En 2016, j'ai été invité à Montréal par l'Association Bégaiement Communication et j'ai rencontré des personnes formidables. J'avais notamment été frappé par la détermination et l'énergie de la jeune vice-présidente Geneviève Lamoureux.
Celle-ci vient d'annoncer une grande nouvelle : elle reprend ses études et a été admise à la maîtrise en orthophonie de l'Université Laval (Québec).
A cette occasion, elle a écrit un texte magnifique sur son parcours et l'évolution de son rapport au bégaiement. C'est un gros coup de boost en cette période si particulière. Bonne lecture !
"Je ne sais pas si vous le saviez, mais le mois de mai, c'est le mois de la communication ☺️ À cette occasion, l'organisme Association bégaiement communication, où je travaille, a demandé aux personnes touchées par le bégaiement de partager du contenu sur le sujet. Le montage photo (plus bas) est ma participation.
Certains d'entre vous - qui ne m'ont pas vue depuis quelques années - ne savent peut-être pas que j'ai un bégaiement, aussi appelé trouble de la fluidité. En gros, j'ai beaucoup moins de contrôle sur la production de ma parole que le commun des mortels. Il s'agit, autrement dit, d'un dysfonctionnement de la production de la parole. Contrairement à certaines idées reçues, ce n'est pas causé par le stress ou la gêne, mais ces derniers ont, oui, une influence sur lui. Le bégaiement fait partie des troubles neurologiques, aux côtés par exemple de la dyspraxie, de la dyslexie et du syndrome de la Tourette.
J'ai longtemps caché le bégaiement - ou plutôt, j'ai longtemps tout, tout, tout fait pour le masquer le plus possible. Parce que j'avais honte, je me jugeais anormale, je n'en savais presque rien et je ne connaissais littéralement aucune autre personne qui bégayait.
À l'âge de 22 ans, j'ai vécu un point tournant dans mon parcours avec le bégaiement. À l'aube d'un échange d'étude d'un an aux Pays-Bas, alors que je venais de déménager dans un autre pays et que je devais m'adapter à une tonne de changements, notamment une nouvelle langue, j'ai réalisé qu'il était intenable de continuer à cacher ainsi ma différence. Bref, je n'arrivais plus à gérer.
Pour m'aider, j'ai commencé notamment par me joindre à un groupe d'aide aux Pays-Bas, où j'ai rencontré pour la première fois d'autres personnes qui bégayaient (et en néerlandais, en plus!). J'ai aussi rejoint des groupes de soutien virtuels. J'ai commencé à en parler autour de moi. De retour au Québec, j'ai commencé à m'impliquer à l'Association bégaiement communication. Pour moi, c'était des pas de géant. Avant cela, il était hors de question de m'exposer et de révéler ainsi ma vulnérabilité.
Aujourd'hui, six ans plus tard, je contemple avec beaucoup de joie tout ce que j'ai retiré de cette ouverture. J'ai, par exemple, un réseau de soutien incroyable - aujourd'hui, je peux affirmer que je connais autant de personnes qui bégaient que de personnes qui ne bégaient pas (!), j'ai voyagé à plusieurs reprises pour participer à des congrès sur le sujet, j'occupe maintenant un emploi dans le milieu (à l'Association bégaiement communication, justement), je donne des conférences-témoignages dans des cours d'orthophonie... et, attention, grosse nouvelle : je viens d'être admise à la maîtrise en orthophonie à l'Université Laval. Eh oui, retour aux études dans un domaine qui me passionne à fond la caisse.
Certainement, tout n'est pas rose avec des arcs-en-ciel (hihi) tous les jours. Il y a des moments plus difficiles que d'autres. Certains jours, je suis fatiguée et je choisis mes batailles. Certains jours, j'ai honte, et je me sens niaiseuse d'avoir honte. J'apprends aussi à être douce avec moi-même.
Depuis que je bégaie plus ouvertement, je me rends compte que, comme mon énergie n'est plus gaspillée à orchestrer toutes sortes de tactiques farfelues pour cacher ma différence, je suis plus présente à moi-même, plus attentive à l'autre, plus dans une relation de partage que je ne l'étais auparavant. J'ai aussi appris à faire preuve d'ouverture : tout le monde ne peut pas connaître le bégaiement, et il faut pardonner les faux pas lorsqu'ils arrivent. Par contre, j'apprends à me permettre d'être une ambassadrice de la cause lorsqu'il le faut.
En ce mois de la sensibilisation à la communication, je me sentais inspirée à écrire un petit quelque chose sur ce sujet qui me touche particulièrement. Si jamais vous rencontrez quelqu'un qui ne parle, n'entend ou ne réagit pas « comme tout le monde », ne faites pas seulement l'accueillir comme il est : enrichissez-vous de son rapport différent au monde. Ce qui est beau, c'est de voir ce « comme tout le monde » s'agrandir d'année en année, de voir ses limites devenir de plus en plus floues, de plus en plus libres, de plus en plus éclatées. On a tous notre place dans la mosaïque vivante de ce « comme tout le monde ». Faites la vôtre.
Geneviève"
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