx pour voir comment il se comporte.
J’aimerais également ajouter une précision sur le fonctionnement normal du larynx en phonation, dans ce cas je dirais qu’il se ferme en simple plicature seulement (et non pas en double), c'est-à-dire que seules les cordes vocales s’accolent pour produire le son initial de la voix.
RépondreSupprimerNormalement les bandes ventriculaires ne s’accolent pas pendant la phonation, elles peuvent parfois cependant se mettre à vibrer par sympathie à une fréquence égale à la moitié ou au tiers de la fréquence de vibration des cordes vocales, ce qui permet à la voix de produire des notes très graves. Cela s’appelle le mécanisme 0, aussi appelé fry ou strowbass.
Voici un exemple filmé de ce fonctionnement en double résonateur du larynx.
https://www.youtube.com/watch?v=YE4n3svNUhM
François NOURISSIER
Je découvre votre blog. Merci pour ces articles très intéressants et complets, ainsi que pour les échanges très riches qu'ils suscitent.
RépondreSupprimerJe rebondis juste sur le dernier commentaire pour ajouter une petite précision:
Les bandes ventriculaires peuvent effectivement se rapprocher ou s'accoler dans certains types de phonation : en particulier la voix criée (cf. Bailly et al. 2010) et dans certains types de chant comme le death metal, le bassu ou le chant diphonique tibétain où la vibration des bandes ventriculaires toutes les 2 ou 3 périodes de vibration des plis vocaux (donc F0/2 ou F0/3) crée un son très basse fréquence et guttural.
Cependant, il ne s'agit pas du mécanisme 0. Le mécanisme laryngé 0 ou registre de Fry est produit uniquement par vibration des plis vocaux, sans l'intervention des bandes ventriculaires. Il correspond à une configuration glottique avec un tonus musculaire minimal (contrairement au geste de rapprochement des bandes ventriculaires), avec très peu de contraction du vocalis (muscle qui constitue le pli vocal) et un étirement minimal des plis (cf. Roubeau et al. 2009)
Refs:
Bailly, L., & Henrich, N. (2010, April). Contribution des bandes ventriculaires lors d'un effort vocal. Impact sur la vibration glottique. In 10ème Congrès Français d'Acoustique (pp. ISBN-978).
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00486155/
Roubeau, B., Henrich, N., & Castellengo, M. (2009). Laryngeal vibratory mechanisms: The notion of vocal register revisited. Journal of Voice, 23(4), 425-438.
Maëva Garnier (chercheuse CNRS)
Merci pour ton commentaire Maëva, effectivement j'avais tendance à confondre le mécanisme 0 qui est purement vocal (plis vocaux) avec la vibration des bandes ventriculaires.
RépondreSupprimerA un moment je m’étais entrainé à émettre des sons tenus graves et j'avais constaté au spectromètre de fréquence temps réel que je produisais des fréquences graves (avec leurs séries harmoniques) égales au 1/2 (ou au 1/3) de ma voix chantée ordinaire (celle-ci étant toujours présente).
Je pense que la vibration ventriculaire peut être présente dans la voix parlée non forcée (surtout chez les hommes).
Et je dirais même que cela peut être un signe de qualité vocale (endurance vocale, sonorités graves).
Dans la voix criée il me semble évident que la vibration ventriculaire permets de produire des sons très puissants tout en préservant ses plis vocaux (qui vibrent simultanément).
Elle peut donc avoir un rôle de protection de la voix.
Message destiné au modérateur
RépondreSupprimerJ'ai oublié de signer mon dernier commentaire, pouvez-vous rajouter à la fin de ce dernier :
François NOURISSIER (ingénieur en mécanique)
Merci.