Bruce Willis, Samuel L Jackson, Louis Jouvet, Gérard Depardieu, Francis Perrin, Julia Roberts (et son frère Eric, acteur également), Marlyn Monroe… On nous agite régulièrement sous le nez cette liste de comédiens ayant réussi malgré leur bégaiement.
Fantasme, légende ou réalité ? Le théâtre peut-il aider à soigner son bégaiement ? Suffit-il de monter sur scène pour décrocher la fluidité ? Est-il vrai qu’on ne bégaie plus quand on joue un rôle ? Pour répondre à ces questions, je suis parti à la recherche de personnes qui bégaient ayant tenté l’aventure théâtre. Bruce et Julia étaient pris mais Amandine, Nina, Olivier et Daniel ont accepté très gentiment de partager leur expérience. Tous les 4 font partie du groupe Facebook « Le Cercle Très privé des Personnes qui Bégaient », qui compte aujourd’hui plus de 1 250 membres. Si vous n’en faites pas encore partie, foncez vous y inscrire, vous allez adorer !
Ces expériences sont riches parce que différentes : 3 filles, deux garçons, un éventail générationnel qui va de la lycéenne au sémillant retraité, debs niveaux de bégaiement différents... Olivier vient de commencer, Nina et Daniel ont une longue pratique, Amandine a choisi d’arrêter. Voici les questions que je leur ai posées.
1) Dans quelles circonstances et à quel âge as-tu fait cette expérience ?
2) As-tu prévenu le prof et la troupe que tu bégayais ?
3) Comment cela s'est-il passé ?
4) Quand tu joues, ton bégaiement est-il plus important, moins important ou pareil que d'habitude ?
5) Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
6) Qu'as-tu appris, qu'est-ce qui t'a aidé ?
7) Quel a été le retour de tes partenaires et du public ?
8) Quels conseils donnerais-tu à une personne qui bégaie souhaitant essayer le théâtre ?
1) Dans quelles circonstances et à quel âge as-tu fait cette expérience ?
Amandine : J'ai fait cette expérience quand j'allais avoir 20 ans car on m'en parlait beaucoup autour de moi, notamment mon orthophoniste. J'étais très réservée, c'était donc aussi une bonne occasion de m'ouvrir un peu plus aux autres.
Nina : Je fais du théâtre depuis que je suis au primaire et j'en ai toujours fait tout au long de ma scolarité. C'était toujours dans le cadre de l'école, parfois c'était en option et d'autre fois c'était pour les cours. Je suis actuellement en deuxième année à l'université et j'ai choisi une option théâtre en anglais l'année dernière. C'est soit en français soit en anglais, je n’ai encore jamais essayé de mélanger les deux langues.
Daniel : J'ai commencé le théâtre à 50 ans. En fait mon épouse m'a demandé de dépanner la troupe de théâtre amateur dans laquelle elle s'était inscrite car il manquait un acteur.
A cette époque je ne bégayais plus que très rarement mais cela m'arrivait encore.
J'ai accepté, et j'y ai très vite pris du plaisir.
Olivier : A 41 ans. Cela faisait plusieurs années que je voulais essayer. Qui n'a jamais joué de rôle étant enfant ?
2) As tu prévenu le prof et la troupe que tu bégayais ?
Amandine : Oui j'ai prévenu le prof dès mon inscription dans la troupe, et il trouvait cela bien, il disait n'avoir jamais eu de personnes bègues et que donc c'était un challenge.
J'ai prévenu la troupe dès le premier cours et ils ont toujours été très encourageants et indulgents envers moi. J'étais touchée par leur soutien. Cela m'a beaucoup réconfortée et aidée.
Nina : Quand c'était des profs que je connaissais déjà ce n’était pas la peine mais sinon en général je préférais le dire parce que ça enlève un poids. Mais ce dernier semestre je n'ai rien dit et comme la première séance je n'ai pas beaucoup parlé, je n'ai pas bégayé. Du coup, la semaine d'après, quand je devais présenter mon monologue, le prof l'a découvert mais je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure solution.
Daniel : La troupe était “autogérée” … donc pas de prof.
Je n’en ai jamais parlé car mon bégaiement n'était pas très fréquent, même si je pouvais avoir de temps à autre de « gros » blocages.
Olivier : J'ai prévenu le prof. J'ai dit ouvertement que le bégaiement m'avait probablement guidé vers le théâtre. La première fois, il n'a pas relevé, et on n’en a pas parlé davantage.
3) Comment cela s'est-il passé ?
Amandine : Avec le prof et la troupe, tout se passait très bien. Mais c'est au niveau de mon bégaiement que je le vivais mal.
Nina : Les cours en général se passent bien, les personnes qui choisissent de faire du théâtre sont en général plus ouvertes et compréhensives que les autres. Le stress est toujours là, évidemment, mais même pour moi qui suis timide maladive, au bout de 2 - 3 cours la pression redescend.
Daniel : Plutôt bien. A vrai dire je n'avais pas un gros rôle la première fois.
Puis j'ai eu des rôles de plus en plus importants, et j'y ai pris de plus en plus de plaisir. J'ai eu quelques tout petits accrochages sans conséquence.
4) Quand tu joues, ton bégaiement est-il plus important, moins important ou pareil que d'habitude ?
Amandine : Quand je jouais mon bégaiement était toujours bien présent, je n'arrivais pas à l'oublier. Je pensais m'évader mais il était toujours là.
Nina : Quand je joue, ça dépend de la langue dans laquelle je joue. En anglais ça passe beaucoup mieux qu'en français. Mais globalement c'est au même niveau que dans la vie de tous les jours, étant donné que je bégaie moins en anglais qu'en français.
Daniel : Pareil que d'habitude, j'avais déjà eu l'occasion de parler en public (du bégaiement) ce qui fait que j'étais bien plus stressé du risque d'oublier mon texte que de bégayer.
Les dernières années il ne m'arrivait plus jamais d'avoir le moindre bégayage.
Olivier : Pour l'instant je n'ai pas encore joué à proprement parler. J'ai toujours pensé qu'au théâtre, je ne bégayerais pas... Le problème, c'est que les exercices ne vous font pas toujours jouer un rôle...il faut travailler sur la voix, sur l'adresse, sur la puissance, sur le ton. Je ne suis pas dans le rôle, donc je bégaie.
5) Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Amandine : Le fait de bégayer même durant les cours, me ramenait constamment au fait que mon bégaiement pouvait être une barrière dans certains moments de ma vie. Je ressentais encore plus fort qu'il était bien présent. C'était trop pesant pour moi. Et c'est une période où je ne l'acceptais pas encore, et où je cherchais à le cacher.
Nina : J'ai constaté que le plus dur pour moi en général c'était le début des répliques mais après une fois que je suis lancée ça va tout seul. Sinon je ne vois pas d'autres difficultés spécifiques.
Olivier : Lors des lectures de texte, j'avais tendance à masquer mon bégaiement. Problème : ça sacrifiait à l'émotion. Le prof m'a dit qu'il valait mieux que je bégaie. Plus généralement, l'activité théâtre est aussi exigeante qu'un travail à mi-temps... J'ai vu des anciens pleurer parce que le prof les poussait trop.
Daniel : Aucune concernant le bégaiement, même si les premières fois il m'est arrivé d'accrocher. Par contre j'ai découvert le plaisir d'être sur scène, de surjouer les émotions, ce qui facilite énormément la fluidité.
6) Qu'as-tu appris, qu'est-ce qui t'a aidé ?
Amandine : J'ai compris avec le recul, (3 ans après), que je me focalisais trop sur mon bégaiement, que je n'arrivais pas à lâcher prise. En le prenant avec plus de légèreté et d'humour, cette expérience aurait pu être pour moi bien plus positive. Bien qu'elle soit tout de même positive !
Nina : Les cours de théâtre m'ont beaucoup plus appris sur la façon de parler (doucement et en articulant) et de respirer que l'orthophoniste que j'ai vu étant jeune. Outre la façon de parler, ça m'a permis d'être plus à l'aise devant des spectateurs, pour parler devant un public (quand je connais le texte à l'avance).
Olivier : L'improvisation, la façon de bouger, la bienveillance envers les autres membres de la troupe... Jouer en mouvement est beaucoup plus facile. Mais, dans la vie réelle, parler en bougeant est souvent plus facile.
Daniel : J'ai surtout appris à « me lâcher », ce que j'avais toujours du mal à faire bien que mon bégaiement se conjuguait au passé.
J'ai aussi appris « à apprendre » et j'ai été très surpris de voir qu'avec une bonne méthode je pouvais apprendre des textes où je devais mémoriser plusieurs centaines de répliques.
Tout cela a contribué à augmenter la confiance et l'aisance sur scène.
7) Quel a été le retour de tes partenaires et du public ?
Amandine : J'ai abandonné quelques mois, avant de jouer devant un public. La troupe m'a félicité de mon courage et a compris ; le prof aussi, bien qu'il ait été un peu déçu de mon départ.
Nina : Les retours se résument souvent en "tu as un peu bégayé mais ça n'a pas gêné, ça ne s'entend pratiquement pas". Je ne sais pas si c'est pour me faire plaisir ou si c'est effectivement ça mais heureusement que mon jeu n'est pas trop mal pour rattraper éventuellement le texte qui n'est pas toujours très fluide. Je fais allusion à tout ce qui est gestuelle et mise en scène. Comme je l'ai dit avant le théâtre c'est la vraie vie en exagéré du coup on fait tout beaucoup plus gros. Si je réagissais dans la vraie vie comme au théâtre, tout serait exagéré. Donc oui je me lâche plus sur scène qu’en temps normal.
Olivier : Nous n'avons pas encore joué devant un public. Le retour de mes partenaires est toujours encourageant...seul le prof met le doigt sur les insuffisances (mais jamais de jugement de valeur, évidemment).
Daniel : Excellent. J'adore entendre le public rire à une bonne réplique, cela donne confiance et une grande « pêche ». Mes partenaires n'ont jamais fait de remarques par rapport au bégaiement, seulement sur la manière de jouer telle ou telle scène.
8) Quels conseils donnerais-tu à une personne qui bégaie souhaitant essayer le théâtre ?
Amandine : Le conseil que je donnerais, ça serait de lâcher prise, de se mettre totalement dans la peau du personnage et de s'amuser. Il faut aussi se sentir un minimum prêt. Pour ma part, je ne l'étais pas assez. Je suis restée tout de même 4 mois et je ne regrette pas car ça m'a renforcée. Je ne peux que conseiller d'essayer. C'est un grand pas en avant. Et ça permet de prendre conscience de beaucoup de choses sur soi et sur son bégaiement. On se découvre et on se rend compte qu'en allant de l'avant et en affrontant ses peurs, on devient plus fort. Et mine de rien on se sent fier de l'avoir fait.
Nina : Déjà il faut se lancer, je pense que c'est une super expérience, très intéressante et qui apporte beaucoup. Je comprends tout à fait qu'on appréhende le premier cours mais une fois qu'on l'a fait on se sent mieux, c'est un peu un défi qu'on relève. Quand on parle au théâtre (encore plus que dans la vie de tout les jours), il faut articuler et parler très lentement parce qu'il faut se faire comprendre par tout un public plus ou moins proche de nous, donc les cours c'est une occasion de s'entraîner encore plus que d'habitude à bien parler. Ça ne peut apporter que du positif, il faut juste oser. Après, une fois l'adaptation passée, c'est très instructif.
Olivier : De se renseigner sur le contenu des ateliers, être sûr que vous allez prendre du plaisir, de commencer à une bonne période de votre vie... et en cas d'échec, de voir s'il y a peut-être autre chose qui vous conviendrait (chant, travail sur la voix).
Daniel : Le jeu demande que les répliques soient dites rapidement, donc il est nécessaire de connaître son texte parfaitement. Pour cela j'enregistrais sur ordinateur les répliques précédant les miennes, en laissant un vide pour dire la mienne, et cela par groupe d'une dizaine de répliques. Ensuite je les écoutais en boucle, d'abord en lisant, puis progressivement sans lire, jusqu'à les connaître parfaitement. Cela élimine déjà une bonne partie de l'anxiété.
Cette façon d’apprendre est une aide lorsque le partenaire “saute” des répliques, ou ne suit pas le texte, car on acquiert des automatismes de réponse, ce qui permet de se concentrer sur le jeu, et du même coup la parole et la peur de bégayer passent à l’arrière plan.
Je crois que le théâtre est une bonne manière de prendre confiance, à condition d'accepter de se lâcher, d'oublier la peur de bégayer (cela vient tout seul à force de répéter le texte, d'abord seul puis avec le groupe) et de prendre du plaisir.
Il faut oser !
Fin de l’interview.
Voilà ! Epatant, non ? Pour ma part, je retiens que :
• Aucun ne regrette de s’être lancé. C’est une expérience toujours positive même quand on rencontre des difficultés.
• C’est une bonne chose d’annoncer qu’on bégaie et l’accueil reçu est toujours bienveillant.
• Le bégaiement ne disparaît pas forcément en scène mais ce n’est pas un obstacle.
• Il n’y a pas de recette unique mais quelques ingrédients essentiels pour surmonter ses peurs et vivre une belle expérience : « se lâcher », « lâcher prise », « s’amuser », « prendre du plaisir ».
• Le théâtre peut aider à travailler son élocution mais permet surtout de développer d’autres aspects de la communication comme la gestuelle, l’intonation, le regard. Eugène Ionesco disait (Eugène, si tu nous entends…) : "Tout est langage au théâtre, les mots, les gestes, les objets. Il n’y a pas que la parole."
Annoncer son bégaiement, ne pas chercher à le dissimuler ou à le contrôler (le laisser sortir), oser, se lâcher, prendre du plaisir… Autant de conseils bons à prendre, même si on ne fait pas de théâtre…
Bien sûr, toute personne qui bégaie ne doit pas se lancer dès demain dans l‘expérience. Il faut déjà que cela vous attire ! Amandine et Olivier soulignent aussi qu’il faut être « prêt » pour tenter l’expérience, c’est-à-dire avoir déjà une certaine maturité vis-à-vis de son bégaiement.
Si vous hésitez encore, il existe une excellente solution pour voir si cela vous plaît et tenter l’expérience dans un environnement moins stressant : des ateliers de théâtre pour les personnes qui bégaient.
Ainsi, les self-helps (groupes d’entraide pour personnes qui bégaient) de Nantes et Rennes ont écrit et interprété une pièce de théâtre en 2009 : "Alice au pays d'elle-même". La représentation s'est faite devant quatre cents personnes.
En 2014, au colloque de l’Association Parole Bégaiement, j’ai eu la chance d’assister au spectacle écrit et interprété par le self-help de Paris. Celui se terminait par "la manif contre le bégaiement" ! (voir illustration du post). La représentation s'est faite devant six cents personnes submergées et conquises par l’enthousiasme et le talent de la troupe.
Pour trouver un self-help près de chez vous, vous pouvez aller faire un tour par ici (pour ceux qui ne savent pas ce qu’est un self-help, voici l’article du blog sur le sujet).
L’APB Belgique organise aussi un atelier théâtre. Plus d’infos sur ce lien.
Autre information bonne à savoir : des orthophonistes organisent des ateliers théâtre pour les adolescents. Si cela vous intéresse, je vous conseille de lire l’excellent mémoire de Delphine CHIRON « Le bégaiement en scène : intérêt de la pratique théâtrale chez les adolescents qui bégaient.»
En voici un extrait qui confirme l’expérience vécue par Amandine, Nina, Daniel et Olivier : « La pratique du théâtre comporte de nombreux intérêts dans la thérapie du bégaiement chez l’adolescent : elle favorise la mobilisation de multiples habiletés de communication, valorise des modes d’expression et de communication riches, notamment dans le cadre d’activités spécifiques, et permet à l’adolescent de s’affirmer à un âge où celui-ci est pleine composition de sa personnalité.
(…). A l’unanimité, tous déclarent que l’atelier leur a permis de s’amuser et de se dépasser en osant expérimenter des activités ou des situations dont ils n’avaient pas l’habitude. »
Et s’il vous reste encore quelques craintes ou réticences, écoutez ce que nous susurre à l’oreille la divine Marilyn Monroe, qui était tout sauf une ravissante idiote :
“L’imperfection, c’est la beauté. La folie, c’est le génie et iI vaut mieux être totalement ridicule que complètement ennuyeux. La peur est une stupidité, les regrets aussi. Nous sommes tous des stars et nous méritons tous de briller. »
Un de mes plus grands souvenirs de "béguologue" a été un travail fait avec un groupe de jeunes adultes bègues dans les années 90, sur toute une année.
RépondreSupprimerJ'avais proposé que l'on travaille une petite pièce de Peter Handke "Gaspard", sur la vie de Gaspard Hauser que j'avais vue interprétée par le Roy Hart Theater...pièce à un personnage.
Le travail avait consisté autant à jouer une scène ou une autre...qu'à mettre l'autre en scène.
On se retrouvait donc acteur ou metteur en scène, à tour de rôle.
On se fllmait et on regardait....et on recommençait.
Le texte était assez répétitif, assez succinct, avec beaucoup de jeux de scène indiqués en marge (didascalies).
Le Roy Hart avait introduit beaucoup de bruitages réalisés à la bouche dont nous nous étions bien inspirés.
Ca a été génial - Probablement mon meilleur souvenir de travail en groupe.
Le travail de la mise en scène s'est revolé être très formateur : comment agir sur l'autre par ses indications pour en obtenir ce que l'on veut ! pas si simple. Et pourtant c'est bien là un des enjeux de la communication.
Plusieurs patients ont "continué" le groupe, celui-là où d'autre, en faisant du théâtre ou en participant à des ligues d'improvisation - avec bonheur effectivement.
Marci pour ce post, Laurent.
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel
Merci d'avoir partagé cette expérience, Marie-Claude.
RépondreSupprimer