25 mai 2009

Blocage et forcages : la théorie du bégaiement appris

Lorsque je rencontrais un blocage, je forçais désespérément pour expulser le mot qui ne voulait pas sortir. Ce redoublement d’effort ne faisait qu’accentuer la crispation de mes lèvres, de ma langue, de mes mâchoires empêchant l’air et donc le son de passer. Cela était aussi efficace que d’accélérer en écrasant la pédale de frein. J’essayai alors de prendre de l’élan, sans guère plus de succès : je ressemblais à un moineau affolé venant s’écraser encore et encore sur une vitre fermée.

Cette lutte intérieure se manifeste souvent de manière spectaculaire pour l’interlocuteur. Le bégaiement peut par exemple s'accompagner de tics faciaux : la bouche se crispe, les yeux se plissent, la langue affolée déforme les joues ... Dans certains cas extrêmes, le corps entier s'emballe. J'ai vu un homme-héron jeter la tête en arrière pour essayer de gober un poisson invisible, d’autres taper des mains ou du pied. C’est un véritable combat qui se déroule sous les yeux de l’interlocuteur interloqué. Tout votre corps est tendu dans l’effort d’expulsion : les abdominaux se contractent, l’appareil phonatoire se crispe…

Inutile de forcer pourtant : vous n'activez pas les bons muscles ou du moins pas de la bonne manière et si les sons finissent par sortir, c’est au prix d’un effort spectaculaire et épuisant.

Pourquoi alors réagissons nous de manière si inappropriée à l’accident de parole ?

Dans son livre « stutter no more », le Docteur Martin Schwartz donne une explication que je trouve assez séduisante.

L’idée lui en est venue un matin où la porte de son bureau était coincée. Instinctivement, il a forcé pour l’ouvrir et a réussi ainsi à entrer. Lorsqu’il est ressorti un peu plus tard, il a de nouveau forcé pour ouvrir la porte. Alors, tel Archimède courant tout nu dans les rues de Syracuse, il est retourné s’asseoir pour rédiger sa théorie du bégaiement appris.
Il venait en effet de découvrir comment il avait été conditionné par son expérience de la porte coincée. Parce qu’il avait réussi à l’ouvrir en forçant, il avait reproduit la même action alors même qu‘elle n’était plus coincée.
Il en déduisit que la production du bégaiement était similaire. Face à un blocage, nous avons pris l’habitude de forcer parce que c’est une réaction naturelle. Si vous tirez le seau d’un puits et que vous rencontrez une résistance, vous allez tirer plus fort pour passer l’obstacle ou bien redonner un peu de mou pour prendre de l’élan et tirer une bonne secousse.
Comme cette habitude a été couronnée de succès dans le passé (le son obstrué finit toujours par sortir), nous la reproduisons chaque fois que nous bloquons. Nous voilà conditionnés. Désormais, en réponse à un certain stress, les nerfs détecteront une tension et en informeront le cerveau qui déclenchera le comportement appris, c’est à dire le réflexe du blocage/forçage.

La théorie est bien sûr ici très résumée… Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez cliquer ici pour découvrir le livre de Martin Schwartz.

9 commentaires:

  1. Le Dr François Le Huche ayant eu connaissance de ton blog ce matin tout comme moi, il souhaitait commenter ton article mais il n'est pas parvenu à laisser un commentaire. Je te laisse donc son message tout en te félicitant pour la création de ce nouveau blog sur le bégaiement ! Voici donc ce qu'il voulait écrire :

    "Monsieur Martin Schwartz a sans doute raison de penser que le bégaiement naît de l’habitude prise, de forcer les blocages en passant en somme la parole en force à travers les bégayages. Le programme Air-flow qu’il propose laisse cependant beaucoup à désirer.
    On ne peut guère en finir avec le bégaiement si on laisse de côté le problème de la relation qui s’établit avec l’interlocuteur quand on parle sérieusement avec lui. Le bégaiement (qui ne concerne guère que la parole sérieuse et opérationnelle) commence à mon avis en effet, quand dans cette situation, de parole sérieuse, on perd de vue la « construction de l’échange » entreprise avec l’interlocuteur à propos de ce qui est dit, pour se mettre à lutter solitairement avec les bégayages et s’occuper du détail d’exécution de la parole. C’est ce qui explique que tous les trucs à ne pas bégayer (il y en a des dizaines et l’Air-flow en fait partie), même s’ils peuvent à court termes être d’un certain secours, ne vont pas dans le sens de la récupération d’une parole normale, où les bégayages quoi qu’on dise, ont leur place. Pour en finir vraiment avec le bégaiement, il convient de réparer tous les dégats physique et psychologiques produits par le bégaiement et en particulier ceux qui concernent les mécanismes automatiques de l’acte de parole. Cela ne peut se faire de façon réellement satisfaisante qu’en prenant en compte la relation à l’autre pendant la parole."

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  2. Bonjour Laurent
    C'est sur le blog d'Alexandre que j'ai pris connaissance de la naissance de ton blog, auquel je souhaite longue vie et un succès illimité. Je suis vraiment content de voir apparaître enfin un nouveau blog sur le bégaiement. Ces premiers articles sont déjà intéressants. Je vais, le plus vite possible, t'ajouter en lien et faire un article d'annonce sur mon Iceberg.
    Encore félicitationsn bravo, et longue vie !

    Olivier, bloggeur (Un Olivier sur un Iceberg)

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  3. Merci au Dr Le Huche pour son commentaire. Ce que vous décrivez est bien expliqué par l'"ancien" bègue qui témoigne dans le reportage vidéo mis en ligne sur le site "un Olivier sur un iceberg" (voir lien sur mes sites favoris). Ce témoin souligne la nécessité d'être dans l'échange, de ne pas se focaliser sur son élocution. Tout à fait d'accord aussi sur l'inefficacité des trucs à bégayer si le bégaiement n'est pas appréhendé dans son ensemble. J'ai d'ailleurs cité John Harrison et son hexagone du bégaiement dans un autre article. Avec ce format blog, je ne pourrai cependant aborder qu'un sujet à la fois. Je vous invite donc à revenir régulièrement :-)
    Laurent

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  4. Pour Olivier et son Iceberg,

    Merci pour tes encouragements qui me font très plaisir. Ton blog et celui d'Alexandre sont des exemples pour moi de pertinence et de longévité.
    Merci beaucoup aussi pour la "promo" !
    Laurent

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  5. Bienvenue Laurent dans le monde des "partageurs d'expériences".
    J'attends la suite avec impatience et je m'associe à Alexandre et Olivier pour te féliciter de ce bon début.
    Je vais de ce pas mettre un lien sur le site de l'Apb.
    Daniel P.

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  6. Merci Daniel pour ton message. Ca fait vraiment plaisir d'être accueilli à bras ouverts par les begbloggeurs !
    Laurent

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  7. Mireille GAYRAUD ANDEL26 mai 2009 à 12:54

    La porte de mon bureau s'ouvre difficilement et, comme Martin Schwartz, j'utilise les métaphores.

    Certains enfants qui veulent retourner dans la salle d'attente et n'y parviennent pas, donnent des coups de pieds dans la porte et passeraient volontiers au travers d'un coup d'épaule s'ils le pouvaient; d'autres renoncent et reviennent s'asseoir et attendre que l'entretien avec les parents se termine; d'autres demandent que l'adulte ouvre à leur place; d'autres , si j'étais au rez de chaussée, sortiraient par la fenêtre. Il en est de même pour le bégaiement. Si mon cerveau singulier m'envoie une disfluence, peut-être vais-je réagir en forçant jusqu'à ce que ce fichu mot sorte, ou bien vais-je m'inhiber, renoncer à parler, ou bien vais-je éviter un mot, en choisir un autre ou laisser les autres s'exprimer à ma place. Et comme cela aura fonctionné: le mot sera finalement sorti ou mon anxiété aura baissé en ne disant pas ou en disant autre chose. Cela m'encouragera à récidiver et le m'engluerai peu à peu dans ce comportement qui s'automatisera. Alors que si on m'avait montré comment on peut ouvrir cette porte quand elle coince...
    Mais comme le souligne François LeHuche, le bégaiement c'est aussi un trouble de l'échange, de la relation à l'autre. D'où la nécessité de connaître cette multifactorialité propre à chacun et l'impossibilité d'une méthode rééducative universelle!
    Autre métaphore: l'image qui me vient est celle d'un oignon. Au centre, le germe, c'est l'accroc, l'achoppement, la disfluence, puis peu à peu, les comportements réactionnels s'accumulent, s'organisent, telles les couches de l'oignon. C'est pour moi cela le bégaiement.
    Et éplucher l'oignon ne se fait pas sans larmes. Cela veut dire qu'il n'y a pas de miracle. "L'objectif guérison" demande un engagement et rien n'est jamais gagné. Surtout si les couches sont nombreuses et épaisses... Mais beaucoup peuvent témoigner que l'on peut accepter cette différence qu'est le bégaiement sans se résigner et donc progresser.
    A tous, bonne route!

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  8. Décidément la métaphore de la porte inspire ! Merci Mireille d'avoir cité les autres réactions et attitudes possibles. Je pense que c'était aussi l'idée de Martin Schwartz. La réaction au blocage, quelle qu'elle soit (forçage, évitement, substitution de mots...)est peu à peu intégrée dès lors qu'elle a pu apporter une réponse même temporaire au bégaiement. Elle devient alors un réflexe qui réapparaît à tout nouveau accident de parole.
    Jolie image aussi que celle de l'oignon qu'on ne peut éplucher sans larmes...
    Laurent

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  9. L'image de la porte de Scwhartz est aussi restée dans mon esprit (dans mon souvenir c'était la porte des W.C. (?)). Il serait intéressant, de mon point de vue, de pouvoir relier cela à la physiologie, à la neuro.

    Olivier

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