Les passionnés de bégaiement (si, si, ça existe !) peuvent s’étriper de longues heures sur ce qu’est le bégaiement et sur la solution la plus efficace pour le surmonter ou l’apprivoiser.
Pas facile de donner des conseils sur un tel sujet, c’est pour cela que j’ai choisi de vous faire partager mon expérience mais surtout les témoignages et réflexions que j'ai pu lire de personnes bègues et de thérapeutes. A vous ensuite de faire votre marché et de choisir ce qui vous convient…
Il y a cependant un conseil que je me permettrai de donner : arrêtez d’éviter ! L’évitement est en effet l’une des manifestations les plus courantes mais aussi les plus nocives du bégaiement.
Qu’est-ce que l’évitement ?
Lorsque vous bégayez et que vous vivez mal votre bégaiement, il arrive un moment où vous allez commencer à éviter certains mots ou certaines situations, juste pour ne pas prendre le risque de bégayer. Cette pratique est par exemple symptomatique des bègues masqués, experts en périphrase, recherche de synonymes et manœuvres d’évitement.
L’évitement peut prendre plusieurs formes : substitution d’un mot par un autre, ajout d’interjections parasites, de tics verbaux ou de raclements de gorge dans votre discours, un téléphone que vous ne décrochez pas (ou que vous feignez de ne pas entendre…), une question que vous ne posez pas ou une réponse que vous ne donnez pas, une histoire drôle que vous ne racontez pas parce que vous avez trop peur de rester coincé sur la chute, un trait d’humour ou un argument que vous gardez pour vous dans une conversation… Tous ces mots retenus ou évités génèrent un soulagement passager mais finissent par vous brûler l’estomac et le coeur aussi sûrement qu’un acide…
Pourquoi l’évitement est-il si nocif ?
Petit à petit, ces évitements deviennent une seconde nature et peuvent aller très loin, jusqu’à diriger le moindre de vos choix. L’appréhension peut ainsi se transformer en peur puis en véritable phobie. Comme le dit William D. Trotter (Directeur des troubles de la communication à l’Université de Marquette, Milwaukee) : "La personne bègue croit que le plus important dans la parole et la communication est d’éviter le bégaiement à tout prix".
Certains vont même jusqu’à se faire passer pour muets ou aphones dans certaines situations, à se déclarer malades le jour d’une présentation en public…
Choisir au restaurant le plat que vous pourrez prononcer plutôt que celui qui vous fait envie peut faire sourire … Mais lorsque cela finit par avoir un impact sur vos choix de vie, c’est beaucoup plus grave. Vous allez ainsi éviter certaines études (vente, communication…) puis éviter de postuler pour un poste où il vous faudra parler en public ou répondre au téléphone (voir itinéraire d’un bègue), puis refuser de vous marier à l’église pour ne pas avoir à prononcer vos vœux en public, puis éviter de choisir pour votre enfant un prénom que vous ne pensez pas pouvoir prononcer… Et puis, et puis, et puis….
Eviter vous plonge ainsi dans un engrenage désastreux. On comprend mieux pourquoi de nombreux thérapeutes s’entendent sur l’importance cruciale d’apprendre à ne plus éviter de mots ou de situations. Je vous ai concocté un petit florilège sur le sujet :
Van Riper : « Je sais, par ma propre expérience de bègue sévère et par les nombreuses autres personnes bègues dont je me suis occupé, qu’il vaut mieux avoir un blocage de 5 minutes que de réussir à éviter un mot. On ne peut vaincre la peur par la fuite; la fuite ne fait que l'augmenter. »
"Gardez à l’esprit que moins vous éviterez des mots et des situations, moins vous bégaierez sur le long terme. » - J D Williams - Professeur Pathologie de la Parole, Northern Illinois University).
"N’évitez pas certains mots ou situations qui déclenchent le bégaiement. Affrontez-les tête haute. Il vaut bien mieux bégayer qu’éviter une situation de parole parce que la peur du bégaiement ne fait qu’aggraver le problème" - Frederick Murray, Ex-directeur Division Pathologue de la Parole, Université du New Hampshire).
Joe Sheehan en était même venu à penser que c’était l’évitement qui perpétuait le bégaiement et à en faire la base essentielle et presque unique de sa thérapie. Pour lui, « Le bégaiement n’est pas un échec, la peur n’est pas un échec. L’évitement est un échec. C’est même un toboggan vers l’échec. »
Ce que veulent dire ces thérapeutes, c’est qu’éviter une situation ne fait que la rendre plus effrayante, alimente les fantasmes et vous plonge dans un cercle vicieux.
Pour essayer de comprendre comment cela fonctionne, j’ai trouvé cette image : la vaisselle dans l’évier. A l’époque où j’étais étudiant puis jeune célibataire, j’habitais dans des appartements où il n’y avait bien sûr pas de lave-vaisselle. J’avais un certain nombre de centres d’intérêt et, bizarrement, les corvées ménagères arrivaient assez loin dans la liste, bien après les soirées dans des bars enfumés (et oui, à cette époque, on fumait dans les bars et les restos…), les nuits en boîte, le vautrage sur canapé devant les matchs de foot, les razzias à la FNAC et la lecture de Fluide Glacial ou de l’Equipe.
Je n’avais pas de lave-vaisselle, donc, mais en revanche j’avais un évier. Et chaque fois que je passais devant, je trouvais une excellente excuse pour ne pas le vider. La pile de couverts sales augmentait ainsi chaque jour et se transformait peu à peu en une montagne terrifiante… Jusqu’au moment où, les services de l’inspection sanitaire commençant à rôder autour de mon immeuble, je n’avais plus le choix. Et là ce n’était vraiment pas une partie de plaisir…
Vous voyez où je veux en venir ? Lorsque vous évitez un mot ou une situation, vous faites exactement la même chose. Vous ressentez le soulagement passager d’avoir échappé à un moment pas très agréable mais :
- au fond de vous, vous ne vous sentez quand même pas très fier,
- en évitant, vous venez de rajouter deux ou trois couverts sales dans votre évier, accentuant ainsi la difficulté apparente de la tâche…
Résultat, quand il vous faut affronter la situation, votre évier est rempli à ras bord et vous vous sentez dans la peau d’Hercule s’attaquant aux écuries d’Augias. Vous avez transformé quelque chose de finalement assez anodin en une corvée terrible.
Vous avez vu la tête de la dame sur la photo ? Maintenant, à chaque fois que vous éviterez, pensez que vous venez de lui balancer une nouvelle assiette sale. Pas très sympa, non ?
JD Williams exprime ainsi le processus psychologique qui s’enclenche : "A certains moments, vous pouvez éviter totalement le bégaiement en choisissant d’être absent, en renonçant à une prise de parole ou en remplaçant un mot redouté par un autre qui ne l’est pas. Cela vous permet de vous échapper sur le moment, mais augmente votre inquiétude pour les futures situations."
Et Charles Van Riper va plus loin : "Voici ce qui se produit : un évitement réussi amène une réduction de l'anxiété. Conséquemment, lorsque se présente une situation similaire, le besoin d'évitement est plus grand à cause du renforcement précédent. Mais à présent, l'évitement est impossible. Le conflit prend de l'ampleur. Ce faisant, plusieurs cercles vicieux (ou plutôt spirales) sont activés."
Et Malcom Fraser va encore plus loin (mais où s’arrêteront-ils ?) !
« Pourquoi ne devriez-vous pas éviter de dire votre nom ou de répondre au téléphone lorsque vous sentez que vous pourriez bégayer ? Ou pourquoi est-il néfaste de retarder une action? Ou pourquoi ne pouvez-vous pas substituer, par un mot plus facile à prononcer, un mot sur lequel vous pourriez bégayer? Pourquoi pas ?
Il y a une très bonne raison à cela - et cette raison est très puissante: plus vous utiliserez les évitements, les procrastinations (nb : procrastination = action de reporter une tâche) ou les substitutions, plus vous continuerez à utiliser ces béquilles pour éviter des problèmes, plus ces comportements renforceront vos craintes de bégayer. Pourquoi continuer à accumuler des peurs ? S'il y a une chose qu'une personne qui bégaie a besoin plus que toute autre, c'est bien de réduire ses craintes, et certainement pas de les renforcer. L’Évitement ne fait qu’empirer la peur de bégayer. »
Vous avez vu, il a même mis une majuscule à Evitement ! C’est pour vous dire combien la bestiole est méchante, maléfique même ! Si après ça, vous avez encore envie d’éviter, quittez immédiatement ce blog !
Ce début de post étant déjà long, on parlera arrosage de plantes au prochain numéro, avec Catherine, une jeune femme polonaise qui des fois bégaie et Steven, sujet de sa Royale Majesté, créateur d’un groupe original sur Facebook…
Attention teasing : Laurent réussira-t-il à vider son évier ? Et quelle plante va-t-il nous proposer d’arroser ? Et qui est cette mystérieuse bègue polonaise ? Et quel est ce groupe étrange sur Facebook ?
La suite, la semaine prochaine…
Laurent
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Merci pour ton humour et pour cet excellent billet.
RépondreSupprimerDaniel P.
Une lecon de vie intéressante qui m'a marqué dans le livre "Peaux de phoques" de Veqet. Elle se réfère à la situation de l'évitement. La mère dit à ses enfants : "Si vous voyez une pierre sur votre chemin, ne la contournez pas, soulevez pas et jetez là sur le coté." En effet, ensuite cette pierre ne sera jamais plus sur notre chemin.Ou comment affronter les problèmes à bras le corps sans tergiverser.
RépondreSupprimerBienvenue sur le blog Martin et merci beaucoup pour tes commentaires. L'image est en effet parlante : " cette pierre ne sera plus jamais sur votre chemin". Par curiosité, j'ai fait des recherches sur le livre "peaux de phoques". Pour ceux que ça intéresse, voici une présentation qui donne envie de le lire : ICI.
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