Je vais vous parler aujourd'hui d'une technique orthophonique assez surprenante : le bégaiement volontaire.
A première vue, il peut paraître idiot de s'exercer à bégayer alors que l’on recherche exactement l’inverse. Pourtant d'anciens bègues citent cette technique comme une de celles qui les a le plus aidés dans le processus de guérison !
J’ai sélectionné quelques témoignages sur les bienfaits de cette technique (recueillis sur des forums) :
« C’est un moyen d’annoncer son bégaiement tout en montrant qu’on le contrôle et que cela ne nous pose pas de problème. »
« Auparavant, je ne me sentais bien que lorsque j’étais fluide. En utilisant le bégaiement volontaire, j’ai découvert que je pouvais aussi être quelqu’un de bien en bégayant.»
« C’est une arme efficace pour changer la manière dont mon bégaiement est perçu par les autres parce que si je suis à l’aise en bégayant, les autres tendent à l’être aussi. ».
« Le Bégaiement Volontaire est une expérience scientifique que j’utilise de plus en plus pour me prouver que
a) je ne me transforme pas en larve si je bégaye,
b) je peux survivre au bégaiement. »
Etonnant, non ? Cela m’a donc paru intéressant de vous en parler et d’y consacrer non pas un mais deux posts (celui-ci et un autre si le Père Noël me dit que vous avez été bien sages)...
A l’origine de cette technique, nous retrouvons l’inévitable Charles Van Riper mais elle a été reprise depuis par de nombreux thérapeutes. Elle fait ainsi partie désormais de la panoplie de base de l’orthophoniste au côté de l’ERASM, du bégaiement inverse, du démarrage en douceur…
Le bégaiement volontaire, parfois appelé faux ou pseudo bégaiement consiste à bloquer volontairement sur la première syllabe d’un mot ou de la répéter. Par exemple, vous allez commencer une conversation en sachant que vous allez pertinemment bégayer volontairement sur le premier mot.
Pour un bègue, cet exercice peut être extrêmement difficile à réaliser, surtout les premières fois. La honte du bégaiement et l’habitude de le dissimuler sont si ancrés qu’il est inimaginable de « s’amuser » à bégayer et donc à se ridiculiser volontairement.
Pourtant, cela peut être un pas important pour se désensibiliser au bégaiement et surtout prendre conscience que, si on peut le créer volontairement, on peut aussi le contrôler.
Avant d’aller plus loin, la technique (s’il y a des bégayeurs volontaires qui me lisent, n’hésitez pas à compléter ou rectifier) :
- Faites des blocages légers mais visibles. Maintenez un bon contact visuel pendant que vous bégayez : cela vous permettra aussi d’observer les réactions de vos interlocuteurs.
- Le bégaiement doit rester volontaire et vous devez en garder le contrôle. Pour faciliter ce contrôle, vous devez d’abord vous exercer lorsque vous êtes calme et détendu. Faites l’expérience en parlant lentement et de manière réfléchie avec des répétitions faciles ou des prolongations. Cela vous donnera une impression de maîtrise quand vous verrez que vous contrôlez l’incontrôlable.
- Vous devez bégayer d’une manière relâchée, sans exagérer la tension, en ayant toujours en tête d’aller de l'avant (pas de raclement de gorge, de petits mots parasites…).
Je le redis : mettre en œuvre cette technique est assez difficile. Il faut donc, comme chaque fois que l’on parle bégaiement, commencer tranquillement par une situation facile puis augmenter graduellement la difficulté.
- Faites d’abord cet exercice seul, en lisant à voix haute, par exemple. Cela est toujours plus facile d’avoir un texte sur lequel s’appuyer. Si un mot redouté survient, bégayez dessus sans aucune vergogne et passez l’obstacle en douceur, en restant détendu.
- Exercez-vous ensuite devant quelqu’un qui vous est proche.
- Testez le enfin dans des situations quotidiennes. Dites-vous par exemple qu’aujourd’hui, vous allez faire du bégaiement volontaire dans x situations, en augmentant progressivement la difficulté en fonction de l’appréhension que vous avez de la situation ou de l’interlocuteur.
Si tout se passe bien (et ça se passera bien et surtout beaucoup mieux que lorsque vous vous laissez surprendre par un blocage), vous ferez alors les découvertes suivantes :
- lorsque vous avez osé bégayer, un éclair n’a pas déchiré le ciel pour vous foudroyer et vous laisser nu et fumant devant votre interlocuteur.
- les « gens » réagissent habituellement gentiment au bégaiement, surtout si vous avez pensé à maintenir un bon contact visuel et à remplacer vos grimaces angoissées et votre mine déconfite par un sourire rassurant (« pas d’inquiétude, mon p’tit pote, je bégaie mais ça ne nous empêchera pas de communiquer »). En agissant ainsi, vous démontrez aux autres que bégayer n'est pas une honte, que vous l’assumez et que ce n’est pas une entrave à la communication.
- Vous allez mieux comprendre ce qui se passe lorsque vous bégayez (cf comprendre vos blocages)
- Vous allez découvrir que vous pouvez bégayer et sortir du bégaiement sans forcer (cf bégaiement lent et conduite sur glace).
- Si vous avez décidé d’utiliser des techniques de correction (ce qui n’est pas une obligation), en osant bégayer, vous allez aussi oser mettre en œuvre ces techniques.
Vous verrez que plus vous le ferez, plus cela deviendra facile. En vous exposant volontairement au bégaiement, vous allez peu à peu vous désensibiliser, réduire vos craintes, construire votre courage et votre confiance et augmenter votre capacité à parler dans des situations stressantes.
Pour ma part, je trouve que cette technique peut être surtout efficace pour les personnes qui dissimulent leur bégaiement (les « closet-stutterers » ou bègues du placard) et n’osent pas le « dire ». Mais c’est pour eux qu’elle est aussi le plus difficile à mettre en œuvre…
Le bégaiement volontaire constitue en effet un avertissement implicite, une manière de « dire », de se découvrir. Dans un précédent post, j’ai expliqué combien cela pouvait soulager d’annoncer son bégaiement (au cours d’un oral ou d’un entretien d’embauche , par exemple). Cependant dans les situations quotidiennes, ce n’est pas tous les jours faciles. Vous n’allez pas demander l’heure à quelqu’un en commençant par : «Je bégaie, ne soyez pas surpris, je vais mettre en œuvre des corrections post-blocage ou je vais provoquer musculairement chacune de mes syllabes pour sortir ce que j’ai à vous dire. Vous pourriez me donner l’heure, s’il vous plaît ?». Il sera plus simple (et plus rapide) de commencer par un bégaiement volontaire et d’enchaîner par une superbe correction.
Autre témoignage intéressant : « Utiliser le bégaiement volontaire très tôt dans une conversation me rappelle que je ne cherche pas à cacher mon bégaiement. »
Faites de même. Si vous êtes au Mac Do et que vous allez passez commande, plutôt que de laisser la tension monter et de vous liquéfier à mesure que votre tour approche, vous allez jouer cartes sur table et l’assumer totalement. La serveuse sourit de votre bégaiement ? Souriez avec elle ! Vous transformerez un moment de solitude en moment de complicité.
Certains conseillent même de l’utiliser au début d’une prise de parole en public. Pourquoi ? Parce que plutôt que de commencer à parler avec la hantise du bégaiement, vous allez contrôler précisément quand le bégaiement va survenir. En l'exhibant dès le départ, vous n'avez plus à le cacher, c'est aussi simple que cela. Vous levez l'incertitude.
Ainsi plutôt que d’arriver pétrifié et en sueur, en vous disant : « Mon Dieu ! Faites que je ne bégaie pas ! » ou de devenir tout rouge lorsque viendra le premier blocage, sortez tout de suite le chat du sac : « Bon-bon-bon jour ! ». Et oui, c’est une personne qui bégaie qui vous parle mais pas de souci mes p’tits potes (vous remarquerez que j’aime bien appeler mes interlocuteurs « mes p’tits potes », cette familiarité gratuite a un excellent effet sur mon humeur), ça ne m’empêche pas de vivre et de vous parler !
Bon allez ! E-é-é-é-éssayez !
Des liens intéressants (en anglais) :
Voluntary Stuttering (Peter Reitzes)
Voluntary Stuttering - When, How, and For What Purpose (by Andreas Starke)
Et moi je me pose toujours la question de savoir si c'est une réalité biologique ou non, et si oui comment.
RépondreSupprimervoilà Olivier a réussi à mettre un comm, alors c'est possible pour moi maintenant.
RépondreSupprimerce "jeu" je le pratique avec mon petit bonhomme et il est vrai que cela l'aide un peu dans la suite de la conversation.
Super explication! je garde!!
RépondreSupprimerOups...une question: pour moi begaiement inverse et begaiement volontaire c'est la meme chose??Mais peut etre peux tu eclairer ma lanterne?
RépondreSupprimer@Ana : le bégaiement inverse est une technique à utiliser seul pour s'exercer à réduire la tension sur un mot redouté. On commence avec un niveau de tension fort que l'on abaisse au fur et à mesure. C'est une sorte de progression à rebours jusqu'à la fluidité (d'où l'adjectif "inverse"). Il est aussi produit volontairement, c'est sans doute pour cela qu'il est souvent assimilé au bégaiement volontaire. Je ne sais pas si cette explication suffira pour éclairer ta lanterne... mais j'aurai essayé !
RépondreSupprimer@Olivier : Je n'ai pas bien compris ton commentaire. Tu parles du bégaiement volontaire ou du bégaiement en général ?
RépondreSupprimerJe parlais du bégaiement volontaire. L'effet serait-il mesurable biologiquement....?
RépondreSupprimersi j'ai bien compris avec le begaiement inverse c'est repetition du meme mot en essayant de se detendre...jusqu'a ce que ca passe?? Un peu artificiel comme technique, non? meme si ponctuellement ca peut peut etre aider...??
RépondreSupprimerTu as raison Ana : c'est tout à fait artificiel. Ce n'est donc pas une technique à utiliser dans la vie courante mais un exercice orthophonique à pratiquer seul pour prendre conscience de ses tensions et apprendre progressivement à les réduire. Il y avait eu toute une discussion là-dessus dans le forum "paroles de bègues". Avec la fonction recherche, tu devrais la retrouver.
RépondreSupprimermerci!
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