Joseph Sheehan a eu l’idée de représenter le bégaiement sous la forme d’un iceberg. Les blocages, répétitions, prolongations, grimaces ou tensions forment la partie visible. Les émotions et pensées négatives (la honte, la culpabilité, la peur…) constituent la partie la plus importante, dissimulée sous la surface.
Il existe une autre analogie, moins connue mais beaucoup plus parlante à mon goût : celle du volcan. Anne Smith, une spécialiste américaine du bégaiement, a été la première à l’utiliser en 1999.
La cheminée centrale du volcan peut être comparée à la trachée, le cratère à la bouche. La fumée, les cendres, la lave sont les manifestations extérieures du bouillonnement intérieur. Elles jaillissent de notre bouche, impressionnantes, tombent et refroidissent, se solidifient et bâtissent peu à peu les pentes de notre volcan, jusqu’à former une montagne de sédiments, de roches et de lave solidifiée : les souvenirs de nos bégaiements et de nos renoncements.
Pour Anne Smith, examiner les phénomènes de surface (le nombre de syllabes bégayées, les tremblements,...) pour comprendre le bégaiement est aussi vain que d’étudier la fumée, les cendres ou la lave pour comprendre le fonctionnement d’un volcan. Il a fallu attendre les années 60 pour que les volcanologues comprennent que le chevauchement des plaques tectoniques était à l’origine de l’activité volcanique. De la même manière, il a fallu plonger au coeur du volcan du bégaiement pour découvrir le magma incandescent formé par la prédisposition génétique, la peur, la honte, la culpabilité, l’anxiété, la mauvaise estime de soi. Lorsque les plaques tectoniques (situations de paroles et auditeurs) s’entrechoquent et se chevauchent, elles font monter en pression ce magma. Cette pression se diffuse dans notre corps, remonte par la trachée, nous saisit à la gorge, contracte notre langue et nos lèvres, déclenchant une éruption incontrôlée.
L’analogie est aussi particulièrement pertinente parce que, tout comme l’éruption, le moment de bégaiement est un phénomène imprévisible, qui résulte d’une interaction complexe de multiples facteurs et varie en fonction du contexte (parler seul ou à un animal, lire, faire un exposé, raconter une histoire) et des interlocuteurs (parents, amis, collègues, inconnus, figures d’autorité).
Vous l’aurez compris, j’aime beaucoup cette image du volcan du bégaiement, aux entrailles bouillonnantes, endormi ou en éruption, et la préfère désormais à l’immobilisme glacé de l’iceberg. Désolé Joseph…
Le dessin d’illustration a été réalisé par ma fille Heïdi et je la remercie pour ce beau cadeau. Elle avait 7 ans lorsque j’ai créé le blog, elle en a 19 aujourd’hui... Il peut naître de bien belles choses d’un volcan 🙂 Merci aussi à Sandrine, Baptiste et Joanna, mes trois autres Fantastiques.
Laurent
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